Dr Bruno Montcho, à propos des nombreuses déviances dans le rang des apprenants : « Il y a lieu de ramener tous les fils du pays aux valeurs cardinales »

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Spécialiste de la Sociologie de la débrouille et de la déviance en exercice à l’Université d’Abomey-Calavi, le Dr Bruno Montcho ne reste pas indifférent aux multiples déviances de plus en plus accrues dans le rang des apprenants depuis quelques années. Interrogé sur la question, il préconise un retour aux valeurs endogènes. Interview.

Educ’Action : Quelle est votre lecture des déviances observées dans nos milieux et précisément dans le rang des apprenants de nos jours ?

Dr Bruno Montcho : Je vous remercie de toucher du doigt une réalité qui est pratiquement existentielle au système éducatif. L’éducation sinon l’instruction, c’est une valeur qui est inculquée dans nos lieux de savoir et si on constate aujourd’hui des déviances, c’est à juste titre. Parce que la question qu’on doit se poser avant tout, c’est quel type de béninois, quel type d’africain nous voulons former. Du moment où nous importons les programmes de formation, cela suppose que le type de béninois que nous voulons former est extraverti et n’est pas forcément le béninois du Bénin. Pour avancer, pour se développer, il faut que le système éducatif soit le prototype de l’homme que nous voulons avoir. Mais si on nous projette des choses d’ailleurs que nous acceptons et adoptons, nous ne serons ou ne ferons que les mêmes choses que les autres et mal exécutées. Voilà un peu les raisons des déviances qui trouvent aussi leurs sources dans l’exécution des programmes contenus dans les systèmes éducatifs. A tout ceci s’ajoute l’armada des TIC. Ce sont des éléments qui viennent aggraver ce qui était bancale.

En tant que spécialiste de la question, quels sont les types de déviances que vous déplorez aujourd’hui ?

Il y a plusieurs types de déviances surtout avec l’avènement des réseaux sociaux. Aujourd’hui, l’élève ne respecte même plus son enseignant. J’ai été témoin d’une situation où l’élève disait à son enseignant qu’il était en mesure de lui payer les 1 500f que le système lui donne par heure. Si nous rentrons dans nos valeurs endogènes, un élève (jeune) ne doit jamais tenir ce propos à l’endroit d’une grande personne mieux son enseignant qui veut lui donner la connaissance. L’élève ne peut pas traiter de cette manière son enseignant. L’argent n’achète pas la connaissance mais voilà que le corps a été galvaudé au point où l’apprenant manque d’égard à son enseignant. Pire, l’élève porte la main sur son enseignant. Il peut fumer de la cigarette même de la drogue dans l’enceinte de l’établissement. A côté de ça, vous voyez des élèves qui s’habillent de manière provocante, de manière à porter atteinte à la pudeur. Imaginez aussi des enfants qui font des ébats sexuels en pleine classe pendant la pause ou dans les toilettes. Cela pose un véritable problème. Pourtant, l’école est un environnement où tout le monde est venu pour avoir de la sérénité pour travailler. Voilà qu’il y a les droits de l’enfant qui empêche l’autorité de faire ce qu’elle doit pour dissuader l’enfant à l’africaine. On dit que le châtiment corporel est interdit et c’est bien. Mais qu’est-ce que cela nous coûte aujourd’hui ? Est-ce qu’on a évalué les dégâts que cela cause ? Il est vrai qu’on n’a pas besoin de taper avant de transmettre la connaissance mais à des moments donnés, ça devient utile et il faut avoir recours à ça pour corriger et renforcer l’enfant africain. Tout cela suppose qu’il y a un travail de fond qui doit être fait. Malheureusement, les parents ont démissionné et la conséquence directe, c’est qu’on s’étonne des attitudes et comportements de son propre enfant après un forfait. Ce sont autant d’actes de déviances à foison qu’on constate dans nos écoles et universités.

Face à ce tableau que vous avez peint, qu’est-ce qu’il y a lieu de faire pour changer la donne ?

Il y a lieu de revisiter nos valeurs. Il y a lieu de chercher à ramener tous les fils et filles du pays aux valeurs cardinales. Il faut qu’on sache ce que nous voulons que l’enfant béninois soit, à la sortie. Quand vous allez par exemple dans le système anglophone, il y a un prototype de personnes qui sont formées. Donc il revient aux autorités qui ont la charge de l’orientation du système éducatif, de dire de façon prospectiviste, ce qu’ils attendent comme citoyen d’ici l’horizon tant. Et c’est de cette manière que nous allons pouvoir nous donner une identité, sinon on va patauger, on va chercher à être les autres, sans être les autres.

Vous avez insisté sur le retour à nos valeurs. Quelles sont ces valeurs qu’on peut ramener dans le système éducatif béninois ?

On voit des enfants chinois ou japonais qui font des gymnastiques terribles et on se pose la question de savoir comment ils s’en sont pris ? Pourquoi pas nous ? Est-ce parce que nous ne sommes pas prédisposés à cela ? Je réponds Non, nous le pouvons. Si nous prenons les couvents, il y a des danses et des rythmes qui sont exécutés à leurs cérémonies de sortie. Quand vous voyez ces danses que les enfants exécutent, en un laps de temps, cela suppose que le talent est là. Mieux, quand ces enfants vont dans les couvents, ils font à peine trois mois ou au plus un an, et ils maitrisent la langue codifiée. Et on se demande quelle est la pédagogie utilisée pour que depuis toujours ils ont ces résultats-là ? D’aucuns diront que c’est dépassé et pourtant ! On peut intégrer les danses des couvents dans la chorégraphie et ce sera l’identité béninoise. Vous voyez comment le rythme zinli fait notre fierté. Ce sont des valeurs qu’on peut intégrer dans le système éducatif. J’ai mon collègue spécialiste de l’éducation, Dr Coovi Gilbert qui dans son DEA a rapporté le témoignage d’une de ses cibles père éducateur endogène qui leur disait en directe, les trajectoires d’un des leurs qu’ils ont commandé pour aller acheter un produit. Ce sont des valeurs qui permettent de voir au-delà qu’on peut avoir recours dans la formation des agents de sécurité. Il leur permettra de voir le voleur en pleine action, là où il est allé déposer ce qu’il a volé et aller le chercher. Ces choses existent chez nous. C’est vrai qu’on ne peut pas tout intégrer mais il faut à un certain moment, se donner une identité idéale.

Qu’est-ce que ces pratiques que vous venez de citer viendront corriger de façon concrète dans notre système éducatif ?

Il y a de la tempérance, de la maîtrise, du respect de soi et de l’autre dans tout ce que les valeurs endogènes nous enseignent. Ces valeurs permettront de canaliser les énergies des uns et des autres pour éviter que nous ayons des déviants à l’origine. Cela peut donner le type de béninois en termes d’ingéniosité et permettre à certains de développer également d’autres valeurs qui sont cachées. Aussi, cela nous permettra-t-il d’être en phase avec ces différents acteurs qui nous donnerons ce qu’ils n’avaient pas envie de nous donner. C’est pour ça qu’on dit en Afrique qu’un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle. C’est parce qu’on n’a pas créé le pont entre ces acteurs et le système éducatif pour leur donner une certaine considération à être utiles pour la nation. Je ne dis pas que toutes les valeurs endogènes sont bonnes à valoriser. Il faut prendre juste ce qui est bon dedans et dire adieu aux autres qui sont des dangers. Et cette insertion passe forcément par la relecture du curricula. Tout part de la volonté. Il faut pouvoir dire qu’à partir de tel ou tel niveau, nous allons mettre tel grain dans nos enfants et ainsi de suite. C’est comme ça nous pouvons que commencer progressivement.

Que dire pour conclure cet entretien ?

Nous venons de toucher du doigt une problématique très importante qui va être difficile à mettre en œuvre. Mais c’est déjà heureux de le dire et peut-être que demain, d’autres pourront nous lire et trouver qu’il y a des choses très intéressantes qui n’ont pas été écoutées ou ont été mal comprises. Il revient à revisiter un peu ce qui est utile dans nos valeurs et les intégrés dans le système éducatif pour que nous puissions nous ressembler.

Propos recueillis par Estelle DJIGRI

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