La corruption à première vue, semble résister à tout. Elle gangrène dangereusement le Bénin malgré les décrets pris à cet effet et les différentes lois votées pour décourager le phénomène. Dans cette interview qu’il a bien voulue nous accorder dans son bureau à Ganhi, cet après-midi du mercredi 16 Octobre, Jean-Baptiste Elias, président du Fonac et l’un des principaux acteurs de la lutte contre la corruption dans notre pays, a fait l’état des lieux de la lutte au plan national, avec une insistance particulière sur la manifestation de la corruption en milieu scolaire. Voici la quintessence de cet entretien.
Educ’Action : Mr Jean-Baptiste Elias, quel est l’état de la corruption aujourd’hui au Bénin ?
Jean-Baptiste Elias : C’est malheureux de dire que la corruption a pris de l’ampleur. Depuis quelques années, quand nous asseyons de voir un peu autour de nous ce qui se passe, on se rend compte que loin de régresser, la corruption prend malheureusement de l’ampleur. C’est en cela que nous devons avoir un sursaut national aussi bien au niveau des foyers qu’au niveau donc des écoles, au niveau des services, des collectivités locales, au niveau des villages, des arrondissements, des communes, des préfectures et pourquoi pas au niveau national pour que nous puissions faire quelque chose pour juguler ce fléau qui gangrène hélas notre pays.
Que peut-on entendre pas corruption en milieu scolaire ?
La corruption en milieu scolaire, c’est le fait de donner de l’argent ou de promettre de l’argent aux professeurs ou aux enseignants de tous les ordres afin que ceux-ci puissent donner de bonnes notes à l’apprenant médiocre, soit favoriser l’apprenant tout simplement en lui permettant de recopier ce qu’il ne maîtrise pas. On peut avoir également en milieu scolaire des cas de corruption pour le transfert d’un établissement à un autre. Vous savez bien qu’au cours de l’année, on évalue les apprenants en leur donnant des notes soit trimestriellement ou semestriellement ou tous les deux mois. Parfois les notes sont si minables que l’apprenant ne passe pas en classe supérieure. Et de ce point de vue, nous avons constaté à travers nos recherches ici au Bénin que des chefs d’établissements donnent de nouveaux bulletins trimestriels au nom des apprenants qui se retrouvent miraculeusement en position de passer en classe supérieure. Et le tout est joué bien entendu moyennant quelque chose. Une autre forme de corruption que l’on retrouve dans le milieu scolaire, c’est ce que je m’emploie à appeler la corruption issue des Notes Sexuellement Transmissibles (NTS). Le plus souvent, l’enseignant est de sexe masculin et l’apprenant de sexe féminin. Alors deux cas de figures se présentent à ce niveau également. Soit c’est l’enseignant qui fait le harcèlement sur l’apprenante qui est de sexe féminin pour l’amener à passer dans son lit et en compensation, lui donner de bonnes notes ou au contraire, c’est l’apprenante elle-même qui va vers l’enseignant pour essayer de le charmer et passer dans son lit bien entendu, sachant bien qu’elle veut passer en classe supérieure sans efforts. Il y aussi le cas où ce sont les parents eux-mêmes qui s’adonnent à cette pratique là. Le père ou la mère, prend contact avec les responsables de l’établissement de son enfant paresseux pour soit corrompre ceux-ci afin qu’ils puissent améliorer les notes de l’enfant ou alors carrément faire établir d’autres bulletins afin qu’on déplace cet enfant ou le mettre dans un autre établissement pour passer en classe supérieure. L’apprenant qui passe de classe en classe avec ces méthodes là, ne sera pas productif pour le pays et par finir il sortira avec des diplômes, alors qu’il ne possède rien comme connaissance. Pire, son papa ou ses parents qui sont bien placés politiquement, essayeront de le hisser quelque part dans le système de l’emploi. Résultat, il vient avec un parchemin qu’il ne mérite pas et il se retrouve à un poste qu’il ne mérite pas non plus et le rendement sera médiocre. Toutes choses qui arrièrent complètement notre pays malheureusement. Il y a également un autre cas de corruption en milieu scolaire qui concerne le traficotage des certificats et des diplômes. Avec les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication, on prend le diplôme d’un quidam, on essaye de le canner, on change le nom, on y met le nom de la personne qui n’a pas le diplôme, et le tout est joué. On prend cela et puis on s’entend avec un officier d’état civil pour faire légaliser ce document qui est faux afin de pouvoir s’en servir. Alors les administrations de bonne foi qui trouvent un diplôme légalisé, certifié et conforme à l’original, le mettent dans le circuit alors que l’intéressé est totalement nul. Voilà quelques exemples de corruption. On pourrait en citer davantage.
Est-ce que cette forme de corruption peut être perçue dans le circuit des examens nationaux ?
Oui bien sûr ! On le retrouve dans le circuit des examens nationaux. Dans les examens nationaux, vous savez qu’il y a des épreuves qui sont mises en chantier au niveau de la Direction des Examens et Concours. Tous ceux qui travaillent dans la chaîne de cette direction, soit ceux qui ont proposé les épreuves, soit ceux qui sont chargés de conserver les épreuves, soit ceux qui sont chargés de saisir les épreuves, soit ceux qui sont chargés de tirer les épreuves. A chaque maillon de cette chaîne, la corruption est possible. Et vous avez certainement entendu à plusieurs reprises que pour des examens nationaux, on retrouve telle épreuve dans la rue, chez un candidat et parfois très fier, il en parle à d’autres et puis on essaye de monnayer ces épreuves avant le jour de l’examen. Certains viennent à l’examen avec le corrigé- type, soit ils pigent le tout ou alors ils recopient et mettent en poches puis, dans la salle, ils sortent le papier. Tenez, nous avons connu ici au Bénin des cas de corruption pour les examens nationaux où la fille a charmé un des surveillants de classe d’une salle d’examen en mettant sur ses cuisses rendez-vous à tel endroit ce soir. Cet examinateur a fléchi et aidé la fille à tricher. On s’est arrangé pour la passer à l’interrogatoire et elle a avoué tout ce qui s’est passé.
Mr le président du Fonac, quelles sont les sanctions prévues par la législation en matière de corruption en milieu scolaire ?
Il y a un certain nombre de textes qui sont prévus en la matière. Il y a d’abord, une ordonnance qui a été prise au temps du PRPB qui réprime et qui sanctionne sévèrement les enseignants pour des cas de corruption. On peut citer également la loi 2001-20 du 12 Octobre 2011 portant lutte contre la corruption et autres infractions connexes en République du Bénin qui semble clair en son article 128.
Est-il possible de prévenir le phénomène ? Si oui dites-nous comment ?
Oui, il est possible de prévenir le phénomène. D’abord je répète encore une fois que la corruption n’est pas une fatalité. On peut la vaincre. La corruption met en place deux personnalités, un corrupteur et un corrompu. Si le bénéficiaire dit je ne veux pas être corrompu, la corruption va cesser. On dit si dans la chaîne de l’examen, les apprenants prennent à bras le corps leur étude, essayent d’apprendre leurs leçons, faire leurs devoirs et de composer régulièrement, on peut lutter contre la corruption en milieu scolaire. Quand les membres de la chaîne de production d’épreuves prennent à bras le corps le travail et se disent de façon consciente, je suis payé pour faire bien mon travail, la corruption va cesser. Quand on veut réussir coûte que coûte, on perd tout le temps de l’année scolaire à s’amuser, à aller au cinéma, à aller en boîte de nuit, à coucher avec les filles ou les garçons et au retour, on se rend compte que l’année est terminée et qu’il faille faire quelque chose pour réussir et bien, ça amène sur des sentiers et des chantiers qui ne sont pas recommandés.
Alors qu’est-ce que le Fonac que vous dirigez fait pour lutter contre le phénomène de corruption en milieu scolaire ?
Nous au Fonac, nous faisons la sensibilisation. C’est notre premier rôle, la prévention. Nous faisons donc des causeries soit au niveau des écoles, soit au niveau des collectivités locales, soit au niveau des communes, soit au niveau des arrondissements pour faire comprendre aux parents et aux apprenants qu’on ne leur rend aucun service en faisant réussir les enfants grâce à la corruption. Ensuite nous avons la presse qui est notre partenaire privilégié et sur les plateaux de radios ou de télévisions, nous prenons des thèmes de corruption dans beaucoup de milieu dont entre autres le milieu scolaire pour expliquer aux auditeurs et aux téléspectateurs les méfaits de la corruption en milieu scolaire sur le développement de notre nation. Enfin, nous essayons d’inscrire dans un certain nombre d’école des messages de lutte contre la corruption pour sensibiliser les apprenants, les enseignants, les parents d’élèves et le personnel administratif des écoles afin qu’ils s’adonnent à de bonnes pratiques, aux valeurs républicaines, à l’éthique et à la morale.
Est-ce qu’on peut éduquer à la non corruption ?
On peut le faire facilement. D’abord à la maison, chaque parent apprend à son enfant ou à ses enfants ses quelques valeurs. 1- le respect du bien public, 2- la vertu, 2-l’amour du prochain, 4- l’amour du travail bien fait, 5- la préservation du nom de la famille. C’est le premier principe. Deuxième principe, au niveau de l’école les enseignants doivent prendre la relève de ce que les parents font à la maison pour faire en sorte que l’apprenant qui vient à la l’école puisse avoir des modèles.
Un message à l’endroit des différents acteurs du système éducatif pour lutter contre ce fléau en milieu scolaire ?
Je voudrais demander à tous ceux qui sont dans la chaîne de formation et d’éducation de nos jeunes frères et sœurs que comme tout Béninois, la première condition pour que le Bénin se développe à l’horizon 2025 est la lutte contre la corruption. Chacun à son niveau doit cultiver les valeurs cardinales, l’amour du prochain, le travail bien fait, le manque de corruption dans les actes quotidien que nous posons. C’est en cela que nous aurions contribué efficacement au développement de la nation.
Propos recueillis par
Romuald LOGBO et
Edouard KATCHIKPE

