Vous rendez-vous compte : ma femme a changé ! Imaginez ce que je suis en train de vivre. Comme à mon habitude, je revins d’une virée dans les bars et autres lieux accueillants en cette fin du mois où j’avais pris mon salaire. Il était à peine deux heures du matin. Généralement, ma femme venait m’ouvrir la porte de la maisonnée et j’allais directement dans la chambre où je m’affalais, passablement éméché, dans le lit conjugal. Au matin, elle tenait ostensiblement sa Bible et son chapelet et marmonnait contre les gens possédés par les forces du mal qu’il s’agissait de repêcher. Je répondais soit d’un air contrit soit par un visage fermé à toute discussion. En fin de compte, je gagnais car la belle dame pensait à sa progéniture et à son Dieu bon et clément.
Mais quand je suis rentré aujourd’hui, je sentis qu’il y avait un véritable changement. Ma femme, cette grande dame ayant hérité de Tassi Hangbe la grande amazone, m’accueillit au salon où elle s’était installée, habillée comme une guerrière allant vers un combat ultime où elle n’avait rien à perdre. Le coupe-coupe et le long couteau des « baba » maître de la viande découpée et désossée, posés sur la table ne présageaient rien de bon. Son regard auparavant morne et résigné me transperçait maintenant et me dépassait pour regarder un futur qui ne nous appartenait plus. Je balbutiai un « mais, mais chérie ! Que se passe-t-il ? » Elle répondit comme se parlant à elle-même : « Jamais un sans deux ; jamais deux sans trois. Si ce n’est pas la hache, c’est le coupe-coupe ». « Vas te coucher donc » !
Brutalement, je fus complètement dégrisé. Je me rappelai de l’actualité du moment où une femme avait découpé à la hache son conjoint. Ma femme, ma douce et tendre moitié qui me permettait beaucoup et pardonnait tout, occupée à ses tâches ménagères et religieuses pouvait-elle avoir de telles pensées ? Mais encore passer à l’acte ! Quelle abomination ! Qu’ai-je fait pour mériter cela ? Ai-je créé ou multiplié les débits de boissons ? Est-ce moi qui habille de manière indécente les filles et les femmes qui vous aguichent à souhait et vous demandent des momo en même temps que les numéros de téléphone ? Le plus étonnant, c’est que pendant que ce paradis turbulent et immoral s’entrouvrait de plus en plus à moi avec des filles nourries au novelas et aux tik-tok, prêtes à tout pour mon argent de fonctionnaire, ma femme se fermait comme une huitre. Son paradis résidait dans les seules paroles du divin pasteur.
Je fis semblant de ne rien comprendre et me dirigea vers la chambre conjugale. Elle ne me suivit pas et resta au salon. Je me dévêtis et me coucha sans aucune réaction de ma gent dame. Brusquement, j’entendis le crissement des couteaux qu’on aiguisait. Elle passa la tête par l’entrebâillement de la chambre pour vérifier que je dormais ! Nos regards se croisèrent ; moi hébété et presque terrorisé et elle déterminée à accomplir son funeste dessein pour un fatal destin. Je tremblais et décidai qu’il ne fallait surtout pas dormir. Malgré moi, les effluves de la bière m’emportèrent et je fus brutalement réveillé par les cris perçants et étonnés de notre petite dernière qui m’affectionnait particulièrement et qui, comme à son habitude, était venue quémander un câlin aux aurores avant son dernier cycle de sommeil. Sa mère assise aux abords du lit tenait le monstrueux coupe-coupe pesant et soupesant ma vie ! Elle sembla se réveiller d’un songe, s’ébroua et partit vers la cuisine tandis que la petite venait se blottir contre ma poitrine tremblante. Combien de temps me reste-t-il à vivre ? Qu’ai-je fait pour mourir si jeune ? Sauvez-moi !
Maoudi Comlanvi JOHNSON,
Planificateur de l’Education, Sociologue, Philosophe