Nos dirigeants ont un rôle vraiment difficile, multiforme et complexe. Les contradictions sont multiples. Des égoïsmes exacerbés et d’innombrables soucis corporatistes frappent de plein fouet toute vision stratégique, même bien tracée. Croyant ou mécréant, on se surprend enfin à comprendre toutes les péripéties vécues par Moïse conduisant les Hébreux hors d’Égypte : il est si ardu de parler d’une même voix et de regarder dans la même direction. Mais, il s’agit de trouver la solution.
En même temps, il faut ouvrir les yeux sur des situations qui touchent d’autres personnes de moindre degré dans l’échelle sociale. Elles cherchent à comprendre objectivement ce qui se passe depuis un certain moment. Je voudrais ici m’adresser aux spécialistes des questions éducatives qui se retrouvent dans votre journal de référence.
La situation des Aspirants au Métier d’Enseignant (AME) est un sujet brûlant de l’éducation nationale. L’actualité immédiate de ces enseignants est très mouvementée et diversement interprétée. On semble se diriger vers une querelle de chapelles. Certains vont noircir le tableau en soutenant que la rupture a créé une grande précarité pour ces enseignants. D’autres voient un tableau blanc où la rupture est le sauveur de ce corps en perdition !
Notre modeste contribution consiste à dépassionner le débat. Affirmons d’abord que la solution n’est pas immédiate. Il ne s’agit pas seulement de consolider et d’affermir le rôle des AME et ensuite de reposer la problématique de la promotion de l’éducation à travers le triptyque Gouvernance-qualité et équité !
La question essentielle est la suivante : y a-t-il un problème avec les AME ? Certes oui. Est-ce qu’il concerne l’Etat béninois actuel ? La réponse est affirmative. Mais, curieusement, là n’est pas la question principale. La question fondamentale est la suivante : comment en sommes-nous arrivés en quelques décennies en Afrique à cette gestion difficile voire quasi désastreuse des enseignants ? Comment ces enseignants garants de la qualité de notre éducation à qui on vouait un respect quasi sacré, sont devenus aujourd’hui les victimes de la déchéance de notre éducation ?
J’ai cherché à comprendre. Parcourant l’actualité béninoise, les forums médiatiques nationaux et internationaux, je n’ai pas vraiment trouvé de véritable réponse. Mais une chose est sûre : l’histoire est partout la même dans une grande partie de l’Afrique, qu’on soit au Sénégal, en Guinée ; qu’on aille au Cameroun ou qu’on atterrisse au Congo, on trouve partout des enseignants aux noms divers et variés que je n’ai pas eu le temps d’inventorier : vacataires, contractuels, volontaires etc. Ceux-ci sont venus combler un manque qui est apparu à partir des années 1980. À qui la faute ?
Le Sénégal fut le premier pays à recourir à un type d’enseignants qu’il s’agissait de payer moins cher au regard des contraintes qu’imposaient les Programmes d’Ajustement Structurels (PAS) en Afrique. Tous les autres pays africains ont suivi le processus dans un contexte de moyens limités. Depuis, la gestion des enseignants est devenue et demeure le problème majeur à résoudre pour une réelle qualité de l’éducation. Comment des gens qui dispensent le même savoir sur toute l’étendue d’un territoire peuvent percevoir un salaire différencié qui ne tient ni à l’ancienneté, ni aux diplômes ? La seule réponse, c’est les moyens notamment financiers.
Je m’autorise à évoquer ce sujet car j’ai eu à soutenir un master dans un pays lointain sur ce sujet sans pour autant trouver une solution qui nécessairement devrait résider à terme, dans une unification du corps des enseignants. À qui la faute chez nous ?
Rappelons qu’au Bénin, cette multiplicité de type d’enseignants a connu des situations et des solutions différenciées : à chaque fois, face à la situation créée, les gouvernants ont eu à administrer du paracétamol, parfois à très forte dose sans éradiquer le mal : on est passé par les contractuels, les communautaires pour arriver aux vacataires avec les mêmes problèmes de pénurie, de médiocrité et de revendications catégorielles diverses. Et à chaque fois qu’on satisfait les revendications, d’autres naissent. On se rend donc compte qu’en réalité, la situation de diversification des enseignants vient de très loin.
On comprend alors pourquoi les dirigeants actuels ont eu le mérite de vouloir pacifier et rationaliser le milieu en faisant disparaitre un corps d’enseignants difficile à gérer à savoir les vacataires. La question aujourd’hui est de savoir si les AME sont la solution et si l’histoire sans fin de revendications, de permissions et de concessions ne va pas recommencer à se répéter à l’infini. En même temps, la demande d’éducation continue à être exponentielle dans des pays où nous n’avions pas de moyens d’un recrutement aussi massif pour faire face. En définitive, pour une qualité de notre éducation, dépassionnons le débat et cherchons ensemble les voies et les moyens de l’unité d’un corps qui a tant souffert et qui mérite un apaisement dans la durée.
Maoudi Comlanvi JOHNSON, Planificateur de l’Education, Sociologue, Philosophe