En visite officielle à Cotonou au Bénin, le Délégué Général du Québec à Dakar Iya Touré, a bien voulu partager, en exclusivité, quelques moments avec votre média Educ’Action. A bâtons rompus, il a présenté au journal, les nouvelles priorités de la Délégation Générale du Québec à Dakar et ses projets immédiats sur le Bénin. Il apporte à l’Afrique francophone en général, l’expertise québécoise dans les secteurs clés du développement. Heureux de l’accueil chaleureux qui lui a été réservé, il a salué l’hospitalité béninoise et la grande ouverture des autorités ministérielles rencontrées. Voici l’intégralité de l’entretien avec Iya Touré, un homme de vision et d’action.
Educ’Action : Pourquoi parle-t-on de la Délégation Générale du Québec et non du Canada ?
Iya Touré : Le Québec est une province du Canada. Le Canada est ainsi fait qu’il est dirigé par une Constitution qui établit quels sont les champs de compétence de chacune des provinces. Les provinces sont pleinement compétentes en éducation et en culture. Elles ont des compétences partagées en immigration et en commerce. Le Québec agit sur la scène internationale en prolongement de ses compétences dont nous faisons la promotion dans les pays francophones de notre compétence. La Délégation Générale du Québec à Dakar, travaille beaucoup en économie, mais aussi en éducation, en culture, en immigration. Le Québec est la plus grande nation francophone de l’Amérique. C’est une spécificité qu’il faut garder, qu’il faut défendre, qu’il faut promouvoir. L’histoire et l’amitié qui unissent l’Afrique francophone au Québec datent de longtemps.
Pourquoi le Québec déjà développé se préoccupe des pays francophones ?
Nous pensons que nous pouvons, à travers nos actions, créer des collaborations et des partenariats avec l’Afrique francophone. La raison est très simple. Les secteurs qui ont besoin de soutien en Afrique, sont des secteurs dans lesquels le Québec excelle. Je prends l’exemple du facteur démographique. D’ici 2050, la population africaine va doubler, passer de 1,2 milliard à plus de 2 milliards. Plus de 60 % d’urbanisation. Cotonou va changer. 70 % de cette population auront moins de 30 ans. Il faut créer des écoles pour ces gens-là, il faut les nourrir, les loger, créer des infrastructures pour accueillir ces gens-là.Il faut des emplois pour cette masse critique de jeunes, etc. Or, le Québec a une approche très simple. Nous formons les gens à avoir un métier, une compétence de sorte qu’il y ait une adéquation, une corrélation nette, parfaite entre la formation qui est reçue et le besoin du marché du travail. Le jeune ou la jeune qui sort de l’école, son besoin est comblé. Maintenant la question à se poser, c’est qu’est-ce qui explique ça? La réponse, c’est le système éducatif. Ce système peut aider l’Afrique. L’Afrique a passé les 60 dernières années à produire des théoriciens. Et vous le voyez aujourd’hui, il n’y a aucun pays africain qui arrive à s’en sortir de ce côté-là. Partout où vous allez en Afrique, les gens vous disent « on veut les Québécois parce que vous êtes pragmatiques, votre système éducatif met l’accent sur la technique, On veut des gens de métiers ».
De façon concrète, qu’est-ce que la Délégation Générale du Québec à Dakar propose au Bénin ?
Pour les prochaines années, la Délégation qui couvre 12 pays, a décidé de prioriser quelques pays dont le Bénin. Une fois qu’on a établi les priorités, on se déplace. C’est dans ce cadre que nous sommes ici dans un premier temps pour nous présenter aux autorités, comprendre un peu l’écosystème, sentir les besoins du terrain. Notre visite s’inscrit dans ce cadre-là. Il s’agit de faire une présentation de la Délégation aux autorités béninoises. Concrètement, nous avons visité Sèmè City et compte tenu de l’unicité de cette structure qui est très inspirante, en termes d’innovation, d’entreprenariat, de mœurs, de recherche, on s’est dit pourquoi ne pas délocaliser le forum international de Dakar à Cotonou l’année prochaine. Deuxième chose, ayant compris que le numérique constitue une priorité pour le gouvernement du Bénin, nous nous sommes dit qu’il faut faire une mission commerciale sectorielle. Faire venir des PME du Québec au Bénin dans ce secteur-là. Les hommes d’affaires vont venir, ils vont constater tout ce qui se fait ici et c’est comme cela qu’on va les attirer à avoir une antenne au Bénin. Qui dit antenne, dit investissement et qui dit investissement dit emploi. Directement, ce sont les deux actions concrètes.
Qu’est-ce que nous pouvons retenir de vos échanges avec les ministères sectoriels ?
Déjà, nous saluons la qualité des personnes qui occupent ses portefeuilles. Tenez, quand vous investissez dans une entreprise, vous regardez d’abord l’équipe de management. Donc l’équipe gouvernementale, c’est l’équipe de management. Les gens que j’ai rencontrés sont des gens de qualité. Les priorités qui semblent se dégager sont des priorités qui s’inscrivent dans des perspectives à long terme. Nous avons parlé du numérique, de la digitalisation, et de l’agriculture. Je crois que le meilleur ananas au monde, je l’ai mangé au Bénin. Il faut que le monde entier le sache. Que les autorités soient conscientes de cela, qu’elles mettent en place des structures logistiques pour le faire découvrir au monde. Il y a aussi le tourisme. L’unique rêve des descendants de nos ancêtres, qui ont été envoyés de l’autre côté, il y a des siècles, et qui y ont eu des enfants, c’est de venir découvrir la source. Le Bénin s’inscrit bien dans cette offre touristique, où les gens viennent se ressourcer. Le projet de la route des pêches est intéressant. C’est du concret, qui s’inscrit dans une perspective à long terme.
J’ai rencontré le Ministre de l’Enseignement Secondaire, Technique et de la Formation Professionnelle et je lui ai dit ceci : « les infrastructures sont importantes, c’est du béton, mais ne faites pas l’erreur que d’autres pays ont fait. C’est l’être humain qui compte. Il faut aussi investir massivement dans l’éducation, car les deux vont ensemble. Vous aurez beau avoir toutes les infrastructures logistiques possibles, mais si vos gens ne sont pas bien formés, c’est du gaspillage ». Aussi, je constate que le Bénin bouge et il y a beaucoup de choses qui se font. Ce sont des éléments qui me font croire qu’il y a quelque chose d’intéressant qui se fait au Bénin. Le Québec veut s’inscrire dans cette dynamique.
Est-ce que l’expertise québécoise s’adresse aussi aux acteurs privés ?
Une économie forte, c’est un secteur privé dynamique et vigoureux. Cela va de soi parce que l’État ne peut pas toutfaire. C’est une mission économique avec des gens d’affaires. Des hommes et des femmes d’affaires qui vont venir voir. Notre travail à la Délégation, c’est d’aller vendre la destination Bénin, les facteurs d’attractivité du Bénin, surtout les pays que nous priorisons. Faire venir des gens qui vont avoir une antenne ici. J’ai parlé d’investissement et d’emploi, et c’est déjà un premier pas. Le deuxième aussi, c’est d’accompagner ces entreprises une fois qu’elles sont ici. L’accompagnement a plusieurs facettes. Quand vous ouvrez une antenne localement, vous vous demandez d’abord, qui va m’aider dans mon projet? Qui vais-je embaucher? Nous pouvons aider dans ce sens parce que nous avons des contacts. Les procédures administratives par exemple, sont des choses avec lesquelles les gens ne sont pas familiers. A Dakar, nous avons des attachés commerciaux que nous pouvons organiser par pays ou par secteur d’activités. Présentement, nous sommes organisés par pays. Si une entreprise veut s’installer ici, nous pouvons l’accompagner dans toutes ses démarches. L’autre chose aussi que nous faisons, c’est d’encourager la diaspora à s’intéresser au Bénin. Le travail à faire auprès de la diaspora est différent. Ils connaissent déjà le terrain. Ils ont une appréhension parce qu’ils ont un niveau de confort là-bas. Nous leur disons qu’il y a des délégués commerciaux, des attachés commerciaux disponibles. La Délégation Générale est là pour vous accompagner dans ce processus. C’est un travail de longue haleine. Nous nous inscrivons dans une perspective à long terme, car le développement économique c’est du long terme. L’éducation aussi, vous devez la voir dans une perspective à long terme.
Votre message pour conclure cet entretien.
Je vois les enjeux qui attendent l’Afrique dans 20, 30 ans. C’est maintenant que nous devons y penser. Nous ne devons pas refaire les mêmes erreurs que nous avions faites les 60 dernières années. Les gens ne nous pardonneront pas. Nous devons anticiper et surtout collaborer. Le Québec n’a pas de passé colonial, ni de discours impérialiste. Nous partons sur une base égalitaire pour avancer ensemble. Je remercie toutes les autorités béninoises et je vous remercie pour cette opportunité que votre média Educ’Action m’offre.
Propos recueillis par Ulrich Vital Ahotondji & Enock Guidjime