L’école béninoise pendant longtemps extravertie à travers l’instruction exclusive dans les langues étrangères se normalise, puis va s’affermir grâce à l’introduction des langues nationales dans le système éducatif formel. Six (06) langues pour la phase expérimentale aux fins de former à la longue un modèle de citoyens mieux aguerris, entreprenants et plus ouverts au monde avec une bonne dose de connaissances de ses propres réalités. Cet idéal qui rime avec la nouvelle marche du Bénin vers le développement, les ministres Eric N’DA et Jean-Michel ABIMBOLA l’ont partagé avec l’ensemble des participants au lancement officiel de l’introduction des langues nationales dans le système formel.
Vendredi 25 Octobre 2013 ; il sonnait 15 heures 30 minutes. Dans la salle 6 logée dans l’enceinte de l’Ecole Nationale des Instituteurs d’Abomey (ENI-Abomey), trente (30) écoliers dont les visages innocents renseignent mieux sur leurs jeunes âges, entre 3 et 5 ans, s’accommodent fort bien avec cette jeune expérience de l’école bilingue au niveau primaire. Sur un tableau noir, il est écrit dans l’angle gauche et en langue locale fongbé la date du jour : Cette nouvelle démarche à caractère pédagogique qui tranche avec l’ancien système annonce déjà la révolution qui se profile à l’horizon. Dans leurs uniformes kaki de petite taille et sous la direction de Cyprien Assogba H., l’un des 120 instituteurs formés par l’Etat béninois pour conduire la phase expérimentale de l’une des six langues nationales dans les 30 écoles retenues sur l’ensemble du territoire national, ils s’emploient en langue fongbé, à identifier des objets et vêtements disposés à l’occasion ainsi que des parties de leur corps. « Olivier, wa fi ! », lance l’instituteur, debout à l’entrée de la salle. Un jeune écolier, vif, se dirige vers lui. « Xle mi tato wé ? », demande-t-il. La réaction de l’écolier a été prompte. Il montre sa tête, jouissant des acclamations de ses collègues. « Olivier, hlè mi yonu si awu ? », reprend l’instituteur et l’apprenant, à nouveau, de lui exhiber l’habit de femme. Cet exercice de démonstration en langue fonbgé très excitant, est le résultat de trois (3) semaines de cours avec les écoliers, a indiqué M. Cyprien Assogba. Il précise, ensuite, qu’à l’étape actuelle de la phase expérimentale, les apprenants ne sont pas encore formés pour parler la langue, mais plutôt pour identifier et reconnaître des objets à travers les gestes. Il s’agit, à tout point de vue, d’une bonne entame saluée par le Ministre des Enseignements Maternel et Primaire, Eric N’DA, et son collègue de la Culture et de l’Alphabétisation, Jean-Michel ABIMBOLA, qui, unanimement, ont apprécié la qualité du travail.
Une entame largement saluée
D’ailleurs, à l’occasion de la cérémonie de lancement officiel de l’introduction des langues nationales dans le système éducatif formel organisée, le même jour, dans la grande salle de conférence de l’ENI-Abomey, Eric N’DA a indiqué que la présente cérémonie est innovatrice en cela qu’elle permet de capitaliser et de rentabiliser les efforts consentis depuis plusieurs années pour l’effectivité des langues nationales dans le système éducatif formel. Selon lui, depuis 1990, les différents gouvernements ont fortement émis le vœu d’introduire les langues nationales dans le système formel. A cet effet, a-t-il poursuivi, des dispositions légales sont formulées et des textes élaborés pour réaffirmer la pertinence de l’introduction des langues nationales. Mais beaucoup d’obstacles ont dû freiner les élans par le passé. Mieux vaut tard que jamais ! « Toutes les langues feront objet d’introduction progressive dans le système éducatif formel », a dit le ministre avant de réaffirmer l’engagement du gouvernement du Bénin à jouer pleinement sa participation dans la réussite de ce nouveau chantier qui vient révolutionner le système éducatif béninois.
A en croire le Ministre de la Culture et de l’Alphabétisation, Jean-Michel ABIMBOLA, l’intérêt d’introduire les langues nationales dans le système éducatif formel n’est plus à démonter. Cette initiative, selon lui, vise la promotion d’une éducation bilingue à travers l’introduction des six langues. « Désormais, nous abandonnons le signal qui est un frein pour la valorisation et la promotion de nos langues nationales », a-t-il dit aux participants à cette cérémonie constitués du Préfet des départements de Zou/Collines, des directeurs départementaux de l’éducation et de la culture, des cadres des ministères concernés, des Conseillers pédagogiques, des Inspecteurs, des acteurs de l’école, des têtes couronnées et sages de la ville historique d’Abomey.
L’adhésion des enseignants formés
Mme Sossouhounto, directrice d’école et porte-parole des enseignants formés pour conduire la phase expérimentale dans les écoles, a déclaré qu’ils ont été formés pendant 34 jours à raison de 10 jours pour la maîtrise de la transcription dans les langues maternelles, 14 jours pour l’appropriation des outils pédagogiques et 10 jours pour la méthodologie d’encadrement des apprenants. « A travers cette formation, nous avons été outillés et aguerris pour réussir la phase expérimentale de l’introduction des langues nationales dans le système formel », a-t-elle confié.
Cet événement fort simple mais accrocheur a été marqué par le chant de l’hymne national repris en chœur et en langue fongbé par les participants, la couverture artistique par la troupe Sèmevô d’Abomey, une troupe composée essentiellement de jeunes garçons et filles qui ont fait montre d’une parfaite maîtrise du rythme Zinli.
A la découverte d’un enseignant expérimentateur
Cyprien ASSOGBA HOUEHANOU, est enseignant expérimentateur en contexte vie publique. Il est en service à l’EPP HOUNLI A dans la municipalité d’Abomey. Il tient une classe de 64 écoliers « pour le moment » comme il le précise bien. Entré par effraction dans le métier d’instituteur, Cyprien ne s’en cache nullement. « Je ne suis pas arrivé dans l’enseignement par vocation. C’est par contrainte», affirme le maître du CI de l’EPP HOUNLI A, un homme svelte au teint café, affable et souriant. Les commissures de ses lèvres séchées témoignent de l’aridité de son cadre de travail. Son langage fluide et éloquent atteste de la qualité de sa formation intellectuelle.
Le BAC Zémidjan
Titulaire du BAC BG en 1988 au CEG1 Abomey, Cyprien a connu les mauvaises faces de la FAST à l’Université d’Abomey-Calavi où il s’était inscrit en Physique-Chimie. Après avoir humé l’air à l’UAC, il a pris la route de l’aventure en Côte-d’Ivoire. Le malheur n’arrivant jamais seul, il a fait mauvaise fortune et de retour en 1993, il a embrassé le métier de Zémidjan pour 3 ans. « Un jour, épuisé par les péripéties du métier, je me suis posé la question de savoir si j’avais toujours le niveau d’un bachelier. Et dans mon fort intérieur, j’ai répondu oui. Alors j’ai décidé de me tester. De là, je m’étais encore présenté au BAC D. Et en 1996, j’ai décroché le Bac D que j’ai baptisé « Bac Zémidjan », nous a confié Cyprien. Cette nouvelle réussite a changé le cours de son histoire. Une histoire qui l’a conduit vers les concours d’enseignement à l’école primaire où il fut retenu sans grande difficulté. Affecté à l’EPP AGNAGNAN, il y forgea ses premières armes d’instituteur et huit (8) ans après, il fut parachuté dans une dépression d’Abomey appelée DETOHOU pour se retrouver ensuite à l’EPP TOHIZANLY.
17 ans d’expérience
Son nouveau poste EEP HOUNLI A, le reçoit après 17 ans d’enseignement au niveau primaire. Identifié pour son amour de sa langue maternelle, Cyprien a affûté ses armes linguistiques grâce à sa foi chrétienne. « Comme je suis chrétien et que chaque fois on a les textes en langue nationale fon à lire, j’ai commencé à former les fidèles, ensuite mes enfants. C’est ainsi que j’ai eu la maîtrise de ma langue sans savoir qu’un jour, tout cela va me valoir une sélection nationale », nous a expliqué l’enseignant expérimentateur.
Les premières impressions de l’enseignant
expérimentateur
L’expérimentation du fongbé à la rentrée du 3 Octobre dernier est une réalité à l’EPP HOUNLI A. « Je note, en trois semaines de travail, une grande différence dans la mesure où les enfants qui comprennent déjà leurs langues, ne se gênent plus avant de comprendre le message que je leur porte. Il est vrai qu’il y a certains mots qui leur échappent sinon, ils ont une idée précise des choses. Les enfants sont plus éveillés qu’avant. Quand on les enseigne dans leur langue, ils sont contents. Pour eux, il n’y a pas une grande différence entre la maison et l’école», a témoigné le maître de CI avant d’ajouter : « les premières notions enseignées sont l’acquisition des connaissances, l’acquisition de nouveaux mots. L’enfant réagit par rapport à un ordre donné par l’enseignant. L’enfant apprend à réagir à un ordre sans parler. Cette réaction est plus éveillée qu’auparavant et encore plus motivée ». Cyprien ASSOGBA, fort de ses 17 ans d’expérience dans l’enseignement primaire, conclut que l’enfant qu’on peut aider à lire et à écrire sa langue maternelle, l’enfant là a des chances d’évoluer.
Avis des participants
Eric N’DA , Ministre des Enseignements Maternel et Primaire
Comme vous pouvez le voir, je suis fier et heureux. Heureux parce que cette fois-ci, nous avons pu surmonter d’une manière ou d’une autre, les quelques difficultés qui nous empêchaient d’introduire nos langues dans le système formel. Ce sont des sentiments de joie et de satisfaction qui m’animent aujourd’hui. Mais je sais que le défi est encore grand. Nous devons donc nous mobiliser, tous comme un seul homme, pour que nous introduisions complètement les langues à l’école et ce, de façon scientifique. C’est pourquoi je dis qu’on voit la lueur dans le tunnel mais nous devons encore beaucoup travailler pour voir le bout du tunnel.
Sa Majesté le roi AGOLI-AGBO
C’est un grand jour. C’est un jour de grande joie. Je salue tous ceux qui ont œuvré pour qu’un jour, cet évènement soit une réalité. Je suis d’autant plus comblé que c’est le territoire de dada Béhanzin qui accueille le lancement officiel de l’introduction des langues nationales à l’école et ce, de mon vivant. Je bénis cette cérémonie en affirmant qu’on ne dira jamais dans ce pays : « on avait déjà lancé cette histoire une fois! ». Ce sera un point de départ irréversible avec toutes mes bénédictions et celles de nos ancêtres. C’est une action de grâce et parce que la langue fonbgé est la plus parlée ici au Bénin, du nord au sud, de l’est à l’ouest, c’est un motif supplémentaire de fierté. Ma joie n’est donc que fierté, « Aboméyen » que je suis !
Jean-Michel ABIMBOLA , Ministre de la Culture, et de l’Alphabétisation
Le rêve tant nourri par les Béninois pour une éducation bilingue, langue nationale – langue française, s’est enfin concrétisé. A partir de ce jour, désormais historique, nous allons définitivement abandonner le signal pour réfléchir et concevoir le développement dans nos langues. L’une des vocations essentielles de l’école aujourd’hui est d’adapter l’individu à son milieu. On comprend alors, la place de choix, le rôle fondamental que doivent jouer les langues maternelles. La langue maternelle favorise le développement psycho moteur, cognitif et affectif de l’enfant. Aujourd’hui, plus qu’une ambition idéologique, l’utilisation des langues à l’école formelle est une exigence pédagogique. J’invite donc toutes les structures des différents départements ministériels à travailler en synergie mais aussi, les partenaires sociaux, les parents d’élèves ainsi que les conseils communaux abritant cette expérimentation, à accompagner le processus dans la perspective d’atteindre les objectifs poursuivis dans l’intérêt supérieur de la Nation béninoise.
Bernardin AHOLOUKPE, Point Focal Elan-Afrique-Bénin, Inspecteur Général au MEMP
Aucun peuple n’a réussi à se développer sans prendre appui sur ses langues et sa culture. Ma joie aujourd’hui est incommensurable et je remercie tous ceux qui ont mouillé le maillot pour la réussite de cette noble mission. Cette phase expérimentale qui vient de s’ouvrir s’appuiera sur les expériences pertinentes qui ont eu lieu dans notre pays, sur l’expertise nationale et internationale. Il s’agira fondamentalement de conjuguer avec toutes les compétences pour une école de qualité.
Albert ADAGBE , DC MEMP
Je dégage aujourd’hui de la fierté parce que, au moins, ça démarre. C’est un processus à améliorer de façon progressive et continue. Désormais, je reste convaincu que nous aurons des enfants très éveillés dans les classes. C’est une phase expérimentale que tout le monde doit accompagner pour qu’elle se développe. J’exhorte ceux qui sont frustrés, pour dire ceux dont les langues n’ont pas été choisies, à prendre leur mal en patience. On ne peut pas faire une expérimentation sur toutes les langues à la fois. Ce départ donne l’occasion à tout le monde de développer les curricula dans sa propre langue. Le gouvernement a l’obligation d’accompagner toutes nos langues d’intercommunalité. C’est une prescription constitutionnelle. Je déborde donc de joie pour ce nouveau départ.
DAH GUEDOU
Vous connaissez ma vision pour nos langues nationales. Ce que nous avons longtemps cherché est arrivé si facilement à mes yeux que je me demande si effectivement, je suis réveillé de mon sommeil. Je suis comblé et heureux. La langue est l’expression de l’âme du peuple et nos langues ont des chances extraordinaires. Je l’avais déjà dit, à la rentrée 2013-2014, vous pouvez chanter, rire, dire tout ce que vous voulez dans vos langues, personne ne vous sanctionnera. Les langues maternelles chasseront le signal. La langue et la culture sont deux outils, deux vecteurs, deux fondamentaux sans lesquels, il n’y a pas de mouvement, il n’y a pas de participation et donc pas de développement. Merci à tous !
Aristide ADEBAYOR ADJIBONOU ,CT à l’Alphabétisation et à la Promotion des Langues Nationales du Ministre de la Culture, de l’Alphabétisation
Après une si longue attente, je suis satisfait aujourd’hui. Je ne peux que me réjouir en notant que l’effectivité de la rentrée des langues nationales s’observe aujourd’hui. Car les meilleurs résultats obtenus ici et ailleurs sont assez symptomatiques de la qualité de l’éducation avec les langues nationales. Il va sans dire que nous devons prendre les mesures pour que cela puisse se faire dans de meilleures conditions, que les enseignants puissent dérouler les cours comme cela est attendu, et que nous puissions évaluer réellement comme cela se doit afin d’être sûr de pouvoir généraliser au bout du rouleau. Il y a une synergie d’actions entre le MCAAT et le MEMP qui concoure au rayonnement des langues nationales à l’école.
OROU MERE SANNI , Chef Service Introduction des Langues Nationales dans le Système Educatif Formel
Mon état d’âme est que je suis en pleine joie parce que c’est un évènement inédit, inattendu. C’était la vision de notre pays depuis des années mais ça n’a jamais pu se réaliser. Aujourd’hui, nous avons sauté les barrières, travaillé en équipe et gagné la bataille. C’est vrai la guerre n’est pas encore finie. Il faut continuer le travail avec le groupe pluridisciplinaire composé de pédagogues, linguistes, didacticiens, trouver le cadre adéquat pour mettre à disposition tous les outils qui accompagneront ce processus. La tâche n’a pas été aisée pour en arriver là où nous sommes aujourd’hui. C’est le lieu de saluer le patriotisme des uns et des autres. Restons mobilisés pour les prochaines victoires !