L’alphabétisation, contrairement aux autres branches de son sous-secteur, peine à sortir la tête de l’eau pour le bonheur des personnes dont les pieds n’ont jamais foulé le sol d’une école. Il est donc un secret de polichinelle que l’alphabétisation est le parent pauvre de son sous-secteur, au regard du budget consacré à l’exécution des projets et programmes du domaine. 0,38% du budget du Ministère des Enseignements Secondaire, Technique et de la Formation Professionnelle est consacré à ce pan non moins important du secteur de l’éducation destiné à des jeunes et adultes. Cependant, l’alphabétisation continue de tirer le diable par la queue en dépit des efforts fournis. Bienvenu dans ce deuxième épisode de la série d’articles consacrée à l’alphabétisation au Bénin, et qui met l’accent sur un pan de l’état des lieux actuels.
La promotion des langues nationales à travers l’alphabétisation en République du Bénin a connu trois époques, à commencer par l’époque coloniale. « Il y a la période coloniale et celle d’après les indépendances, c’est-à-dire avant 1972 où l’alphabétisation était faite pour des fins d’évangélisation. Elle était portée par des évangélistes, juste pour avoir des gens qui vont les servir, à pouvoir lire la Bible. Il y a eu ensuite les premières tentatives d’alphabétisation en français dans le département du Borgou avec un peu de succès parce que là aussi, il faut pouvoir communiquer avec le Blanc », rappelle Franck Arnauld Sèdjro, secrétaire exécutif du Réseau National des Opérateurs privés pour la Promotion des Langues Nationales (RéNOPAL). Après cette époque, il y a eu la deuxième qui s’étend de 1972 à 1990. Il s’agit ici de la période révolutionnaire où la révolution avait imposé l’alphabétisation de masse. « Tout le monde devrait s’alphabétiser. L’Etat avait pris cela comme une préoccupation. A cette époque, l’engagement de l’Etat était manifeste. Ce n’est donc pas une question de volonté. Vous devez vous alphabétiser. A cette période, les gens se sont alphabétisés mais ce n’est pas comme ce que nous voyons aujourd’hui où c’est spécifique, en fonction des métiers », conte le SE, visiblement épuisé par une journée chargée.
La troisième époque, c’est la période de 1990 à nos jours. L’avènement de la démocratie a fait le lit à une implication de la société civile dans la promotion des langues nationales. « C’est à cette période que l’Etat s’est doté d’une déclaration de politique d’alphabétisation qui a souffert un peu avant de commencer à être mise en œuvre grâce aux actions du RéNOPAL. Cette alphabétisation était fondée sur la stratégie du faire-faire. Un document cadre de mise en œuvre de cette stratégie a été élaboré », affirme le SE du RéNOPAL. Dans ce cas, l’alphabétisation ne se fait plus directement par l’Etat. Franck Arnauld Sèdjro fait savoir que l’Etat fait faire les opérateurs privés en alphabétisation. Mais il a gardé son rôle régalien de contrôle et de suivi de ce qui se fait. Ensuite, l’évaluation de l’apprentissage est faite également à la fin par l’Etat.
L’alphabétisation et son importance
Selon ce qui est retenu à la Conférence Internationale sur l’Education des Adultes (CONFITEA 5), l’alphabétisation est l’ensemble des processus d’apprentissage formel et non formel grâce auquel les individus jeunes ou adultes, hommes et femmes, apprennent à lire, écrire, calculer par écrit et enrichissent leurs connaissances. Il s’agit de savoir, de savoir-faire et de savoir-être. « L’alphabétisation améliore les aptitudes et qualifications professionnelles ou réoriente les alphabétisés en fonction de leur propre besoin et de ceux de la société dans laquelle ils sont. Il faut alphabétiser pour sortir d’un état de méconnaissance, d’ignorance d’un certain nombre de choses afin d’être au même niveau d’information, de réflexion, d’action de recherche que les autres citoyens qui sont alphabétisés », fait savoir Franck Arnauld Sèdjro, secrétaire exécutif du RéNOPAL.
En un mot, pour Charles Maximin Codjia, directeur de l’Alphabétisation et de la Promotion des Langues Nationales (APLN), est déclaré alphabétisé, celui qui est capable de lire et écrire en français ou dans une langue quelconque.
Dans le souci de renseigner davantage sur l’importance de l’alphabétisation, le SE du RéNOPAL illustre ses propos d’un exemple. « Lorsque vous alphabétisez les gens, ils ont un niveau élevé de réflexion et d’actions qui confond même ceux qu’on dit lettrés. Il y a des zones aujourd’hui, quand tu demandes ce qui cause le paludisme, ils disent que c’est le soleil. Ce qui est archi-faux et c’est surtout dans le milieu analphabète que cela se dit. Lorsqu’on leur dit de rendre au propre leur environnement, ils sont réfractaires. S’ils sont alphabétisés et qu’on leur démontre comment cela se passe, ce sont eux-mêmes qui rendront propre leur environnement immédiat. Des fois, les moustiquaires distribuées ne sont même pas utilisées. Et là, c’est un manque à gagner pour l’Etat », lâche Franck Arnauld Sèdjro du RéNOPAL. Par ailleurs, il cite en exemple la Chine, le Singapour et même le Rwanda qui, selon lui, avant de prendre leur décollage ont d’abord réglé le problème de l’analphabétisme. Au Bénin, les chiffres revèlent le vrai défis de l’alphabétisation.
Des chiffres qui parlent
En 2018, le rapport de synthèse de l’Enquête Régionale Intégrée sur l’Emploi et le Secteur Informel (ERI-ESI) estimait à 41,7 % le taux d’alphabétisation des 15 ans et plus dans n’importe quelle langue au Bénin, soit 52,3 % pour les hommes et 41,7 % pour les femmes. Le tableau ci-contre renseigne davantage sur ces chiffres. Selon Charles Maximin Codjia, (DAPLN), « on peut estimer à une quarantaine de mille les personnes alphabétisées au titre des campagnes passées parce qu’une campagne dure deux (02) ans ». En plus du financement national, ces résultats ont été possibles grâce à certains partenaires, notamment la coopération Suisse. Ce soutien helvétique a notamment permis d’impacter les populations du Borgou et de l’Alibori. Dans le cadre du Programme d’Appui à la Gestion Décentralisée de l’Alphabétisation au Bénin (PAGEDA), soutenu par elle, entre 2016 et 2020, renseigne son site vitrine, « 797 centres d’alphabétisation ont été ouverts, et quelques 22 618 apprenants (es) dont 13 158 femmes de treize (13) corps de métiers différents ont bénéficié d’un enseignement en cinq langues : le Baatonu, le Fulfuldé, le Dendi, Boo et le Yoruba. » En outre, le programme a permis « l’ouverture et l’animation de quatre-vingt sept (87) bibliothèques villageoises, fixes et itinérantes, qui permettent aux apprenants (es) de poursuivre l’apprentissage et de renforcer leurs acquis », indique la fiche technique du projet sur le site internet de l’institution de coopération. Avec ces chiffres qui parlent, les efforts s’orientent vers le développement de compétences effectives par les personnes alphabétisées.
Priorité à l’alphabétisation fonctionnelle
L’alphabétisation se présente sur plusieurs visages, selon les objectifs visés. L’option du Bénin est une alphabétisation liée à la formation professionnelle. « Cela veut dire que la personne alphabétisée doit être capable de lire, d’écrire, de compter, de concevoir tout ce qu’elle a à faire, à partir de la maîtrise de la langue. Donc, la langue est au service de la connaissance technique et technologique. C’est ce qu’on appelle l’alphabétisation fonctionnelle » a affirmé le DAPLN. Cette option du gouvernement a été réaffirmée à l’occasion de la célébration de la 56e Journée Internationale de l’Alphabétisation, le 8 septembre 2021. Kouaro Yves Chabi, ministre des Enseignements Secondaire, Technique et de la Formation Professionnelle, soulignait lors de son discours que les programmes d’alphabétisation seraient mutualisés avec ceux de « l’Enseignement Technique et de la Formation Professionnelle dans le but d’améliorer les compétences professionnelles des enseignants et des maîtres artisans à l’aide d’outils performants pour une meilleure adéquation des actions de formation avec le besoin du monde économique ».
Les nombreuses organisations de la société civile engagées dans le secteur agissent aussi en faveur de cette alphabétisation fonctionnelle. C’est le cas de l’ONG Assovie, qui développe aussi un programme d’enseignement du français fondamental.
« L’alphabétisation du français fondamental consiste pour Assovie, à donner la connaissance en lecture, en écriture et en de petit calcul à une personne analphabète tandis que l’alphabétisation fonctionnelle vise à donner à une personne, des notions spécifiques par rapport à son métier, sa formation, ou à son activité », a expliqué Charlotte Bah-Kpèvi, chargée du secteur Education de Base à Assovie. C’est dire donc que cette deuxième forme permet à une personne déjà en formation professionnelle de connaître le minimum relatif à son métier pour améliorer son activité.
L’autre particularité à Assovie, en ce qui concerne l’alphabétisation du français fondamental est qu’elle donne, à en croire les propos de sa chargée du secteur Education de base, la possibilité des cours accélérés aux enfants qui choisissent d’avoir le CEP et de continuer dans le système scolaire formel. « Au début, le but n’était pas d’aller à un examen. Mais dès que ces enfants commencent et qu’on découvre qu’ils ont des potentialités, on les réoriente vers la phase qu’on appelle le programme de cours accélérés », a-t-elle expliqué avant de poursuivre : « Le programme qui est fait au niveau de l’école formelle en 6 ans, est fait en 3 ans à Assovie. Ces enfants, au bout de 3 ans vont au CEP. Donc nous donnons à ces jeunes qui n’ont pas eu la chance d’aller à l’école dès l’âge approprié, d’avoir au bout de 3 ans leur CEP. Ce qui leur permet de poursuivre, s’ils le veulent, dans le système scolaire formel ou bien d’aller en formation professionnelle. » Une autre forme d’alphabétisation qui existe, c’est l’apprentissage des langues nationales. Mais Charlotte Bah-Kpèvi informe que Assovie n’est pas engagée dans ce domaine. Elle précise par ailleurs que ces différents programmes de l’ONG sont ouverts uniquement aux jeunes de 08 à 18 ans. Lesquels programmes, à l’en croire, ne sont pas sans conséquences positives sur le Bénin. Pour la responsable de l’éducation de base à Assovie, les habitudes des personnes un peu instruites sont quasiment différentes de celles des personnes n’ayant jamais mis pieds ni à l’école, ni dans un centre d’alphabétisation.
Malgré tous ces efforts et l’impact positif de l’alphabétisation, tout comme de l’éducation, le secteur rencontre de nombreuses difficultés qui handicapent son développement.
La Rédaction