Alphabétisation au Bénin : Dans l’univers de l’enseignement dans les langues nationales

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« Assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie ». C’est ainsi qu’est libellé le 4e Objectif de Développement Durable (ODD4). Le deuxième pan de cette noble ambition met la lumière sur l’éducation des adultes mais aussi sur l’alphabétisation. Dans les pays où les défis de la pauvreté éloignent de l’école, l’alphabétisation offre une seconde chance aux jeunes adultes et aux adultes de découvrir la magie de la lecture, de l’écriture et des chiffres. Malgré ces grands bénéfices pour le développement, l’alphabétisation est, non seulement le parent pauvre de l’éducation, mais elle est carrément jetée aux oubliettes. En effet, depuis des années, et ce malgré les efforts des acteurs, c’est seulement le jour de la célébration de la journée internationale de la langue maternelle (21 février) que autorités et autres acteurs de l’éducation semblent s’en rappeler. Toujours à la pointe de l’information et soucieux de l’atteinte de l’ODD4, vous l’aurez compris, Educ’Action consacre ce mois de février 2022 à l’alphabétisation. Il est question d’en faire l’état des lieux au Bénin dans les quatre prochaines publications. Pour cette première parution, nous posons les valises dans une classe d’alphabétisation pour voir ce qui s’y fait.

C’est le calme plat dans ce quartier de Cotonou, à quelques pas de la mer. A part les bruits de quelques motos et de rares véhiculent qui passent, on entend les gazouillis des oiseaux. L’air frais de l’harmattan adoucit l’intensité des rayons solaires créant ainsi un environnement propice à l’enseignement et à l’apprentissage. Ici, l’environnement pédagogique est tout autre. Contrairement aux écoles traditionnelles où les classes sont collées les unes aux autres avec des effectifs pléthoriques, notamment dans l’enseignement public, ici, c’est un espace ouvert qui accueille apprenantes et enseignante. Au nombre de huit, les apprenantes sont des dames qui veulent développer de nouvelles compétences pour mieux gérer leurs activités génératrices de revenus. Le sourire quasi unanime qui se lit sur leurs visages à la vue de la maîtresse alphabétiseuse cache difficilement les rides qui prennent place sur le visage des plus jeunes ou qui sont installées chez les plus âgées. La maîtresse alphabétiseuse installée sur la petite table qui lui est destinée, le temps pour les apprenantes diversement vêtues de tirer leurs chaises en plastique pour s’asseoir, et la séquence d’alphabétisation en langue Fon peut commencer.

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Une séquence d’alphabétisation vue de l’intérieur

Les voix douces et audibles, rythmées par leurs fibres vocales, les apprenantes de dame Albertine (prénom attribué), la facilitatrice, commencent la séquence de classe par un chant exécuté en langue nationale Fon du Bénin, après lui avoir remis leurs cahiers d’exercices. Comme à l’école maternelle, ce chant est suivi d’un cri de guerre d’encouragement : « Wassi wassi wassi wassi wassiooooo ! Alouwassiyo woooo woooo woooo! ». S’ensuit alors un dialogue entre l’enseignante et les apprenantes, au rythme de leurs voix musicales : « La langue de notre pays ? Nous devons savoir l’écrire, la lire et la compter ! La langue de chez nous ? Elle doit aller de l’avant obligatoirement ! Nos langues maternelles ? Elles doivent progresser nécessairement ! » Le top est ainsi donné pour la rencontre de ce jeudi 27 janvier 2022. « Qu’avons-nous vu hier ? », demande la maîtresse. Réponse des apprenantes : « les voyelles ! ». « Combien il y en a-t-il ? », poursuit l’enseignante. Le temps d’un court silence, les apprenantes répondent 3,5 et 6. Albertine reprend alors la parole et cite les voyelles. « Nous avons six voyelles : a, i, u, é, з, ᴐ ». Après ce rappel, elle commence la leçon du jour.
L’image d’un cultivateur posée sur le ventre, Albertine fait le tour des apprenantes assises soigneusement dans leurs chaises toutes attentives, ardoises dans les mains. Comme à l’école primaire, les apprenantes sont invitées à dire ce qu’elles voient ce qui permet de déduire le reste des voyelles à étudier ce jour. « Aujourd’hui nous avons fait les voyelles é, з, ᴐ. Les apprenantes ont été invitées à les maîtriser en sachant les écrire, les lire obligatoirement. Nous avons déjà étudié trois voyelles hier (mercredi 26 janvier ndlr) et aujourd’hui nous en avons encore appris trois. Nous avons aussi fait un peu de calcul, nous avons compté jusqu’à 150 et nous avons écrit de 1 à 5 », fait savoir la facilitatrice, toute de bleue vêtue. En effet, après la découverte des lettres du jour, les apprenantes sont invitées à les répéter à plusieurs reprises et à les écrire les unes après les autres, sous le son de la dictée de la facilitatrice. Le temps d’une pause et c’est le tour des chiffres. L’une après l’autre, chaque apprenante participe au comptage des nombres de 0 à 150 en langue nationale Fon. Des plus simples au plus complexe, chaque nombre est abordé, voire répété afin de mieux le maîtriser, sous le regard attentif de l’enseignante. Cet exercice oral est suivi d’un exercice d’écriture des chiffres de 1 à 5 sur les ardoises. Loin des ambiances bruyantes des salles de classe, ici tout se fait dans le calme et dans la bonne humeur, taquineries et autres moqueries ne faisant pas défaut.
Après ces travaux, la facilitatrice fait une révision générale des notions abordées, notamment l’ensemble des voyelles de l’alphabet Fon : a, i, u, é, з, ᴐ. Pour que ces acquis ne soient pas perdus, dame Albertine utilise une méthode mnémotechnique basée sur un chant pour que les apprenantes puissent se rappeler de ce qu’elles ont appris. A l’unisson, pendant que certaines tapent les ardoises, Albertine pose le bâton qu’elle tient en main tour à tour sur chacune des lettres écrites sur le tableau. « Alphabet, que je ne t’oublie pas ! Alphabet de mon pays que je ne t’oublie pas ! (2 fois). Qu’il s’agisse du «a», je dois m’en rappeler ! Qu’il s’agisse du «i», je dois m’en rappeler ! Qu’il s’agisse du «u», je dois m’en rappeler ! Qu’il s’agisse du «é», je dois m’en rappeler ! Qu’il s’agisse du «з», je dois m’en rappeler ! Qu’il s’agisse du «ᴐ», je dois m’en rappeler ! », chantent apprenantes et maîtresse alphabétiseuse, d’une voix digne d’une chorale expérimentée. Ce cours d’alphabétisation est l’une des nombreuses formes d’alphabétisation qui existent.

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Alphabétisation, l’apprentissage tout au long de la vie sous ces diverses facettes

« Ces cours d’alphabétisation vont me permettre de savoir parler la langue Fon que je ne comprenais pas avant car je suis de Pobè. Ainsi, je pourrai mieux gérer mon commerce au marché et mieux discuter avec mes clientes », témoigne dame Fadima. Vêtue d’un tee-shirt marron clair posé sur un pagne au motif vert. Elle est l’une des huit apprenantes de Albertine, qui ne dira pas le contraire quant aux objectifs de ses enseignements. « Elles ont seulement besoin de faire les calculs pour la meilleure gestion de leurs activités génératrices de revenus. Et aussi pour savoir lier et échanger avec les personnes qui sont autour d’elles », fait savoir l’enseignante dans sa tenue locale. Les objectifs visés par ce cours d’alphabétisation correspondent à ceux de l’alphabétisation fonctionnelle dont l’optique est de doter les apprenantes de certaines compétences directement opérationnelles. A côté de cette forme, il existe aussi l’alphabétisation spécialisée orientée vers un métier précis, l’alphabétisation classique, l’apprentissage de la transcription, fait savoir Cyriaque Alavo, sociolinguiste et directeur exécutif de Besa-Ong. Les prochaines parutions reviendront en détail sur cette catégorisation.

Adjéi KPONON & Estelle DJIGRI

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