Le talent est un don, un ensemble d’aptitudes que l’on possède intrinsèquement et qui permet d’exceller dans une tâche donnée. Ce don de la nature peut être observé depuis l’enfance, mais est souvent ignoré par nombre de géniteurs qui semblent ne pas du tout s’en préoccuper. Même l’école, sur ce terrain, semble échouer, de l’avis des spécialistes. Educ’Action s’est intéressé au sujet en se rapprochant des parents et des spécialistes qui en parlent. C’est à travers ce reportage.
Les coups de rabot de Francis nettoient progressivement cette planche de bois qui doit servir à l’armature de la nouvelle armoire à deux battants qu’il fabrique pour un nouveau couple de mariés. Son métier, il en a les germes depuis l’enfance. Déjà tout petit dans le quartier de Somè, à Abomey-Calavi, il passe le clair de son temps dans l’atelier de menuiserie en face de sa maison. Il s’amuse à ramasser les clous et les morceaux de bois pour essayer de concevoir des meubles. Au lieu du marteau, il se sert des morceaux de pierre les plus résistants pour clouer ce qu’il fabrique. En grandissant, l’inscription à l’école et les déménagements ont un peu effrité ses ardeurs. A cela, s’ajoute le refus des parents qui le voient mieux exercer la profession d’enseignant dans la fonction publique, à cause de son bon niveau en Sciences Physiques. Après de nombreuses discussions et des échecs à l’université, ils se sont résignés à le laisser suivre une formation en menuiserie. Il a eu ainsi l’occasion de perfectionner son talent et de devenir un bon menuisier. Francis est sur le point d’être bientôtgéniteur de son premier enfant, car la grossesse de sa bien-aimée arrive bientôt à terme. Comme ce jeune menuisier rencontré lors d’une des descentes de l’équipe de Educ’Action sur le terrain, ils sont nombreux les enfants dotés de divers talents que les parents n’arrivent pas toujours à détecter afin de mieux les orienter dans leurs choix de carrières futurs.
De la particularité des talents à leur stimulation…
Selon l’éclairage de EnongandéMyrriam Hélèna Capo-Chichi Choubade, socio- anthropologue, présidente de l’ONG Famille Nutrition et Développement (FND) et mère de famille, si certains enfants ont un talent remarquable, ce n’est pas le cas chez tous les enfants. C’est donc aux parents, souligne-t-elle, d’aider ces derniers à révéler cette aptitude spéciale en eux. Il faut donc observer son enfant, le surveiller, guetter son comportement, l’écouter afin de mieux comprendre et de découvrir ces centres d’intérêt et être surtout attentionné, poursuit-elle. « Si l’enfant chantonne et manifeste une envie presque irrésistible de jouer d’un instrument à un âge précoce, pourquoi ne pas lui faire découvrir le monde de la musique parce qu’il n’y a pas d’âge pour apprendre », fait observer la socio-anthropologue.
Fulbert Hegbe, père d’une fille et d’un garçon, pense qu’il faut acheter des jouets à l’enfant dès l’âge d’un an, l’observer et s’il s’accroche plus à un jouet, alors le parent saura ce que cet enfant aime. D’autres parents pensent qu’il faut du temps pour découvrir l’aptitude d’un enfant. C’est l’exemple de Félix Afokpa qui affirme dans ce sens que : « mon enfant est encore petite, mais j’ai constaté qu’elle aime la musique ». A Gisèle Abotchi, vendeuse de jus et mère de famille, d’ajouter que sur le plan éducatif et physiologique, il ne faut pas interdire à un enfant d’écrire avec la main gauche parce que chaque enfant vient au monde avec son don et le simple fait de l’obliger à utiliser la main droite pourrait diminuer son intelligence. Pour la plupart des parents rencontrés, lorsqu’un enfant à un intérêt particulier pour quelque chose, il faut provoquer doucement les occasions pour que celui-ci en apprenne davantage sur le sujet à travers les sorties, les jeux, les discussions, etc.
Accompagner l’enfant après la détection du talent, cela s’avère difficile. « A cause du sous-développement dans notre pays, il est difficile de conduire l’enfant vers ce qu’il aime parce qu’au Bénin, la base de l’éducation ne concerne en général que les études. Ce qui n’est pas le cas dans les pays occidentaux », confient les parents.
De l’identification du talent chez l’enfant dans le cercle familial
« Observer et communiquer », tels sont les rôles des parents dans l’identification des aptitudes chez leurs enfants, fait observer Romaric Tankpinou Banon, coach en épanouissement personnel et professionnel. Cette observation part du comportement de l’enfant. Lorsqu’il s’amuse seul ou en groupe, le parent doit être attentif à « comment il réagit, comment il exprime un besoin », explique le coach. Ces indices que développe l’enfant très tôt, nécessitent une observation continue dans ses réactions, dans son interaction avec son environnement. La communication avec l’enfant renvoie à des échanges avec ce dernier et c’est à partir de ce moment que les parents vont savoir les éléments sur lesquels ils doivent insister, les éléments qui intéressent l’enfant et par-dessus tout, les éléments qui accrochent son attention voire les éléments sur lesquels ils peuvent insister pour l’aider à s’épanouir.
La détection des aptitudes de l’enfant, selon Moussiliou Akpa L’Ara Moustapha, enseignant-chercheur en Sciences de l’éducation, part de la famille. « En famille, on crée des conditions variées à l’enfant pour qu’il puisse s’exprimer, se retrouver dans un espace où il y a plusieurs variétés de jeux parce que c’est à travers des activités de jeux que l’enfant exprime ses aptitudes. Donc, si on crée les conditions ou on offre une variété de jeux à l’enfant, il a la possibilité d’extérioriser ses talents et d’exprimer les aptitudes qui sont les siennes », informe l’enseignant d’université.
Pour identifier ces talents, les parents peuvent aussi faire appel à des spécialistes. « Aider à décrypter la personnalité de l’enfant en termes de prédispositions en ce qui concerne les centres d’intérêt, les éléments qui alimentent la passion de l’enfant. Ce qui permettra d’identifier les axes de progrès sur lesquels on peut positionner l’enfant, les activités vers lesquelles on peut l’orienter, les activités par lesquelles il peut s’épanouir dans sa vie personnelle et professionnelle », relève du rôle du coach d’après les propos de Romaric Tankpinou Banon. Ainsi, les spécialistes orientent les parents à travers des idées pour accompagner leurs enfants.
De l’orientattion des spécialistes sur l’accompagnement …
L’intégration sociale de l’enfant à travers diverses sortes d’activités lui permet d’intégrer des groupes d’animation que ce soit ludique ou didactique. « Il faut permettre à l’enfant d’intégrer les groupes pour qu’il soit en interaction sociale avec d’autres personnes parce que c’est en rentrant en relation avec les autres, en participant aux activités dans la communauté que l’enfant peut éveiller davantage les capacités qui sommeillent en lui », renseigne le coach en épanouissement personnel et professionnel.
Il faut inscrire également l’enfant dans des ateliers pratiques et à des rencontres de son âge. « Par exemple, lors des congés et des vacances, il faut permettre à l’enfant de participer aux colonies de vacances ou à des formations destinées à développer la créativité chez eux. C’est le cas des ateliers de dessin, d’écriture, de danse, les ateliers de petites réparations, etc. », explique-t-il au sujet des activités qui peuvent permettre à un enfant de développer ses capacités.
Pour Benito Koukponoussi, psychologue de la vie sociale et professionnelle, l’identification ou la détection du talent de l’enfant par le parent doit partir de sa demande d’aide. « Il faut avoir de la minutie pour détecter le talent d’un enfant. Pour le parent qui veut apprendre à identifier le talent de son enfant, soit il se fait aider, soit il va à l’école, ce que nous appelons souvent l’éducation parentale, soit lui-même il fait des recherches. Aujourd’hui, nous avons internet qui nous permet de chercher les voies et moyens pour pouvoir atteindre cet objectif. Le parent doit s’intéresser à son enfant sous tous ces aspects en pensant au bien-être de ce dernier et non au sien. C’est comme on le dit, il ne faut pas réaliser ses rêves à travers son enfant », ajoute le psychologue de la vie sociale.
Par ailleurs, lorsque le besoin se fait sentir, il ne faut pas hésiter « à confier l’enfant de façon périodique à l’accompagnement d’un spécialiste, que ce soit un psychopédagogue, un coach en développement personnel, etc. Car, ces professionnels peuvent évaluer le progrès de l’enfant et en même temps aider le parent à identifier les activités sur lesquelles il faudra investir davantage pour accompagner son enfant, l’amener à être épanoui et à réussir dans sa vie », conseille le coach Romaric Tankpinou Banon aux parents.
La responsabilité de l’école engagée
« Il faut noter que la détection n’importe pas autant que la formation ! Le talent vient après la formation alors que chaque enfant vient au monde avec des aptitudes », affirme Moussiliou Akpa L’Ara Moustapha, psychopédagogue, dans sa tenue locale ‘‘Bohoumba’’, assis dans son fauteuil.
En faisant un focus sur le talent, il faut penser à développer un système scolaire qui favorise l’éclosion des aptitudes actuelles chez les enfants, ajoute-t-il. « L’école fonctionne tout comme si le cerveau chez tous les enfants est structuré de la même manière, alors que ce n’est pas en ces termes que se manifestent les aptitudes chez tout le monde. Ainsi, elle doit offrir toute une gamme de possibilités aux enfants, en variant ses modes d’interventions », fait observer l’enseignant-chercheur. A ce propos, il précise qu’il y a des enfants qui s’ennuient parce qu’ils ne retrouvent pas ce qui est leur naturel dans ce que l’école propose et ils sont traités de ‘’tarés’’. Pourtant, c’est l’école qui n’arrive pas à s’adapter aux enfants et veut que ce soit eux qui s’adaptent à elle. A l’en croire, c’est la raison pour laquelle nos écoles produisent beaucoup d’échecs.
Pour faire la lumière sur cette observation, il affirme que ‘‘ces cancres’’, comme le traduit l’école, « lorsqu’ils se retrouvent dans d’autres conditions favorables autres que l’école, ils deviennent des experts vu l’éclosion de ce qu’ils sont, parce qu’ils révèlent leurs potentiels et surprennent tout le monde après que l’école les ait qualifiés de tarés. C’est pourquoi quand un enfant ne réussit pas dans notre système éducatif formel, il ne faut pas que les parents, très tôt, concluent à l’incapacité de l’enfant, mais plutôt qu’ils se disent que l’enfant ne se retrouve pas dans ce qu’on lui propose ».
En plus de l’orientation scolaire, le chercheur fait des propositions pour que l’école joue entièrement son rôle dans l’accompagnement et l’éclosion du potentiel de chaque enfant. « L’école, à cet effet, doit diversifier sa formation pour permettre à chacun de se retrouver et non de se résumer uniquement à apprendre, à lire, à écrire, et à compter. On doit savoir que si l’éducation est négligée, on subira les conséquences comme c’est le cas maintenant où on tourne en rond, pendant que les autres pays prennent le dessus. Puisque jusque-là, on ne se rend pas compte que c’est à partir de l’éducation que les progrès se font et toujours quand on parle de l’éducation, on dit qu’il n’y a pas d’argent. Alors que chaque société est récompensée au prorata de ce qu’elle investit dans l’éducation et dans la formation », fait observer Dr Moussiliou Akpa L’Ara Moustapha.
De ses années d’expériences en qualité d’enseignant et de chercheur, il soutient son argumentation par divers résultats de recherches en matière de rendement sur les investissements faits dans l’éducation. « Selon les recherches faites depuis les années 60 dans le domaine des ressources humaines, il a été prouvé que mieux on forme les citoyens, mieux on investit dans le futur du pays et mieux on récupère. Dès lors, tous les grands pays ont pris cela au sérieux et aujourd’hui, ils sont en train de mettre cela en pratique. C’est de là qu’ils sont devenus des producteurs et nous, Béninois, sommes devenus des consommateurs, c’est-à-dire que c’est eux qui produisent et c’est nous qui consommons. Or, nous avons également des écoles chez nous », explique-t-il.
La question est de savoir si l’école, elle-même, se rend compte de cette situation afin d’orienter les enfants ?, s’interroge l’enseignant.
Mélaine ZOUNNON (Stag)