La célébration de la Journée Internationale de la Danse le 29 avril 2024 a été une occasion pour les professionnels de la danse au Bénin d’opiner sur ce secteur d’activité. A travers cette interview accordée à Educ’Action, Roberto Ewassadja, danseur et directeur de l’Ecole africaine des métiers d’art et de la culture, parle de la situation de la danse au Bénin et formule des suggestions pour sauver les meubles.
Educ’Action : Comment se porte la danse au Bénin ?
Roberto Ewassadja : La danse se porte plus ou moins à merveille parce qu’en tant que promoteur, artiste-danseur des danses patrimoniales, nous nous disons que c’est notre chose sinon nous l’aurions laissée. Il faut comprendre que c’est parce que nous aimons la danse, c’est quelque chose qui nous appartient et c’est pour cette raison que nous maintenons toujours le cap.
Les danses modernes rivalisent avec les danses patrimoniales surtout au sein de la jeunesse. Qu’est-ce qui se fait pour attirer les jeunes vers les danses patrimoniales du Bénin ?
Nous constatons que nos jeunes frères et nos jeunes sœurs ont tendance à s’accrocher plus à la danse qui vient d’ailleurs. Mais aujourd’hui, nous avons pris le mal à bras-le-corps, en réfléchissant sur ce que nous pouvons faire pour pérenniser nos danses patrimoniales. Les danses traditionnelles dont nous parlons, il y a certaines qui viennent du couvent et d’autres des manifestations heureuses. Il s’agit pour nous de parvenir à démarquer le côté rituel du côté cultuel. C’est le côté culturel que nous allons promouvoir au sein des jeunes en leur montrant l’importance de ces danses. À travers une danse, on parle. À travers une danse, nous disons beaucoup de choses. Nous nous exprimons à travers la danse. Donc, nous n’avons pas le choix de laisser les danses patrimoniales disparaître. Nous avons réfléchi et trouvé des solutions que nous allons essayer de mettre en application pour permettre à chacun de nous de prioriser et de faire rayonner réellement les danses patrimoniales.
Quelle est votre appréciation sur la promotion des danses béninoises en comparaison à comment cela se passe sous d’autres cieux où vous avez eu l’occasion de sillonner pour représenter le Bénin ?
Quand nous allons dans d’autres pays, nous voyons que la culture y compris la danse est prise en compte d’une manière particulière au niveau de l’État. Mais au Bénin, la danse n’est pas encore inscrite en priorité comme nous l’espérons. La promotion de la danse contemporaine prend le dessus sur les danses traditionnelles. Mais je sais que tous ces danseurs du Bénin qui se situent dans les danses contemporaines ont pris par les danses traditionnelles. Donc dans les danses contemporaines, il y a les traces de nos danses traditionnelles. Nous ne pouvons pas séparer l’un de l’autre parce que nous sommes au Bénin. Mais, il serait bien d’accompagner encore mieux les danses patrimoniales parce que les associations et troupes de danses ont besoin du soutien de l’État pour survivre. Dans les autres pays, il y a de l’accompagnement.
Quelles sont les possibilités offertes à un novice qui ambitionne de faire carrière dans la danse au Bénin ?
Toute personne qui veut faire carrière dans la danse sera la bienvenue. Nous qui sommes dans ce secteur, c’est parce que nous avons l’amour pour la danse que nous sommes dedans. Quand la personne vient, il faut commencer à travailler la psychologie de la personne parce que cela dépend de pourquoi chacun vient en formation. Quel que soit son objectif, il faut essayer de l’écouter, de le comprendre. Celui qui dit qu’il veut faire carrière, tenant compte du temps actuel, risque de fuir et de laisser encore pour aller chercher ailleurs. C’est pour cette raison qu’il faut une formation sur la psychologie au préalable. A l’heure où nous parlons, il nous faut du temps pour bien cerner nos danses. Il faut que nous travaillions réellement nos danses pour permettre à tous ceux qui viendront se faire former dans ce secteur, puissent réellement avoir la quantité et la qualité de ce qu’ils veulent. L’État a initié aussi un projet dénommé ‘‘les classes culturelles’’ parce qu’il veut que cela soit enseigné à la base. Une personne qui vient à la formation, doit se mettre dans la tête que quand elle finit, il faut une débouchée. Soit je deviens un danseur professionnel et je danse pour les groupes des artistes et autres ou carrément je me prépare pour être quelqu’un qui doit transmettre le savoir à d’autres. Donc il faut du temps, du calme et se laisser à la danse. Aujourd’hui que l’Etat a engagé ce projet, nous souhaitons vivement que cela puisse perdurer.
La danse nourrit-elle son homme au Bénin ?
À un moment donné, nous avons voulu bien nous dire que la danse nourrit son homme. Mais aujourd’hui, presque tout le monde cri, parce qu’on dirait même qu’au niveau de la culture, la danse est reléguée en dernière position dans la politique culturelle. Ce n’est pas ce que nous aurions souhaité. Nous aimons la danse mais on souffre dedans.
Qu’est-ce qu’il faut faire pour améliorer la situation de la danse au Bénin ?
La Constitution béninoise, à travers son article 98, a parlé de comment faire de la culture un levier pour que cela puisse réellement rayonner. Tant que nous n’allons pas mettre réellement en application cet article et aussi la charte culturelle, nous n’allons pas connaître un véritable professionnalisme du secteur. L’application de cet article permettra à ce que chacun de se retrouver, de faire la distinction de chaque compartiment. Tant que ces textes ne seront pas mis réellement en application, l’artiste ne peut pas vivre de son art. Actuellement, chacun à son niveau essaie de vivre de son art à sa manière. Mais quand les textes seront mis en application réellement, l’Etat saura distinguer les choses et sera fier. Chacun de nous en tant que artiste allons nous retrouver.
Propos recueillis par Edouard KATCHIKPE