Albert ADAGBE, Directeur de Cabinet au MEMP : « Le projet ELAN, nous a aidés à prendre l’élan pour nos langues nationales »

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Professeur certifié de Mathématiques, Albert ADAGBE est depuis 2007 dans le sérail du pilotage des enseignements maternel et primaire. Après avoir géré avec brio la direction adjointe de cabinet du MEMP, il s’est vu promu au poste de Directeur de Cabinet. Reconnu par son entourage pour sa ponctualité, Albert ADAGBE est toujours à son travail dès 7 heures du matin. Ceci, en dépit du fait qu’il quitte tous les jours sa résidence de Godomey-womey dans la commune de d’Abomey-Calavi pour la capitale du Bénin, Porto-Novo où se trouve son bureau. Ancien sportif, il reste footballeur à ses heures perdues, où il joue avec le club de son quartier. Marié, il est père de trois adorables enfants. Dans cet entretien inopiné, il laisse déborder sa joie de vivre l’introduction des langues nationales dans le système éducatif formel.

Educ’Action : Nous sommes à Abomey où se tient la rentrée solennelle des langues nationales, vos impressions ?

Albert ADAGBE : Grande joie et Grande fierté. Je dégage aujourd’hui de la fierté parce que, au moins, ça démarre. C’est un processus à améliorer de façon progressive et continue. Désormais, je reste convaincu que nous aurons des enfants très éveillés dans les classes. C’est une phase expérimentale que tout le monde doit accompagner pour qu’elle se développe. J’exhorte ceux qui sont frustrés, pour dire ceux dont les langues n’ont pas été choisies, à prendre leur mal en patience. On ne peut pas faire une expérimentation sur toutes les langues à la fois. Ce départ donne l’occasion à tout le monde de développer les curricula dans sa propre langue. Le gouvernement a l’obligation d’accompagner toutes nos langues d’intercommunalité. C’est une prescription constitutionnelle. Je déborde donc de joie pour ce nouveau départ.

Quelle sera la suite après cette phase expérimentale ?
Après cette phase expérimentale, ça va être la mise à échelle. Nous allons faire une évaluation pour voir si les résultats ont été concluants, si les fruits ont tenu la promesse des fleurs. Ceci nous permettra d’introduire de nouvelles langues. Et après, ce sera la généralisation où dans chaque bastillon, chacun pourra expérimenter sa langue.

Pourquoi le Bénin a-t-il pris tout ce temps pour démarrer, selon vous ?
Sachez que la question des langues est une question très sensible. Vous voyez, on a plusieurs dizaines de langues codifiées et disponibles. Mais les moyens mis en place pour, ne serait-ce que 6 langues, sont faramineux. Allez donc imaginer ce qui adviendrait si toutes les langues devraient être introduites simultanément. Pour aller à plus de langues, il faut pouvoir rédiger plus de documents. On a travaillé dur pour sortir tous les documents. Tous les documents pédagogiques ont été rédigés et disponibles pour la classe de CI. Maintenant, il faut faire le CP, le CEI, le CE2, le CMI, le CM2 puis le collège. Ce n’est pas une mince affaire. Il faut gérer les sensibilités humaines, rassurer les populations des différentes aires sociolinguistiques. Il faut aussi la volonté politique. C’est un ensemble d’agrégats difficiles à mettre en synergie mais pas impossible. Heureusement, nous avons tous compris que l’introduction des langues nationales dans le système formel est un moteur pour le développement.

En quoi l’introduction des langues nationales constitue-t-elle un moteur pour le développement ?
C’est un vrai moteur. Regardez les écrivains qu’on avait eus ; les gens comme Jean PLIYA, Ousmane SEMBENE etc. Ils ont commencé tardivement l’école. Donc, ils ont eu le temps de connaître d’abord les choses dans leurs langues. Voyez, on commençait l’école à 6 ans, 7 ans ou 8 ans. Mais tout ce temps, on le passait à apprendre les choses. C’est vrai que ce n’était pas l’école formelle, mais c’était l’école de la maison où tu sais appeler un tonneau, tu connais son nom etc. Pendant que vous apprenez et maîtrisez les choses dans votre langue, le passage dans la langue secondaire est plus aisé. Mais lorsque vous commencez directement dans la langue d’autrui que vous maîtrisez à peine, vous allez rester avec des tares jusqu’à la fin et vous allez voir quand la comparaison va être faite, les enfants qui ont commencé maintenant seront plus brillants et contribueront effectivement au développement du Bénin.

Pourtant, certains continuent à croire qu’instruire les enfants dans leurs langues pourrait être un handicap à leur ouverture sur le monde. Qu’en dites-vous ?
C’est peut-être les gens déracinés qui vont dire des choses comme ça. Vous voyez aujourd’hui, l’Arabe, il parle son arabe tout à l’aise, vous êtes obligés d’aller chercher les logiciels pour traduire. S’il fait son invention, il l’écrit dans sa langue. Parce que si c’est pertinent, vous êtes tenu de venir chercher les outils pour traduire. Mais tous ces outils existent aujourd’hui. Si un enfant est brillant dans sa langue, il inventera dans sa langue. Les parents doivent comprendre que lorsque l’enfant maîtrise sa langue, il excelle dans la langue d’autrui. Parce qu’il sait de quoi il parle. Vous voyez, on a des difficultés aujourd’hui en Mathématiques parce que lorsque nous utilisons des termes purement scientifiques, on n’est pas capable de les dire dans nos langues. Ça veut dire qu’on a des limites de compréhension. Si vous comprenez réellement ce qu’on vous enseigne dans votre langue, vous le faites aussi facilement que possible. Et au contraire, cela vous ouvre sur le monde. Si ce n’était pas le cas, pourquoi l’OIF nous aide à aller dans ce sens ?

Puisque vous en parlez, quelle est la contribution de l’OIF dans ce processus ?
Il faut reconnaître à César ce qui est à César. L’OIF, tout patriotisme mis de côté, nous a aidés à prendre l’élan comme le projet lui-même s’appelle ELAN. Nous avons pris l’élan à partir du moment où, nous faisons partie des huit (8) pays identifiés pour faire l’expérimentation de trois (03) langues nationales. Mais l’OIF, ayant choisi 3 langues à cause du budget, l’Etat béninois a dit que les questions de langues sont des questions de souveraineté. Et là, le gouvernement a contribué à raison de 3 autres langues. C’est ainsi que nous sommes arrivés aux 6 langues.

Le MCAAT est ici aux côté du MEMP pour la cérémonie, comment vivez-vous la collaboration ?
Nous sommes ensemble et nous lançons ensemble. Le Ministère des Enseignements Maternel et Primaire est un très grand ministère. Et lorsque nous rentrons dans un schéma, nous multiplions les résultats par un million rapidement. Vous allez voir que du moment où les enfants ont commencé leurs langues, les parents sont obligés d’être alphabétisés. Donc l’alphabétisation qui peine à prendre va s’envoler facilement parce l’enfant amène un texte dans ta langue et toi le père ou la mère, tu n’arrives pas à le lire ni à le comprendre. L’enfant te dira que tu es déraciné. Ça va pousser tous les adultes à s’intéresser à l’alphabétisation pour mieux accompagner les enfants dans les cours et l’enfant est obligé de persévérer parce qu’il va se dire que mon père ou ma mère sait écrire dans la langue, il n’y a donc pas de raison que je ne fasse autant. C’est une action qui permettra l’émergence de l’alphabétisation.

Propos recueillis par
Ulrich Vital AHOTONDJI & Serge-David ZOUEME

 

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