Dans le rang des Aspirants au Métier d’Enseignant (AME) de la maternelle au secondaire en passant par le primaire, certains d’entre eux, sont sans qualification professionnelle. Ce défaut couplé à l’insuffisance de formation psychopédagogique, impacte le développement émotionnel et social des apprenants.
05 instituteurs sur 10 du primaire, 08 enseignants sur 10 du secondaire sont des Aspirants au Métier d’Enseignant (AME) en situation de classe sans une qualification professionnelle. C’est la substance d’un protocole de questionnaire adressé à des AME des établissements d’enseignement primaire et secondaire de l’Atlantique et du Littoral. Mieux, ces enseignants formés sur le tas, ont des lacunes en termes de formation psychopédagogique. Pierre T., AME confie avoir des difficultés pour apprécier quelques comportements décevants de ses apprenants dans une situation donnée. « Dans notre pays, nous avons quelques déficits en enseignants qualifiés à tous les niveaux. Pour pallier ce déficit en enseignants, l’Etat béninois a pris la décision de mettre en place une base de données pour les Aspirants au Métier d’Enseignant. Cela fait qu’aujourd’hui, les jeunes qui ont fait des études universitaires et qui n’ont pas encore un emploi, s’orientent vers l’enseignement. Il y a certains qui ont des diplômes académiques sans une qualification professionnelle et qui enseignent », rappelle Hervé Kinha, le coordonnateur national de la Coalition Béninoise des Organisations pour l’Education Pour Tous (CBO-EPT). Par conséquent, des enseignants donnent les cours dans un groupe-classe sans une formation professionnelle requise. Or, à travers la formation professionnelle, l’enseignant s’approprie des notions liées à la formation psychopédagogique. « La formation psychopédagogique est une formation initiale très importante que tout enseignant doit avoir pour se doter des compétences afin d’identifier les possibilités d’apprentissage chez l’enfant dans son contexte de vie et également évaluer ses forces et faiblesses », a affirmé Hervé Kinha, sociologue et spécialiste de plaidoyer en éducation. Cette formation permet à l’enseignant d’avoir des rudiments nécessaires pour mieux découvrir l’apprenant, l’accompagner dans l’enseignement-apprentissage en fonction de ses besoins spécifiques. « La formation psychopédagogique s’occupe de l’étude de la psychologie de l’apprenant, de son être, de ses attitudes et aptitudes puis de la manière à lui enseigner des apprentissages. Cette formation s’acquiert dans une école professionnelle spécialisée », indique, à son tour, Edmond Houinton, docteur en psycholinguistique cognitive. Compte tenu de l’importance de cette formation, il est nécessaire pour tout enseignant en situation de classe de bénéficier de cette formation. Ceci, pour connaître ses compétences et les complétudes à faire pour renforcer ses atouts en matière de connaissances. L’insuffisance de formation psychopédagogique en raison du défaut de qualification professionnelle de quelques AME ouvre la porte à de nombreuses déconvenues.
Edmond Houinton, ancien DDESTFP Atlantique
Le développement émotionnel de l’apprenant éprouvé
Le défaut de formation professionnelle ne manque pas d’influencer le développement émotionnel des apprenants. Du coup, les compétences diffèrent d’un enseignant à un autre en termes d’enseignement-apprentissage-évaluation. « Celui qui a reçu une formation professionnelle et celui qui a un diplôme académique, n’ont pas les mêmes compétences pour accompagner l’enseignement-apprentissage des enfants », alerte Hervé Kinha, sociologue et spécialiste en plaidoyer de l’éducation. Edmond Houinton, spécialiste des questions éducatives et en orientation scolaire alerte par ailleurs : « C’est un déséquilibre pédagogique qui laisse la porte ouverte à toutes les déconvenues pédagogiques en classe et hors de l’école. Tout comme le médecin, l’enseignant ayant suivi une formation psychopédagogique, agit avec efficacité sur sa cible puis pose subséquemment la thérapie nécessaire pour redresser son apprenant en cas de problème ».
L’enseignant n’ayant aucune connaissance de la cible sur laquelle il va agir, ne saurait maîtriser les émotions, les perturbations infantiles ni la crise juvénile de l’apprenant. « Parfois des enseignants jeunes et leurs apprenants en viennent aux mains parce qu’ils n’ont pas appris que ces derniers ont besoin des enseignants mûrs pour apaiser en douce leurs fortes émotions et crises de toutes sortes », fait remarquer le Dr Edmond Houinton, ancien directeur départemental des Enseignements secondaire, technique et de la formation professionnelle de l’Atlantique. L’enseignant doit rechercher, insiste-t-il, le développement psychomoteur et émotionnel de son apprenant au lieu de l’étouffer. Eddy Camille Kotto, le psychopédagogue, va dans le même sens que le Dr Edmond Houinton. « Certains apprenants rencontrent des problèmes non scolaires, liés par exemple à la puberté, à la crise de l’adolescence ou une instabilité familiale… Il est bien difficile aux enseignants de constater au niveau de leurs apprenants des comportements nouveaux ou mieux de les prendre en charge lorsque les problèmes se révèlent sur le plan émotionnel. Cet état de chose peut influencer négativement le rendement scolaire des apprenants. Il est difficile pour un apprenant secoué au plan émotionnel de produire un résultat satisfaisant », explique-t-il.
L’apprenant évolue normalement puis développe des qualités intrinsèquement émotives, sociales, philosophiques et académiques attendues. « C’est une situation conjoncturelle et c’est pour cela que nous souhaitons que les Ecoles Normales des Instituteurs continuent de former des enseignants pour leur donner les outils qu’il faut pour mieux accompagner l’enseignement-apprentissage dans les établissements scolaires », va dire, pour sa part, Hervé Kinha, le spécialiste de plaidoyer en éducation.
Le développement social de l’apprenant
L’école est un milieu par excellence de socialisation. Cette socialisation ne peut s’observer que dans des conditions requises. « Cette socialisation doit être accompagnée de manière à donner aux enfants l’essentiel afin qu’ils aient le vivre-ensemble, la discipline, la responsabilité. Ces enseignants non qualifiés se réduisent à la gestion de la discipline. Et cette gestion de la discipline se traduit par un antagonisme permanent entre les apprenants et les enseignants », fait savoir Hervé Kinha, le coordonnateur national de la CBO-EPT. Par ailleurs, la précaution et le professionnalisme doivent gouverner les attitudes de l’enseignant pour le développement social de l’apprenant. « Lorsque l’enseignant n’agit pas avec précaution et professionnalisme sur son apprenant, il crée en lui toutes les déviances : choc émotionnel, hantise, méprise, hargne, inattention, désobéissance, paresse, etc. », fait savoir le Dr Edmond Houinton.
Conformément aux dispositions de l’article 22 de la Loi 2003-17 du 11 novembre 2003 portant orientation de l’éducation nationale en République du Bénin : « L’enseignement primaire vise le développement chez l’enfant de l’apprentissage de la vie de groupe et du travail d’équipe dans un contexte de vie démocratique et l’acquisition de compétences et d’aptitudes qui rendent l’élève capable d’apprendre et de pouvoir s’adapter aux situations nouvelles ». Mieux, l’article 6 de la même loi dispose : « L’école doit former des citoyens intellectuellement et moralement équilibrés, animés d’un esprit patriotique et prêts à participer au développement économique, social et culturel de leur pays ». Se fondant ainsi sur les dispositions de ces articles, Eddy Camille Kotto, psychopédagogue explique : « Au regard de ces dispositions, l’école à travers les enseignants doit préparer les enfants à la vie sociale. Cette préparation commence depuis la maternelle jusqu’à l’université en passant par le primaire et le secondaire. C’est justement dans les écoles normales que les enseignants peuvent être preparés à accompagner efficacement les apprenants ».
Pour Hervé Kinha, le coordonnateur national de la CBO-EPT, « L’enseignant est le premier psychologue qui accompagne le développement de l’enfant dans la vie. Donc à l’école, cet enseignant qui a fait la psychopédagogie utilise des ressources dans la pédagogie, la psychologie pour combler les attentes des enfants. Face à chaque comportement, l’enseignant sait répondre à l’enfant pour l’accompagner dans son développement social ».
Au regard de ce dysfonctionnement qui s’observe dans le rang de certains AME en situation de classe, il importe de prioriser la formation in situ de cette catégorie d’enseignants.
Eddy Camille Kotto, psychopédagogue
Nécessité de prioriser la formation des AME
Les enseignants pré-insérés occupent une majeure partie dans le dispositif du corps enseignant de la maternelle au secondaire en passant par le primaire. « L’Etat doit avoir une politique de recrutement d’enseignants qualifiés et faire en sorte que les Ecoles Normales des Instituteurs puissent fonctionner normalement en plein temps pour fournir des enseignants qualifiés dans les différentes matières d’enseignement », pense Hervé Kinha de la CBO-EPT pour pallier un tant soit peu ce constat désagréable. Un recyclage est souhaité pour renforcer les compétences psychopédagogiques de ces enseignants. « L’État béninois doit envoyer tous les enseignants dans les Écoles Normales Supérieures (ENS) afin d’y suivre la formation psychopédagogique et les pratiques d’enseignement-apprentissage-évaluation. Cela forgera forcément leur intellect, renforcera leurs compétences puis raffermira leur sacerdoce », propose le Dr Edmond Houinton avant de préciser que des AME qualifiés existent cependant dans les établissements publics d’enseignement secondaire.
L’éducation est un droit humain fondamental, une priorité de développement au Bénin. A cet effet, Hervé Kinha, de la CBO-EPT trouve que : « L’Etat doit tenir compte de l’évolution des effectifs d’année en année, avoir une vision claire en matière de recrutement du personnel enseignant. C’est vrai que recruter des enseignants qualifiés, c’est une question de ressources mais aussi une lourde responsabilité de l’Etat. » En dehors de cette obligation, ajoute-t-il, les corps de contrôle doivent aider les jeunes enseignants à savoir tenir leurs classes. Hervé Kinha de la CBO-EPT partage cet avis. « En situation conjoncturelle où nous sommes obligés de recourir à des enseignants non qualifiés ayant des diplômes uniquement académiques, il faudrait faire en sorte que les inspecteurs de l’enseignement du 1er degré et ceux de l’ensegnement secondaire puissent travailler avec ces AME afin qu’ils se dotent de compétence dans la psychopédagogie », conseille-t-il.
Enock GUIDJIME