Au détour d’une visite à la Ferme Ecole Solidarités Agricoles intégrées (SAIN), une équipe de votre journal Educ’Action a rencontré Karine AYASSE, Professeure d’éducation socio-culturelle au lycée agricole de Carmejane dans les Alpes de Haute-Provence en France. Cette habituée du Bénin, notamment de sa partie septentrionale, découvre la ferme école SAIN de kakanitchoé dans sa splendeur agroécologique. Elle s’ouvre à nous avec ses émerveillements et parle les heureuses perspectives qui se profilent à l’horizon pour les jeunes avec cette belle découverte ! Entretien.
Vous découvrez la Ferme Ecole SAIN de Kakanitchoè avec émerveillements. Et Pourquoi ?
J’ai, en fait, une longue expérience de mobilité des jeunes en Afrique de l’Ouest, et principalement au Bénin, notamment dans la périphérie du parc W au Nord-Bénin. Mais j’ignorais parfaitement l’existence de cet endroit que je découvre merveilleusement bien. C’est un prototype qui est assez remarquable par rapport au modèle d’enseignement et de formation qui y est proposé. Je trouve que SAIN est vraiment le mot qui colle le mieux à cette ferme. De tout ce que j’ai vu au Bénin, ce qui est apporté ici aux jeunes, est vraiment une vision globale.
Donc les jeunes qui viennent en formation ici repartent avec une vision de l’agriculture qui va évidemment du modèle agroécologique, et s’ouvre sur tout le reste. Et ce qui est assez merveilleux selon moi, c’est que quand ils vont rentrer dans leur milieu, qu’ils vont s’installer, ils vont pouvoir essaimer ce modèle-là et devenir un peu comme des ambassadeurs de la Ferme Ecole. Ceci correspond parfaitement à notre vision de mixer les jeunes qui sont en formation ici et nos jeunes qui sont en formation agricole, pour qu’ils découvrent, chacun, dans cet échange leurs pratiques et réfléchir sur leurs modèles, leurs représentations de l’agriculture.
Est-ce que vous pensez que les jeunes français qui sont ici aujourd’hui vont pouvoir faire un modèle similaire, une fois de retour chez eux ?
Je pense que ce qui est fait ici va quand-même leur apporter une autre vision. Ils ont effectivement dans leurs exploitations une grande culture pour avoir du fourrage à l’élevage, à la production animale. Donc ça c’est déjà un peu ce qu’ils font. Mais cette vision, parce qu’ici on peut parler vraiment de vision, cette vision dont ils vont s’imprégner, va peut-être faire son chemin, notamment dans l’agroforesterie. L’État français oblige aujourd’hui en quelque sorte les agriculteurs, les éleveurs à planter des haies et faire en sorte aussi de mixer élevage, agriculture et biodiversité. Ils l’ont vu ici concrètement et comprennent alors mieux ce que cela peut apporter comme équilibre à la nature.
la Ferme Ecole SAIN de Kakanitchoè
Quelles sont les perspectives après cette visite ?
Une fois de retour en France, nous allons témoigner de ce qu’on a fait ici. Il y aura donc une restitution de tous les jeunes et dans leur établissement et sur leur territoire respectif. Puis le partenariat va se poursuivre pour envisager une nouvelle mission certainement l’année prochaine parce que le récit de leur histoire va créer une sorte d’émulation, j’en suis certaine. Et donc d’autres auront envie de venir.
Y aura-t-il une possibilité de réciprocité pour des jeunes béninois dans ces échanges ?
Ça, c’est vraiment quelque chose qui me tient beaucoup à cœur : faire un travail de réciprocité. Donc forcément, nous on vient ici voir ce qui se passe, on travaille avec des jeunes béninois et l’idée c’est qu’à un moment donné, ils puissent venir voir aussi nos réalités à nous et ce qui se passe aussi chez nous, comment on pratique l’agriculture, etc.
Vous êtes professeure d’éducation socioculturelle en France et vous connaissez le Bénin depuis plusieurs années, quelle comparaison faites-vous sur les pratiques d’apprentissage ?
Déjà je commence à dire que j’enseigne l’éducation socioculturelle, qui est une matière qui amène vraiment les jeunes, à développer l’esprit critique. Dans ce « développer l’esprit critique », il y a évidemment à travailler sur l’analyse des médias et de l’image, et aussi sur la relation psychosociale. Donc on est vraiment sur le champ à la fois de la sociologie et de la culture. Et donc les jeunes travaillent sur la dynamique de projet également et ils travaillent aussi sur la réalisation de projets culturels avec des artistes. Ça c’est vraiment le cœur de la matière de l’éducation socioculturelle, qui est une matière qui n’existe que dans l’enseignement agricole depuis 60 ans. Et du coup effectivement c’est une matière qui permet vraiment de développer beaucoup d’actions avec beaucoup de partenaires locaux, beaucoup de projets de territoire, d’études de territoire et d’analyses un peu sociologiques, pour mettre en valeur des savoirs locaux souvent en perdition. Actuellement avec des élèves qui sont ici au Bénin, qui sont mes élèves, je travaille sur un projet de valorisation de la laine, qui est un produit sous-valorisé chez nous et qu’on tente de revaloriser. Donc c’est un projet qu’on va mettre en place avec des artistes, qui va nous amener certainement même jusqu’à la Villa Médicis, qui n’est pas rien à Rome. Nous encourageons le Bénin à faire également de cette matière, un levier d’ouverture socioculturelle pour les jeunes béninois et surtout d’autonomisation. C’est quelque chose qui est très riche pour les élèves, parce que ça leur permet de réaliser des prouesses qu’ils n’auraient certainement jamais pu faire en autonomie.
Avez-vous un message pour clôturer cet entretien ?
La Ferme Ecole SAIN est une merveille au cœur du Bénin. Notre message est que cette vision se propage le plus largement possible pour que les décideurs accompagnent suffisamment l’initiative. Ce faisant, plusieurs jeunes béninois auront, la possibilité de s’engager durablement dans l’agriculture écologique qui reste un chemin de salut pour notre planète. Je souhaite aussi que de notre côté, les jeunes soient mieux informés de la réalité africaine pour comprendre que les médias ne présentent pas souvent ces belles facettes d’humanisme de l’Afrique. J’ai bon espoir que la collaboration avec la ferme va se poursuivre durablement pour le bonheur de notre jeunesse.
Réalisation : Ulrich Vital AHOTONDJI