La situation que traverse l’école à Karimama préoccupe les autorités locales. Au détour d’une conférence de presse qu’il a animée à Parakou il y a de cela quelques semaines, le Maire Amadou Bello a décrié l’état agonisant dans lequel se trouve l’école dans sa commune et a invité les autorités à divers niveaux à jouer leur partition pour la sauver.
Plus rien ne va à Karimama en matière d’éducation. C’est du moins le cri d’alarme donné tout récemment par la première autorité de cette localité Amadou Bello lors d’une rencontre à Parakou avec les professionnels des médias. Les raisons de cette dénonciation sont bien connues. Dans cette entité géographique située à près de 640 kilomètres de Cotonou, les enseignants se font désirer à leur poste. Nombreux sont ceux qui, une fois affectés dans les écoles mettent tout en œuvre, en complicité avec les autorités départementales pour être réaffectés dans d’autres communes. La plupart du temps, dénonce le maire Bello, ce sont des affectations fantaisistes. L’autre nœud gordien est le manque criard d’écoliers dans les salles de classe.
A Bogobogo tout comme à Koaratédji, malgré la politique de gratuité des enseignements maternel et primaire, l’effectif des apprenants n’évolue qu’à pas de tortue. Sinon comment comprendre qu’àprès cinquante années d’existence, le CEG de Karimama continue d’être un collège à premier cycle. Un véritable calvaire pour les collégiens qui ont la chance de franchir le cap de la classe de troisième et qui sont condamnés à poursuivre leurs études loin de leurs géniteurs soit à Kandi, soit à Malanville.
Le système de jumelage
Le manque criard d’enseignants et d’écoliers dans les salles de classe à Karimama contraint souvent les responsables de la circonscription scolaire à opter pour le système des classes multigrades. Une pratique qui consiste à regrouper dans une même classe et sous l’autorité d’un seul et même maître des apprenants de différents cours : c’est la classe multigrade. Chaque année, même si les rendements scolaires ne comblent pas les attentes (Karimama ayant été régulièrement dernier du Bénin aussi bien au CEP qu’au BEPC) le phénomène prend de l’ampleur. En 2009-2010, 33 écoles à classes multigrades sur les 44 que compte la commune ont été dénombrées dans les deux zones pédagogiques de la circonscription scolaire de Karimama. Les années suivantes, ce nombre a pris de volume avec le départ de certains instituteurs et le refus d’autres de rejoindre leur poste après les différentes mutations intervenues. La plupart des classes multigrades, sont constituées pour le mieux de deux ou trois cours. Au pire des cas, quatre voire cinq cours sont à la fois jumelés. Mais la situation varie d’une école à une autre. A l’école primaire publique (EPP) de Banikanni, une des quatre écoles pilotes de la circonscription scolaire dans le cadre du projet initié par l’Ong World Education, c’est le cours élémentaire deuxième année (CE2) et le cours moyen deuxième année (CM2) qui cohabitent. Et à en croire le directeur de cette école et titulaire de ladite classe qui a requis l’anonymat « le déroulement des cours ne pose aucun problème parce que nous avions reçu des formations et recyclages dans ce sens ». La réussite du déroulement des situations d’apprentissage dans de pareilles classes dépend de la manière dont la fiche a été conçue. « Lorsque la fiche est bien bâtie, pour la dérouler, il ne se pose aucun problème. Au contraire ça fait gagner du temps » a-t-il expliqué avant d’ajouter « c’est facile de le faire.
Le maître se gêne peu. Les classes tournent. Et aucune d’elles n’est lésée ». Un point de vue que ne partage pas entièrement le Conseiller pédagogique Brahima Houmbaguéré SABI qui a laissé entendre que : « cette pratique fatigue plus l’enseignant qui, au lieu d’une seule classe doit désormais gérer deux ou trois voire plus ». Toutefois, ce responsable du corps de contrôle a fait observer que « le jumelage des cours ne constitue pas un obstacle pour le corps de contrôle surtout lorsque les cours se déroulent dans le même champ de formation ».
Presque deux gouttes de larmes !
Un peu plus loin, à l’école primaire publique de Koaratédji, située à environ deux kilomètres de Banikanni, la situation est identique à la seule différence que le nombre de cours logés ensemble est plus élevé. Dans ce lieu du rendez-vous du donner et du recevoir, à l’exception de la classe de CE1 qui n’est pas ouverte, le Directeur Issiaka Alla-Béidou, seul enseignant dans le village doit assurer dans l’unique salle de classe opérationnelle l’encadrement des cinq cours restants. Une situation à laquelle Issiaka Alla-Béidou ne trouve pourtant pas d’inconvénient dans la mesure où « l’effectif réduit des écoliers dans les différents cours et la rareté du personnel enseignant ne favorisent pas l’ouverture de toutes les classes. Et les quelques unes qui le sont, nous sommes obligés de les mettre ensemble. Les cours se déroulent sans grande difficulté même si parfois nous nous plaignons du manque d’engouement chez les apprenants qui ne veulent pas du tout venir à l’école ». Au-delà de l’optimisme affiché par la plupart des enseignants, cette option présente tout de même des failles notamment des tentatives de tricherie lors des évaluations
L’autre remède suicidaire
Et comme si cela ne suffisait pas, la commune de Karimama doit aussi faire face au système d’école à discontinuité éducative. Un système qui consiste à ne pas ouvrir tous les cours dans une école. A ce sujet, le mode de recrutement biennal autrefois de mise est pointé d’un doigt accusateur. A l’EPP de Karimama centre comme d’ailleurs dans toutes les écoles à classes multigrades visitées, la discontinuité éducative dicte sa loi et va jusqu’à s’imposer. Les cours les plus concernés sont le CE1 et le CM1. L’arrivée dans les années 2009 de l’Ong World Education dans cette localité a bousculé les habitudes d’antan. Le recrutement biennal cède désormais place au recrutement annuel. Ce qui oblige les responsables de la circonscription scolaire de Karimama en collaboration avec la direction départementale des enseignements maternel et primaire Borgou-Alibori à ouvrir tous les cours. A défaut, ils ont recours aux classes multigrades qui malgré l’engagement, la dextérité et la détermination des encadreurs se révèle comme un pétard mouillé. En témoigne les résultats aux différents examens qui font souvent de « Karma Mama » qui signifie en gourmantché « vivre en paix » la dernière des communes du Bénin ; soit 77è commune sur les 77. Les fruits ne tiennent donc pas la promesse des fleurs. Pour l’heure, le cri de détresse du maire Amadou Bello doit être entendu. Le slogan dans cette commune du nord-Bénin qui compte plus de 40.000 âmes doit être : « une classe, un maître quelque soit l’effectif des apprenants » pour véritablement se mettre au même diapason que John Dewey qui affirmait que : « l’éducation est un progrès social…L’éducation est non pas une préparation à la vie, l’éducation est la vie même. »
Maurice FADEGNON