Défis actuels de l’éducation des filles : Repenser les méthodes du maintien

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L’éducation des filles reste un défi majeur au Bénin, désormais pays à revenu intermédiaire. Nombreuses sont les réformes mises en place pour améliorer les conditions d’accès à l’école chez les filles. Entre autres, il convient de citer la gratuité de l’école, le programme des cantines scolaires et bien d’autres. Malgré tous les efforts déployés, il n’en demeure pas moins qu’un nombre considérable de filles déambulent toujours dans nos marchés et coins de rue, s’adonnant au commerce et autres activités lucratives. Qu’en est-il aujourd’hui de l’éducation des filles au Bénin ? Eléments de réponse dans ce reportage de Educ’Action.

«J’ai 13 ans. J’ai quitté l’école en classe de 5ième il y a de cela deux (02) ans. Ma maman ne parvenait plus à me payer les frais de scolarité. Malgré tous les efforts qu’elle faisait, elle n’y arrivait pas. Mon père, lui, est déjà décédé ». Ce sont les propos de Diane Houngbédji qui avance, au micro de Educ’Action, les motifs de son abandon des classes au détriment du commerce. Pour Sofiatou Quenum, également commerçante, la raison est la même : « j’ai abandonné l’école à cause des moyens financiers. Je n’avais plus continué parce qu’il n’y avait pas de l’aide et c’est ma mère seule qui se démerdait. J’ai donc laissé les études pour m’adonner au commerce jusqu’à ce jour ».
Pour Carine par contre, la raison est toute autre « J’ai abandonné par défaut d’acte de naissance. J’ai manqué le premier examen blanc de cette année et donc je ne peux plus aller à l’examen du CEP », explique-t-elle. Nous sommes dans les marchés de Dantokpa et de Cococodji sur les traces des filles qui ont déserté tôt les classes. « Je suis allée à l’école jusqu’en classe de première. Je n’ai plus continué à cause des moyens financiers. Mon père ne se préoccupe de rien et ma mère prend déjà de l’âge. J’ai regardé toutes les dépenses qu’elle aura à faire et j’ai donc volontairement décidé de laisser les cours. Ce qu’elle n’a même pas voulu », confie Natacha Amoussou pour renseigner sur les motivations de son abandon des classes.
Comme elles, de nombreuses filles peinent à accéder à l’éducation malgré tout le dispositif mis en place par l’Etat. L’accès et le maintien des jeunes filles à l’école dans le système éducatif restent marqués par des inégalités tant au niveau du sexe, de l’éloignement géographique de l’école, des frais financiers sollicités auprès des parents, qu’au niveau des considérations socio-culturelles liées au genre ainsi que d’autres facteurs de vulnérabilité. Pourtant, il reste un tant soit peu perceptible que le manque de moyens financiers constitue le plus grand obstacle à l’éducation des enfants, et des filles en particulier. De récentes études issues du Rapport final de l’étude prospective sur l’éducation en République du Bénin, publié en juin 2019 et intitulé ‘‘ Education au Bénin : Etat des lieux et rôle des parlementaires et de l’Etat béninois ’’,
cite, en son point 1.2 à la page 15, la Lettre de Politique Educative du Plan Sectoriel de l’Education (PSE) 2018-2030. Cette Lettre identifie comme troisième défi majeur du secteur éducatif, la réduction des disparités observées par rapport à l’accès à l’éducation. Ainsi, au regard des statistiques, il ressort des disparités selon le genre à raison de 39% des filles en 3ième contre respectivement 51% des garçons. Du point de vue du niveau de richesse, on retient 68% d’accès au primaire et 39% d’achèvement chez les enfants des familles les plus pauvres contre 94% et 79% pour les enfants des familles les plus aisées. Ce qui dénote d’un accès à l’éducation plus élevé des filles issues des familles les plus aisées au détriment de celles issues de familles les plus pauvres.

Problématique de l’éducation des filles

L’éducation de base selon le Plan Sectoriel de l’Education post 2015, tome 1 publié en avril 2018 se décompose en enseignement préscolaire (maternel); scolaire 1, qui s’étend jusqu’en classe de CM2; le scolaire 2 qui va en classe de 3ième et puis finalement l’éducation alternative et la professionnalisation au profit des déscolarisés. Les travaux sont en cours pour qu’elle soit étendue au second cycle du secondaire. L’accès à l’éducation de base est l’un des objectifs phares de l’Etat béninois. Néanmoins, les résultats obtenus ne sont pas au beau fixe. Cyrille Boglo, consultant en droits de l’enfant et ex coordonnateur national de la protection de l’enfant et du plaidoyer à SOS Villages d’Enfants Bénin, martèle que :
« Les filles étaient scolarisées en minorité relativement aux garçons, plus nombreux dans les cours primaires et secondaires. Le facteur motivant a été la gratuité de la scolarisation au primaire en général et également au premier cycle du secondaire pour les filles. La rapide croissance en effectif des filles scolarisées avait tôt fait de changer le slogan de la campagne en : ‘‘ Tous les enfants à l’école ’’. Aujourd’hui, la nécessité de la scolarisation des filles est une évidence dans la plupart des localités urbaines ou rurales tant que les contextes sociaux, culturels et économiques, le permettent. Selon une dernière étude réalisée par Educo en 2020, le droit à l’éducation est le droit des enfants le mieux connu par les acteurs sociaux avec un taux de 27%, devant l’enregistrement des naissances à 21% et la vaccination à 18% ».
Pour Hervé Kinha, coordonnateur national de la Coalition Béninoise des Organisations pour l’Education Pour Tous (CBO-EPT) qui est une faîtière des OSC actives en éducation spécialisée dans le plaidoyer, l’influence des politiques éducatives, la veille et le contrôle citoyen, la problématique de la scolarisation des filles et de leur maintien à l’école reste et demeure un défi majeur du système éducatif béninois. Même si l’accès des filles à l’école ne constitue plus un grand problème, il n’en demeure pas moins que des efforts doivent se poursuivre afin que la scolarisation sélective selon le sexe de l’enfant, avec priorité accordée aux garçons, puisse être conjuguée au passé dans certaines localités du pays. En ce qui concerne le maintien des filles à l’école, le combat reste entier. Au primaire, la parité garçon-fille est très proche de l’unité en dépit des disparités observées dans une vingtaine de communes à faibles indicateurs de performance en matière d’accès et d’efficacité interne. De la 6ième en 3ième de l’enseignement secondaire général, on note une déperdition scolaire qui affecte majoritairement les filles. De la Seconde en Terminale, les filles deviennent encore plus minoritaires dans les classes, soit environ 20% des effectifs au regard des statistiques officielles. Dans le sous-secteur de l’enseignement technique et la formation professionnelle, elles sont rares dans les filières techniques et industrielles.

Le problème indéniable des moyens financiers

De toutes les causes avancées comme frein à l’éducation et la poursuite des études des filles à l’école, le manque de moyens financiers demeure majeur. Pour Hervé Kinha, coordonnateur national de la Coalition Béninoise des Organisations pour l’Education Pour Tous (CBO-EPT), malgré les efforts déployés par le gouvernement en matière de gratuité et d’accès à l’éducation « bon nombre d’apprenantes abandonnent l’école pour diverses raisons dont le soutien au parent dans leurs activités économiques. Ce qui constitue un obstacle à la scolarisation et au maintien des enfants à l’école. Ainsi, les filles bénéficiaires de la mesure de gratuité sont celles qui sont maintenues dans le système scolaire ». Du même avis, Cyrille Boglo, consultant en droits de l’enfant ,s’appuie sur les analyses de la CBO-EPT pour souligner que d’autres facteurs considérables s’ajoutent à celui du manque de moyens financiers. Au nombre des facteurs, il cite l’ignorance des parents relativement à l’intérêt supérieur de l’enfant et sa contribution au développement familial et social ; la méconnaissance des textes de loi comme par exemple l’obligation de scolariser l’enfant jusqu’à 14 ans ; le manque d’infrastructures et personnel enseignant adéquat qui expose dangereusement les petites filles à diverses formes de violences dont celles sexuelles ; l’insuffisance de la couverture sociale voire son inexistence dans certaines localités pour orienter et soutenir les filles, les jeunes et les parents en difficultés. Plus loin, la mauvaise interprétation de certains préceptes religieux, la démission des parents dans l’éducation de leurs enfants, la recherche de gains faciles, l’amenuisement des ressources au niveau des parents pour faire face aux dépenses de souveraineté, l’exploitation des filles à des fins économiques, sont autant d’entraves à la scolarisation et au maintien des filles à l’école.

Des actions menées

L’Etat, de même que les organismes privés, ne cessent de mener des actions en termes de facilité d’accès à l’éducation et de maintien des filles à l’école. En réalité, le droit à l’éducation est un droit humain fondamental consacré par les conventions internationales adoptées par le Bénin et réaffirmé dans les textes et lois adoptés au plan national. Au regard de ces textes et lois, le gouvernement est le garant de la réalisation, de la protection et du respect du droit au traitement équitable des filles et garçons dans l’offre et la demande de service éducatif. En d’autres termes, les filles et les garçons ont le même droit et doivent être traités sans discrimination. De ce fait, tous les enfants, filles et garçons, bénéficient de l’exonération des frais de scolarité pour faciliter l’accès à l’école. En plus de cet effort du gouvernement, les écoles des zones déshéritées sont dotées de cantines scolaires en vue de juguler le déficit alimentaire des élèves à l’école (un repas chaud par jour). Aux côtés de l’Etat, l’Ong Assovie accompagne depuis bien des années les jeunes filles déscolarisées à travers le Programme des Cours Accélérés (PCA). Christophe Mekoun, directeur exécutif par intérim de l’Ong Assovie, explique : « L’organisation s’occupe, à travers les alternatives éducatives, des enfants de 05 à 17 ans et des jeunes de 18 à 21 ans dans les marchés secondaires où elle intervient. Ces alternatives éducatives sont constituées du Programme des Cours Accélérés (PCA) et du Programme d’Apprentissage du Français Fondamental (PAFF). Pour faciliter les conditions d’accès à l’instruction – éducation, les salles de classes sont construites au cœur même des marchés pour accueillir les enfants déscolarisés ou non de ces marchés et alentours. Ces salles de classes sont appelées ‘’Points d’Ecoute’’. Elles sont tenues par des enseignantes certifiées appelées ‘’Éducatrices’’. Dans le cadre du Programme de Cours Accélérés (PCA), l’Ong Assovie, pour le compte de l’année scolaire 2019-2020, a réuni cent soixante quinze (175) apprenants, parmi lesquels cent six (106) filles de 10 à 18 ans ayant suivi les cours, fait-il comprendre avant de préciser les difficultés auxquelles l’organisme ne manque pas de faire face. « La réalisation des alternatives éducatives n’est pas restée sans difficultés. Ainsi, les difficultés majeures rencontrées sont, entre autres, la crise sanitaire mondiale et ses conséquences, la non implication de certains parents et tuteurs, l’absence d’un cadre institutionnel approprié à la gestion des alternatives éducatives, les difficultés d’encadrement pédagogique des alternatives éducatives, le faible mécanisme de pérennisation des activités de ces alternatives éducatives », détaille-t-il.

Projections de l’Etat

L’Etat, avec le soutien des Organisations de la Société Civile (OSC) et certains Partenaires Technique et Financier (PTFs), œuvre à faire bénéficier à ces enfants exclus du système éducatif des modèles d’alternatives éducatives. Ces alternatives visent à leur accorder une seconde chance dans le processus de leur instruction scolaire en tenant compte de leur spécificité. Au bout de leur formation dans ces modèles éducatifs alternatifs, ces enfants ont la possibilité de retourner dans le système scolaire et de poursuivre leurs études, ou d’être orientés dans les centres de métier pour une formation duale ou d’intégrer l’enseignement technique et la formation professionnelle. Ce sont des possibilités qui existent et qui ont été consacrées dans la Stratégie de Renforcement des Alternatives Educatives au Bénin (SRAE) et dans la nouvelle architecture de notre système éducatif. La nouvelle architecture rend visible l’éducation non formelle et la formation professionnelle, sans oublier que la Constitution du Bénin rend obligatoire l’enseignement primaire, fait savoir Hervé Kinha coordonnateur national de la CBO-EPT. Dans le même sens, Cyrille Boglo, consultant en droits de l’enfant, martèle que l’Etat a développé plusieurs stratégies de maintien des filles à l’école et de lutte contre toute forme de facteurs favorisant leur non scolarisation ou déscolarisation. Ceci à travers la lutte contre les mariages d’Enfants, l’exploitation économique des filles et l’appui social aux familles pauvres avec les dotations en kits scolaires des filles et le développement des cantines scolaires. Tout en précisant que la loi 2015-08 portant Code de l’enfant en République du Bénin, rend obligatoire l’école primaire et interdit l’apprentissage avant 14 ans, il souligne que : « la loi interdit également toute entrave à la scolarisation de l’enfant et interdit le mariage avant dix huit ans et toute violence à l’endroit des filles. Pourtant, la progression du nombre des grossesses en milieu scolaire interpelle les autorités pédagogiques ».

Défis actuels de l’éducation des filles

L’éducation des filles fait aujourd’hui face à des défis majeurs. Il urge donc pour l’Etat, de repenser l’éradication des Violences Basées sur Genre (VBG) en milieu scolaire, la prise en compte des considérations sexo-spécifiques dans la planification, la budgétisation, la mise en œuvre des actions et le suivi-évaluation au niveau du pilotage global du secteur, la sensibilisation des parents, des jeunes adolescentes sur la santé sexuelle et reproductive, la poursuite et le renforcement des capacités des enseignants sur la pédagogie inclusive et non violente, la mise en place dans les centres de formation professionnelle et dans les établissements scolaires des mécanismes de dénonciation anonyme et de traitement approprié des cas avérés de violences basées sur le genre en milieu éducatif, la mise en place des mécanismes incitatifs et de pleine émulation pour les filles, la dotation des établissements scolaires en infrastructures handi-sexo-spécifiques, fait savoir Hervé Kinha. Aussi, penser à la formation sociale et l’implication des enfants et adolescents dans tout ce qui les concerne à travers les activités récréatives et éducatives, la poursuite du programme d’Assurance pour le Renforcement du Capital Humain (ARCH) sur toute l’étendue du territoire national, la réalisation d’une cartographie nationale de la protection de l’enfant afin de faire désormais un diagnostic consistant et global pour des stratégies et planification plus pertinentes sans oublier de permettre surtout aux filles déscolarisées ou non scolarisées de bénéficier d’une éducation de base adaptée à leurs besoins (alternatives éducatives), ajoutent pour leur part Cyrille Boglo et Christian Mèkoun.

Gloria ADJIVESSODE

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