Le jeudi 1er août 2024, le Bénin a commémoré les 64 ans de son accession à la souveraineté nationale. Mais après plus de 06 décennies, le système éducatif béninois bat toujours de l’aile. Ce qui implique que les gouvernants doivent investir sur des chantiers précis pour une éducation plus performante, à en croire certains acteurs.
Nassirou Domingo, président de la Fédération des Associations de Personnes Handicapées du Bénin
« Le seul système à mon avis qui ait marché, est celui de l’école nouvelle égale à unité de production »
«Plusieurs systèmes éducatifs ont été mis en œuvre par des gouvernements successifs. Le seul système à mon avis qui ait marché, est celui de l’école nouvelle égale unité de production. Ce système permettait à l’apprenant, en même temps qu’il est à l’école, d’apprendre d’autres métiers. Tout le reste du système à contribuer à former des chômeurs qui sont transformés en des criminels économiques. J’approuverai le système actuel qui met l’apprentissage au cœur du système par la création des lycées techniques. Les chantiers qui restent à mon avis, à faire, seront que l’éducation soit inclusive afin de permettre à tous, d’avoir accès à l’éducation. Ensuite mettre dans les curricula de formation que la théorie et la pratique aillent de pair et que l’école soit dotée d’enseignants compétents. »
Boniface Guidi, inspecteur de l’enseignement secondaire à la retraite
« Le gouvernement est sur le bon chemin mais il faut qu’il se donne les moyens »
«De l’indépendance à nos jours, notre système éducatif est toujours en construction. Plusieurs réformes ont été entreprises mais n’ont pas donné les résultats escomptés. Seule la première réforme des côlons qui consiste à former des « akowé » qui servent d’interprètes a, plus ou moins, marché car le Bénin a donné beaucoup plus de cadres. A part cela, plusieurs réformes ont eu lieu mais nous n’avons pas les moyens de ces réformes. La planification était insuffisante et le développement démographique est largement en avance sur le développement du système éducatif. Le système n’est pas encore à la hauteur de l’ambition de développement que nous avons. Le gouvernement actuel est sur le bon chemin mais il faut qu’il se donne les moyens de sa politique. Il faut diminuer le système qui consiste à former les intellectuels qui ne savent rien faire de leur main et professionnaliser notre système. C’est une bonne chose que le gouvernement décide d’inverser d’ici 5 ans, la tendance pour un effectif largement supérieur dans l’enseignement technique, mais si cela ne se planifie pas, nous allons former une pléthore de techniciens sans travail. Il faut trouver le circuit pour absorber ceux qui seront formés et diversifier autant que possible, les formations techniques. Si nous ne formons pas d’ingénieurs capables de développer, de construire les usines, de faire les routes et qu’il faut toujours faire appel à des expatriés, cela va toujours nous revenir trop cher et nous ne pouvons pas nous développer réellement. Il faut accentuer la planification et prévoir les infrastructures en conséquence. Après cela, il faut la formation des formateurs, un corps d’encadrement suffisant, des matériels pédagogiques et éducatifs suffisants pour que l’offre éducative soit très efficace et performante pour être à la hauteur de l’ambition de développement du gouvernement. Si nous avons suffisamment de cadres, le développement va suivre. Il faut des moyens bien sûr mais la politique doit être dans le sens de professionnalisation du système. Le gouvernement est sur le bon chemin mais il faut qu’il se donne les moyens. »
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Professeur Yélindo P. Houessou, 1er Vice-recteur de l’UAC
« Ce qu’il y a à faire ne pourra pas se passer de la prise en compte totale de l’identité culturelle béninoise »
«De 1960 à 2024, cela fait 64 ans que le système éducatif béninois fait son petit bonhomme de chemin mais n’a pas encore atteint la sagesse. Sans doute, il y a des choses perfectibles, des choses à faire mais il faut quand même saluer les petites avancées qui sont faites.
A titre personnel, la période de réforme de notre système éducatif que j’ai trouvée la plus pertinente, est l’école révolutionnaire dont la mise en application effective a commencé de 1975 jusqu’en 1989. Evidemment, l’école révolutionnaire avait sur le fond, une belle idéologie, une belle philosophie, une bonne structuration et des idées éducatives pertinentes. La mise en œuvre a un peu pêché et les faiblesses qui ont été relevées au niveau de cette école, peuvent être améliorées aujourd’hui. En tant que critique des systèmes éducatifs, l’un des éléments les plus fondamentaux, essentiels à corriger, à améliorer, reste l’arrimage de toute l’architecture, de toute la philosophie éducative à notre identité culturelle. Pour cela, nous sommes forcément obligés de faire appel à l’histoire parce que l’identité culturelle de l’individu se reconnaît à travers trois facteurs que sont les facteurs historique, linguistique et psychologique. Rien que le facteur historique nous permet de nous rendre compte que nous avons suffisamment de pendules à remettre à l’heure. Il y a encore à faire et ce qu’il y a à faire ne pourra pas se passer de la prise en compte totale de l’identité culturelle béninoise qui doit nécessairement ressortir dans notre manière de penser notre système éducatif. Il appartiendra donc à des spécialistes de donner corps à cette philosophie à travers les contenus qui sont véhiculés depuis le primaire jusqu’à l’université. Nous devrons adapter le contenu de l’offre de formation au type d’hommes que nous voulons former. Avec notre système actuel dont les racines sont complètement enfoncées dans une civilisation européenne, il est normal que nous ayons des citoyens à peau noire, masque blanc. Il est nécessaire de ressortir les éléments historiques qui permettent de redonner aux béninois, le sentiment de son appartenance à une histoire puissante, crédible et à une civilisation qui a tout apporté à l’humanité. Nous devons relever nos langues nationales et montrer que nous pouvons véhiculer la science à travers elles. Nous devons être plus confiants en nous-mêmes et rejeter cette idée selon laquelle sur le plan historique, l’africain, le béninois, n’a rien apporté à la marche du monde et que nos langues sont tout ce qu’il y a de péjoratifs dans la désignation de l’expression linguistique qui est la nôtre. Le sentiment qui nous est renvoyé au quotidien, n’est pas un sentiment positif. Nos femmes ont honte de leur couleur de peau et de leurs cheveux, les hommes ont honte de ce qu’ils sont, et tous ont envie de ressembler aux occidentaux, aussi bien dans la forme physique, que dans la culture. Pourtant au regard de l’histoire, l’africain devrait considérer sa couleur de peau comme un don de Dieu, il devrait être fier de pouvoir se présenter à travers son prénom africain, fier de tout ce qu’il a pu apporter à l’humanité. Hélas ! Donc, s’il y a des chantiers sur lesquels on peut envisager de travailler pour une renaissance béninoise à travers le système éducatif, c’est à travers la correction des contenus des manuels scolaires et supports pédagogiques, qu’ils soient à la maternelle, au primaire, au secondaire comme à l’université. »
Charles Codjia, directeur de l’Alphabétisation et de la Promotion des Langues Nationales
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« Ce que je souhaite pour mon pays, c’est que l’éducation soit bilingue »
«Je serai trop prétentieux de parler du visage d’un ensemble. Mais globalement, l’éducation au Bénin a évolué en fonction de la situation socio-économique et politique. Dans les années 60, les ambitions étaient de faire des cadres qui devraient être au service de l’administration publique. Et il y a eu beaucoup de formations de cadres qui ont été répartis dans les administrations, les ministères pour être utilisés. À partir des années 72 à 80, nous avons parlé d’école égale à unité de production où l’enseignement général classique était en même temps fait avec la formation pratique sociale, culturelle, ou de l’agriculture, etc. Mais cette vision de l’éducation a commencé à s’essouffler. Et à partir de 1981, l’État ne pouvait plus être le seul pourvoyeur d’emploi. Donc l’école qui formait du personnel pour l’administration publique, doit nécessairement changer d’orientation et c’est à ce moment que nous avons commencé à parler de chômeurs dans notre pays. Et nous avons commencé à dire qu’il faut être formé à l’auto-emploi. La formation à l’auto-emploi a généré des cadres qui ont réussi à créer leurs entreprises, mais ils ne sont pas nombreux. Mais progressivement aussi, ces entrées ont commencé à se fermer. Avec la rupture, il y a encore une autre vision de l’éducation. D’abord, la formation de l’homme, la formation à l’auto-emploi d’accord, mais la priorité aujourd’hui est accordée à la formation professionnelle. Au regard de ce qui se passe dans dans certaines grandes entreprises, nous nous rendons compte que les besoins en formation professionnelle deviennent de plus en plus importants. Parce que les industries de transformation qui vont être installées dans notre pays, auront besoin de main d’œuvre. Donc, la stratégie de l’EFTP mise en place est l’élément sur lequel nous devons nous appuyer pour développer des connaissances pointues au niveau de nos apprenants. Et le sous-secteur ESTFP offre la possibilité d’intégrer les centres de formation professionnelle, les lycées techniques. Ceux qui sont allés peu ou pas à l’école, l’alphabétisation leur permet d’accéder à la connaissance et de retourner dans le système ou de passer par ailleurs pour être réellement formés professionnellement dans les Centres de formation professionnelle des Artisans.
L’éducation aussi, c’est respecter les normes de l’État, les lois etc., et pour faire respecter ces lois, l’État a recruté des enseignants, mais il a aussi développé la police qui permet d’obliger les gens à être corrects dans la vertu, le respect du bien public. Tout ceci permet d’avoir une vision plus holistique de l’éducation. Les facultés pleines de nos universités ne sont plus encouragées, l’université qui est à encourager, c’est celle qui aboutit à la formation professionnelle, à l’accès à un emploi qui pourrait générer un revenu pour notre pays. Mais ce que je souhaite pour mon pays, c’est que l’éducation soit bilingue, le langage de la technologie est l’anglais. Et si nous voulons avoir accès à la technologie de pointe, avoir la capacité d’innover, nous sommes obligés aujourd’hui de passer par l’anglais tout au moins. Et la stratégie de l’alphabétisation en cours de rédaction veut conduire à un trilinguisme ou un bilinguisme. A la population béninoise, je dirai 64 ans, c’est beaucoup mais peu pour un pays. Si nous savons que beaucoup de pays se sont construits après un siècle, nous avons encore à faire et il faut que chacun de nous contribue au développement du pays sans penser à ce que l’autre fait de mauvais. Et nous devons savoir que nous devons faire preuve de sacrifice. »
Estelle DJIGRI