Décrochage précipité des apprenants sourds au Bénin : L’éducation inclusive à rude épreuve

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Le 3 décembre de chaque année, est célébrée la Journée Mondiale des handicapés. La surdité, un type de handicap, occupe également les esprits en ce moment commémoratif. Des enfants, porteurs de ce handicap, peinent à évoluer dans leur cursus scolaire. Certains décrochent de façon précoce, sacrifiant la trame de leur destin. Le défaut de formation des enseignants spécialisés est aussi pointé du doigt.

Nous sommes dans le département de l’Atlantique, arrondissement de Pahou. Un vent doux et légèrement sec annonce les couleurs de l’harmattan ce matin. Il est 8 heures ce mercredi 24 novembre 2021 dans le quartier Ahozon qui a vu naître Olivier (prénom attribué). Ce dernier, en classe de CE1 en 2018, s’est vu fermées les portes de l’école primaire. Orphelin de père, Olivier est un apprenant sourd qui vit aujourd’hui avec sa mère. D’un teint ébène, un visage scarifié porteur de marques identitaires, Olivier, âgé de 11 ans révolu, a vu son rêve d’être officier de police brisé. «Mon enfant n’est pas né sourd. Il est devenu précocement sourd des suites de la méningite pendant les vacances alors qu’il passait au CE1. Ça n’a pas été facile pour moi. Nous l’avons inscrit au CE1 dans la même école l’année suivante, l’enseignant n’a pas pu s’en sortir pour défaut de spécialisation. J’étais obligée de l’inscrire dans une autre école. Ça n’a rien donné. Les deux enseignants n’ont donc pas pu faire grand-chose. Comme je n’aime pas rester loin de lui et vu mes moyens limités, il a dû abandonner l’école», s’est rappelée, les larmes aux yeux, dame Mira, mère de Olivier. Ces propos relancent le débat sur la qualité des formations que reçoivent les enseignants dans les Ecoles Normales d’Instituteurs (ENI), voire dans les centres de sourds. Du coup, des apprenants comme Olivier sont légion dans les écoles publiques et privées. Seulement, ils décrochent pour embrasser précocement un métier à cause du désespoir lié au défaut de formation spécialisée des enseignants sur l’éducation inclusive, précisément dans la langue des signes.

Du défaut de formation des enseignants au décrochage scolaire

Pierre Tchanou, directeur de l’INFRE.

L’Institut National pour la Formation et la Recherche en Education (INFRE) est le lieu, par excellence, où les contenus de formation sont conçus pour le renforcement des capacités des enseignants. Au travers des questions posées aux différentes personnes ressources, il ressort qu’aucun module de formation n’existe à l’INFRE sur l’éducation inclusive. D’où le défi de la formation spécialisée avec en toile de fond, le réaménagement du dispositif de formation dans les écoles normales sur les pratiques inclusives. Un constat que soutient relativement, Pierre Tchanou, directeur de l’INFRE. «Ces dernières années, des efforts sont consentis par le MEMP à travers l’INFRE, avec le concours des Partenaires Techniques et Financiers (PTF), pour combler le vide existant dans la formation des enseignants en termes d’éducation inclusive à proprement dit», a-t-il affirmé. Par ailleurs, il a précisé que l’ONG Handicap Internationale devenue Humanité et Inclusion (HI) et d’autres partenaires ont appuyé l’INFRE dans l’élaboration d’un guide et d’un module de formation continue du personnel d’encadrement et des enseignants aux pratiques éducatives et pédagogiques en inclusion scolaire. Au regard de tout ce qui précède, on retient que, du chemin reste à faire en termes d’éducation inclusive.
Parlant des Ecoles Normales d’Instituteurs (ENI), les élèves-maîtres savent de quoi retourne l’éducation inclusive et reçoivent des notions théoriques sur la thématique. Mais ils pêchent dans la pratique. «Nous demandons aux enseignants, lors de la formation, d’avoir un regard neutre sur les apprenants tout en considérant les besoins particuliers de chacun d’eux. Lorsqu’on parle de regard neutre, c’est de ne pas accorder de considération à certains et mépriser d’autres. Ils sont informés, en tout cas s’il s’agit de ceux qui sont formés là où j’interviens», fait savoir Dr Moustapha Akpa-L’Ara Moussiliou, formateur dans les ENI, approché à son domicile à Vakon, Porto-Novo. Cependant, il affirme sans ambages : «Les informations assez brèves données dans les ENI ne pourraient suffire pour que la mise en pratique de cette recommandation soit effective».
Ecole de référence sise dans le village de Louho à Porto-Novo, le Centre d’Accueil, d’Education Inclusive des Sourds et entendants (CAEIS), forme les enseignants sur la pédagogie inclusive, avec en ligne de mire, la langue des signes. C’est un ensemble de citations écrites sur les murs qui attirent notre attention, le jeudi 25 novembre 2021. Dans ce centre, se trouvent les apprenants normaux et ceux sourds, habitués à la langue des signes. D’où est venue cette idée de créer l’école des sourds pour accueillir les enfants porteurs de ce handicap ? Paul Agboyidou, directeur du CAIES, répond en ces termes : «Nous avons constaté qu’il n’y a plus de formation après le décès, il y a 20 ans, de Andrew Foster, formateur de toute l’Afrique en langue des signes. Donc ceux qui sont venus après lui, n’ont suivi aucune formation. Et nous voyons que sur le terrain, il y a problème. Lorsque la formation n’est pas de qualité, cela se ressent sur le travail des enfants». Selon les informations recueillies, le Ministère des Enseignements Maternel et Primaire envoie, chaque année, des enseignants se faire former en langue des signes dans ce centre afin de répondre au besoin du terrain. Mais, les affectations viennent saper cet effort, suscitant ainsi le décrochage scolaire chez ces enfants handicapés. «Nous formons les enseignants une année scolaire. L’année suivante, ils sont affectés ailleurs où ils n’ont rien à avoir avec la langue des signes, l’éducation inclusive. Ils n’ont plus rien à voir dans le système pour lequel ils sont formés et ils perdent aussitôt la main. En principe, nous devons être en contact avec eux parce que c’est une affaire de modules, d’étape. On commence à peine et ils s’en vont», précise le directeur du CAEIS, avant d’indiquer que 10.500 enseignants ont été formés dans le centre. Si à l’INFRE, il est souhaité de revoir les normes ergonomiques des ENI en termes d’éducation inclusive, la solution est en train d’être pensée à condition qu’elle reçoive la bénédiction des autorités compétentes.
A la lumière de ce constat, l’enseignant doit s’approprier la psychologie des personnes handicapées en général et des personnes sourdes en particulier pour jouer convenablement son rôle. Ce qui n’est pas souvent le cas et qui, à n’en point douter, participe de l’abandon du cursus scolaire chez bien des apprenants handicapés. Malgré les efforts des ONG spécialisées, la question de l’éducation inclusive reste une équation difficile à résoudre. Par ailleurs, les enseignants rencontrés sur le terrain opposent la question de massification dans les classes, imputant ainsi le tort à l’Etat.

Alphabet en langue des signes

Quid des textes en vigueur ?

«Assurer à tous une éducation de qualité, sur le même pied d’égalité et promouvoir des possibilités d’apprentissage tout au long de la vie ». C’est ce que recommande le point 4 des Objectifs de Développement Durable (ODD) adoptés à Incheon, un appel à l’action de tous les pays pauvres, riches ou à revenus intermédiaires dont le Bénin. Le Plan Sectoriel de l’Education, PSE post 2015, adopté et validé en Conseil des ministres soutient que l’éducation inclusive a pour objectif d’assurer à ces enfants l’égalité des droits et des chances en matière d’éducation. Pourtant, lors des séquences pédagogiques, c’est le contraire qui est observé, suscitant ainsi le découragement voire la fuite des apprenants vivant avec la surdité. Néanmoins, la loi n°2015-08 du 08 décembre 2015 portant code de l’enfant en République du Bénin met un point d’orgue sur les droits de l’enfant. Suivant les dispositions de l’article 112 : «L’Etat garantit à l’enfant le droit à l’éducation». Du domaine de la jouissance des droits humains, l’article 176 dispose : «Les enfants handicapés jouissent sans aucune discrimination de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales sur la base de l’égalité avec les autres enfants». Parlant donc des droits de l’homme et des libertés fondamentales, on retient que ces vœux du législateur béninois ne sont pas pris au sérieux.
Au regard de ces différents textes et dispositions du Code de l’enfant, il est à constater que des lois et textes existent pour encadrer le droit des enfants, notamment ceux handicapés. Néanmoins, un autre article du même code est flexible sur la possibilité de décrochage scolaire d’un enfant handicapé. Il s’agit de l’article 116 qui dispose : «Aucun enfant, à l’exception de l’enfant présentant une déficience intellectuelle ou autre, ne peut abandonner l’école s’il n’a obtenu le Certificat d’Etudes Primaires (CEP) ou s’il n’a pas atteint le niveau du Cours Moyen deuxième année».
Pourtant, l’éducation inclusive, faut-il le rappeler, est cette forme d’éducation qui écarte en elle toute forme de discrimination des apprenants.

Enock GUIDJIME

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