Le jeu légal qui environne l’information met en scène trois acteurs : les hommes des médias, les agents de la fonction publique et la HAAC. Chaque acteur est régi par un construit légal. D’une part, vous avez le Code de l’Information et de la Communication, de l’autre, le Statut général de la fonction publique et enfin la loi organique sur la HAAC. Comme terreau de tout cela, il y a la Constitution. Limitons-nous aux deux premiers et posons-nous une question : du devoir de réserve et du Code de l’information, qui l’emporte ? Voici la part de vérité de chaque acteur en présence dans cette quatrième partie.
«C’est au fonctionnaire d’apprécier ce qu’il peut déclarer ou pas », soutient, ferme, Hortense Bada, conseillère technique juridique au Ministère des Enseignements Secondaire, Technique et de la Formation Professionnelle (MESTFP). Pour elle, « la loi s’impose au journaliste, le devoir de réserve s’impose au fonctionnaire. C’est au journaliste de savoir que le devoir impose aux fonctionnaires de ne pas dévoiler les secrets dont il a connaissance ». A l’entendre parler, il appartient aux deux acteurs en présence de chercher le juste milieu pour ne pas tomber sous le coup de la loi. Pour se justifier, elle ajoute au micro de Educ’Action, cet après-midi du 19 avril 2019 : « s’il fait certaines déclarations, il sera traduit au conseil de discipline et sera sanctionné pour ses déclarations. Donc, il ne faut pas vouloir satisfaire la loi et se créer des ennuis ». A quelques marches de son bureau, sur l’autre bâtiment des tours jumelles de Cotonou, Prosper Koukoui, conseiller technique au Ministère du Travail et de la Fonction Publique (MTFP) donne son point de vue sur la question. Première chose, « toutes les lois s’imposent. Elles donnent un certain nombre de latitudes, mais aussi de restrictions. Elles peuvent te donner la liberté d’expression, mais il faut savoir mettre un dosage dans cette liberté ». En un mot, selon le conseiller du MTFP, « il n’y a pas de priorité entre ces deux textes. Les lois sont d’application d’office ». Pour se faire plus clair dans son argumentation, il précise : « si tu donnes priorité à celle-ci et que tu laisses l’autre, on va t’appliquer ces dispositions. Autant le statut de la fonction publique s’impose à l’agent, autant le Code de l’information s’impose aussi à lui dans l’exercice de ses fonctions ». Que l’on soit agent de l’État soumis aux règles de l’administration publique ou que l’on soit professionnel des médias soumis aux exigences du Code de l’information et de la communication, les arguments ne sont pas les mêmes.
Peur et méconnaissance de la loi hantent les esprits …
« Évidemment que c’est la loi qui l’emporte », dixit Guy-Constant Ehoumi, ancien président de l’Observatoire de la Déontologie et de l’Ethique dans les Médias (ODEM). « Nous sommes en train de migrer vers des sociétés ouvertes. Le gouvernement parle de e-gouvernement, ce qui veut dire que tout est sur la toile. Il n’y a rien à cacher », martèle l’Ex-président avant de faire savoir que l’ignorance de la loi ne développe pas un pays. On ne peut pas développer un pays en catimini. Selon lui, le combat est ailleurs. « Il faut sensibiliser sur la loi. Quand on ne connaît pas la loi, on ne peut pas savoir que le journaliste a le droit d’avoir accès à l’information. Il ne quémande pas. Cela fait partie de son travail », a-t-il fait observer. Comme lui, les professionnels des médias, tant ceux interrogés que ceux qui se sont exprimés sous anonymat, ont convenu de ce qu’aucun devoir de réserve ne peut constituer un blocage si l’information ne concerne pas les cas de restriction prévus dans le Code de l’information. L’autre face de la médaille, du point de vue des professionnels, c’est la peur de perdre son fauteuil. « Au-delà du devoir de réserve, il y a la peur de perdre son poste ou son job. Parfois, cela vire à la rétention de l’information », ajoute Jacques Boco, de la rédaction du journal Matin Libre. Propos que renchérit Saturnin Djossou, rédacteur en chef de Soleil FM en ces termes : « C’est souvent la peur que ressent un fonctionnaire qui pourrait l’emmener à refuser de donner une information au public parce qu’on estime que ‘’ce n’est pas moi qui vais donner un document. Si le document était exploité par la suite d’une manière que n’aimerait pas le supérieur hiérarchique, je serai tout de suite incriminé et on va m’accuser d’avoir fourni un tel document’’». Sous cette notion de devoir de réserve brandi à tout va par les agents du service public, le rédacteur en chef pointe du doigt d’autres faces cachées imputables aux difficultés d’accès à l’information. « Parfois, il y a le fétichisme qu’on fait autour de certaines données, surtout statistiques. Il y a aussi la concentration de l’information généralement chez une personne. Même l’information la plus banale doit faire tout un circuit », explique Jacques Boco. A ce niveau, une question se pose : à quoi servent les chargés de communication ou points focaux communication recrutés dans l’administration publique ? Face à un refus d’accès à l’information, journalistes et citoyens peuvent se tourner vers la HAAC, arbitre avant le parquet, dernier rempart.
La part de vérité de la HAAC …
« Depuis l’avènement du Code de l’information et de la communication qui organise l’accès aux sources publiques d’informations, j’ai connaissance d’un seul cas de recours à la HAAC de la part des professionnels des médias ». Ces propos de Soumanou Bio Séro, Directeur des Affaires Juridiques, de la Déontologie et du Contentieux (DAJDC) à la HAAC, ont de quoi étonner quand on sait toutes les plaintes des journalistes en matière d’accès à l’information. En poste à la HAAC depuis le 03 avril 2006, le DAJDC sait très bien de quoi il parle. Le paragraphe précédent en est la parfaite illustration. Les journalistes ont-ils peur de saisir l’institution ? N’ont-ils pas confiance en la capacité de l’institution à résoudre leurs problèmes ? Serait-ce les délais de traitement des dossiers qui les détournent puisque l’information est une denrée périssable ? Bref, chacun de son côté doit faire son mea-culpa pour connaître le nœud du problème. Comme les deux anciens candidats à la HAAC, Franck Kpochémè et Guy-Constant Ehoumi, l’ont dit, chacun de son côté à diverses occasions, il faut éprouver la HAAC pour voir si elle agit ou pas. Pour collecter l’information, les journalistes utilisent des méthodes reconnues par la profession ici et ailleurs. Sous d’autres cieux, en matière de collecte d’informations dans une démarche d’investigation journalistique, de nouvelles techniques entrent en jeu comme caméra et micro caché, infiltration, etc. Le problème au Bénin, c’est que ces méthodes sont taxées d’illégales, car n’étant pas inscrites dans la loi. « Ces méthodes n’ont été citées nulle part dans le code comme moyens d’accès à l’information. Quand un professionnel des médias passe par un moyen illégal pour obtenir une information, il est normal qu’il réponde de l’acte qu’il a posé devant les juridictions », fait savoir le DAJDC joint par téléphone en cette période électorale. A l’en croire, la HAAC n’intervient que si les droits du journaliste mis en cause sont violés. Cela est aussi l’une des raisons pour lesquelles les productions journalistiques au Bénin se limitent généralement à de nombreux factuels, quelques reportages et de très rares investigations. Raison de plus pour comprendre notre consommation des productions médiatiques venant de l’extérieur et déversées sur les chaînes internationales qu’on considère comme extraordinaires. L’avènement du Code du numérique semble avoir empiré les choses, de l’avis de nombreux journalistes, d’où une question : le Bénin a-t-il évolué en matière d’accès à l’information ?
Les défis de l’accès à l’information …
« Le Bénin n’a pas véritablement évolué en la matière et c’est un frein pour la réalisation des travaux d’envergure pour les journalistes. Lorsque vous voulez faire une investigation, il vous faut entrer dans des couloirs, il vous faut avoir des documents », affirme Saturnin Djossou de Soleil FM. A sa suite, Jacques Boco de Matin Libre ajoute : « pas tellement. Je dirai que c’est mitigé. Surtout ces dernières années où tout semble être centralisé avec une sorte de peur dans l’administration ». Enfin, Kokouvi Eklou de La Nation : « Je ne le pense pas. Les difficultés sont restées les mêmes depuis toujours et pour mon expérience de journaliste d’investigation, je suis bien placé pour vous le certifier ». En somme, « le Bénin a beau se doter d’un Code de l’information et de la communication qui garantit les conditions d’accès à l’information, mais ce n’est pas respecté », réaffirme Saturnin Djossou. A cela on pourrait ajouter la méconnaissance de cette loi par les agents de l’administration publique. Au terme de cette série de publications, on note également que, d’une part, les professionnels des médias ne saisissent pas la HAAC en cas de refus d’accès à l’information. Ce qui, d’autre part, laisse planer un soupçon de manque de confiance en l’institution de la part des journalistes. Ces différentes informations suscitent encore d’autres questions dans notre esprit. D’abord, que cache-t-on aux journalistes en les empêchant de faire leur travail ? Ensuite, quelle place notre démocratie accorde-t-elle à la presse ? Enfin, si la presse n’a pas droit de cité, sommes-nous toujours en démocratie ?
Adjei KPONON