Guénolé Cocou, étudiant à l’IMSP de Dangbo, s’est présenté au concours d’entrée de l’Ecole Polytechnique de Paris, la plus prestigieuse des écoles d’ingénieurs en France. Premier béninois admissible à l’écrit depuis 2018, il a échoué à l’oral. Brillant étudiant, Guénolé montre aussi, par cette réflexion sur les diplômes, l’importance de la sagesse.
Je suis ODAH Guénolé Cocou. Je suis un jeune béninois, le cadet d’une famille catholique modeste de dix (10) enfants.
Je suis né à Miniki, zone rurale de l’arrondissement de Kpataba, près de Savalou (département des Collines). Ce qui singularise la vie scolaire à Miniki, c’est la façon dont écoliers et élèves s’adaptent à apprendre leurs leçons malgré l’absence de l’électricité au village. La précarité fait également que chaque écolier ne peut pas disposer d’une lampe à incandescence pour apprendre.
Pour les bourgeois du village (rires), la famille dispose parfois d’une lampe torche que papa, maman et les enfants partagent la nuit pour chercher des objets dans leur pièce construite en terre de latérite. S’il faut signaler l’effort du gouvernement pour changer le village de Miniki du temps de Guénolé, c’est qu’au départ de ma vie, il n’y avait que deux lampadaires. Aujourd’hui, ils sont cinq (05). On ne manquera pas de signaler également toutes les améliorations qui ont été faites avec la construction de la voie non bitumée Kpataba-Miniki, même si les élèves continuent de monter cette colline avant d’accéder à leur collège.
Malgré ces difficultés, des têtes bien remplies finissent toujours par sortir de Miniki. C’est mon cas. Après mes études primaires à l’école primaire publique de Miniki, j’ai fréquenté le CEG de Kpataba (j’ai monté aussi les collines pendant 4 ans). Après mon BEPC, j’ai voulu faire la série C (scientifique). L’option n’existant pas à Kpataba, je fus obligé d’aller à Savalou centre pour continuer mes études. À 14ans, je restais seul dans une chambre louée. Grâce au soutien de mes parents, j’ai décroché mon baccalauréat avec 15 de moyenne.
Sans trop savoir quel profil choisir, je me suis passionné pour l’énergie électrique. Pourquoi ? Parce que je ressentais vraiment la souffrance des villageois de Miniki qui avaient besoin de la fée électricité. Aussi, ai-je décidé d’intégrer l’IMSP de Dangbo pour faire les classes préparatoires scientifiques. C’est alors que j’ai découvert le concours d’entrée à la plus prestigieuse école d’ingénieurs de France, l’ECOLE POLYTECHNIQUE de l’X. C’était un grand défi pour moi. Le concours d’entrée à cette école devait ouvrir une dimension importante dans ma vie.
Laissez-moi ouvrir une parenthèse, ici
Il faut apprendre, beaucoup apprendre, travailler très dur pour atteindre l’objectif. Mais quel objectif en fait ? Courir après les diplômes ? Se battre pour l’argent ? Quel est notre objectif ultime si on est conscient que tout ce qui est matériel et temporel est soumis à la loi de la destruction ? Se poser ces questions n’a rien de nouveau. Tout est affaire de conscience : respecter les diplômes, sans surestimer leur importance.
Ces questions traversent rarement nos esprits. Quand elles viennent, elles sont soumises à une brève analyse. Je fais partie de ceux qui refusaient de mener vraiment une étude profonde sur l’objectif fondamental de mes efforts. Je ne veux pas dire que j’ignorais pourquoi je travaillais, mais je pense que la réponse intérieure et consistante qu’il fallait apporter, je l’esquivais presque toujours. Il fallait bien qu’un jour, j’arrive à distinguer le POURQUOI et le POUR QUOI.
Loin de prétendre que j’ai désormais une idée parfaite de ces termes, je pense que je suis un tout petit embryon dans l’étude d’une école universelle qui me fait grandir et me fait trouver ma vraie place dans l’univers.
Mais à quoi sert-il de raconter tout ça, sachant que j’avais parlé de l’Ecole Polytechnique, que j’y étais admissible en 2021, mais que j’ai échoué à l’oral ? A quoi sert de raconter l’histoire de Guénolé, premier admissible béninois depuis 2018, c’est-à-dire reçu à l’écrit, mais qui n’a pas su convaincre le jury à l’oral ? Ce Guénolé qui n’a pas eu son diplôme, de quoi veut-il nous parler ?
Je peux me tromper, mais je pense que je ne suis plus le Guénolé qui était figé et obstiné par la recherche de choses prestigieuses, des grands diplômes et les premières places dans les classements scolaires. Je continuerai de me perfectionner et de repousser les limites dans ma vie, mais j’ai appris à mieux faire lorsque tout semble être bloqué.
Certes je n’ai pas un diplôme dans l’école de la vie, mais je pense m’être déjà inscrit dans cette école. Le jour où j’obtiendrai un CEP de l’école de la vie, j’affirmerai qu’il n’est pas nécessaire d’avoir de grands diplômes. Je ne prétends pas avoir mûri, mais je pense avoir changé suite à mon échec aux oraux du concours de Polytechnique. J’ai alors compris que la vie ne se résume pas à ce qui miroite au soleil.
Je ne songeais pas redoubler pour l’X, j’étais très sûr de moi-même, mais le père céleste voudrait justement que je fasse plus grand, que je touche toute l’humanité, que j’arrive à sentir la souffrance des êtres humains, que je travaille pour l’harmonie de l’humanité. Dans ces moments très durs pour moi, j’ai eu beaucoup d’aide de mon papa et de ma maman, de mes frères et sœurs, de certains amis également. J’ai finalement compris que la surface d’un être humain va au-delà de la sphère de l’ego et de rayon égal à son diplôme.
Une dimension est alors ouverte pour moi. Je commence à remettre en cause le rôle fondamental des diplômes.
Quel est leur place dans notre aspiration au bonheur individuel et collectif ? Vivant en société, l’être humain est souvent, pour ne pas dire toujours, soumis aux principes, aux lois et normes de cette société. Ainsi, pour être reconnu, trouver sa place et jouir correctement des avantages ou des services de la société, nous sommes appelés à en suivre et respecter les lois.
Ces lois et principes constituent également des moyens pour structurer la société et la rendre homogène. C’est le rôle du diplôme, que le Larousse définit comme une pièce émanant de l’autorité légale et destinée à conférer, établir ou confirmer un droit ou un titre.
Il atteste qu’une personne a achevé un cursus et mérite de bénéficier des prérogatives liées à cette formation. Le diplôme donne des attributions. Mais que signifie détenir un diplôme ? Comment savoir qu’une personne détient un diplôme ? Un diplôme est certes un document officiel, une attestation, mais de quoi ? D’une valeur immatérielle, intangible qui n’est pas susceptible d’être perçue par nos sens physiques. Rien ne distingue le diplômé du non diplômé. L’attestation de notre savoir ne change pas notre être.
Un diplôme est matérialisé par un support physique où sont mentionnés le nom de la personne formée, la signature des formateurs ou des dirigeants et un message attestant que la personne est qualifiée à mettre à profit cette formation. C’est donc difficile de reconnaitre un diplômé à moins qu’il confectionne des vêtements sur lesquels est inscrit « je suis diplômé de … ». Mais ce serait ridicule.
On le comprend donc : c’est sur le terrain que le diplôme fera ses preuves. Le diplôme montre à quelles portes le diplômé peut frapper. Une fois les portes ouvertes, on voit que deux personnes différentes ayant le même diplôme peuvent résoudre un problème de façon très différente. Avoir le même cursus ne signifie pas avoir les mêmes compétences. Certains diplômés ne méritent pas leur poste, cela se voit. Soit ils ne sont pas assez compétents, soit ils ont eu le diplôme par tâtonnement ou même par un moyen illégal. On a alors du mal à appréhender la valeur ajoutée des diplômes pour la communauté dans laquelle nous vivons. D’où le propos de l’écrivain Paul Valéry : « Je n’hésiterai jamais à le déclarer, le diplôme est l’ennemi de la culture ». Valéry savait en quoi le diplôme est en déphasage avec la connaissance, avec la formation.
Certes, la connaissance est nécessaire pour former un être humain. Il est impératif d’être formé pour son propre épanouissement, mais surtout pour servir la société et le monde entier. Cependant, le diplôme ne suffit pas. Il est comme une jolie fleur. Mais quels diplômés ont donné des fruits comestibles pour l’humanité ? Théodore Roosevelt nous avait avertis : « éduquer un homme mentalement mais pas moralement, c’est éduquer une menace pour la société. »
On entre dans la société comme diplômé d’une école. On sort de la société comme diplômé de la vie. On est reconnu par ceux qu’on a eu l’honneur de servir, surtout s’ils étaient moins fortunés que soi. Le diplômé est au service de tous ceux qui n’ont pas pu étudier sa spécialité.
Je peux très bien être un bon fonctionnaire avec des titres, mais ne jamais être sensible à la peine des gens que j’étais censé servir. On ne doit plus considérer le diplôme comme un bouclier, ou un justificatif. Je donne raison à ceux qui encouragent les entrepreneurs non diplômés.
Donc j’invite toute la jeunesse béninoise à se former rigoureusement pour impacter positivement l’humanité et aussi recevoir des attestations de diplômes comme symbole d’effort fourni ou accompli. Je décide de poursuivre mes études afin d’évoluer à la même vitesse que la société tout en me formant dans les domaines qui me passionnent et dans lesquels je peux le mieux contribuer au genre humain.
Aujourd’hui ma pensée s’est développée, je reconnais la douleur et les défis qui m’attendent, je ne dois plus m’enfermer dans une chambre de quelques mètres carrés pour avoir un diplôme et devenir fonctionnaire, je dois travailler pour servir mon prochain. Tel est bien le nouveau Guénolé.
D’autres diront que je ne sais pas ce que je dis. Certainement. Mais je pense que j’ai vraiment changé et je le dois à Dieu le Père à mes parents, à mon brillant échec à l’Ecole Polytechnique. Je conseille vivement d’avoir des diplômes scolaires ou académiques, mais l’important est d’aller à l’école de la vie. J’invite toute la jeunesse africaine et surtout béninoise à se former, dans les domaines qui impacteront l’humanité et vont vraiment leur permettre de retrouver la réponse à la question POURQUOI JE SUIS NÉ(E).
J’ai désormais une appréhension, après mon échec, mais aussi une confiance dans la vie, car un petit villageois a traversé ces moments, ces petites difficultés et trouvé des hommes qui l’ont mis sur les bons rails à chaque fois. Je pense que la vie a un sens. On gagnerait beaucoup à comprendre les choses de la vie.
Je suis actuellement en Master en Mathématiques Fondamentales et Applications à l’IMSP et je pense que Miniki attend énormément de moi, et je dois apporter également à l’humanité ma contribution avant de rejoindre les ancêtres. Cela doit être normalement la devise de toute la jeunesse béninoise afin de garantir la stabilité, l’amour et l’harmonie dans notre cher et beau pays le Bénin.
Par Guénolé Cocou ODAH