On ne le dira jamais assez, mais les jeux constituent des éléments importants pour le développement de l’enfant. Par les jeux, l’enfant apprend et forme son être. C’est fort de cela que la Direction de l’Enseignement Maternel a organisé à l’endroit des responsables des Unités Pédagogiques à divers niveaux de ce sous-secteur dans le Borgou, un atelier afin de les outiller sur l’usage des jeux, plus spécifiquement les jeux locaux. La consultante senior de cet atelier, docteure Débora Gladys Hounkpè, revient à travers cette interview, sur l’importance des jeux locaux dans les préapprentissages à l’école maternelle.
Educ’Action : Quel rôle joue l’éducation par le jeu dans la vie des tout-petits ?
Dr Débora Hounkpè : Éduquer un enfant par le jeu, lui permet de sécréter les hormones du bonheur, ces hormones amies de l’intelligence et de l’assimilation de nouveaux apprentissages. A travers le jeu, l’enfant se sent en sécurité face à des apprentissages souvent perçus comme des moments de tortures. L’école maternelle au Bénin se détache beaucoup des jeux et encore plus des jeux locaux, pour ne donner que des savoirs aux enfants. Les enfants y apprennent comme s’ils étaient déjà à l’école primaire. Or, dans un système éducatif comme celui de la Finlande, un pays plébiscité pour ses meilleurs scores scolaires, ‘’ l’école est un jeu d’enfant’’. Les enfants y jouent jusqu’à l’âge de 7 ans sans rien apprendre de formelle ou de structuré. En effet, un enfant, c’est d’abord le jeu et le mouvement.
L’atelier que vous avez animé a porté spécifiquement sur les jeux locaux. Quelle est la particularité de ces jeux comparés aux jeux importés ?
Les jeux n’ont plus tellement d’origine en réalité. Mais lorsque l’enfant en entend désigner dans sa propre langue, il se sent intégré. Il se sent appartenir à l’école. Lorsque les spécificités du milieu sont visitées, alors, l’école devient lieu d’attraction. L’enfant ne s’y sent plus étranger. ‘’Boumtou’’, anoungbanhwé gbanto, cococococo man da zikpo dé, etc., constituent des jeux du sud du Bénin, n’ est-ce pas ? On les a tous retrouvés au nord avec leurs appellations en langue nago, bariba, dendi, fulfuldé etc.
Quelles sont alors les compétences que les jeux locaux peuvent développer spécifiquement chez l’enfant ?
Le jeu local favorise le besoin d’appartenance, qui enracine chez l’enfant la connaissance et la maîtrise de son identité, qui traduisent son appartenance. Le jeu cultive l’estime de soi. Il assouvit le besoin d’appartenance et de sécurité. Le jeu accomplit à lui seul, quand il est sain et pédagogique, quatre des cinq besoins de la pyramide des besoins d’Abraham MASLOW. Quand nous prenons un jeu comme ‘’ min non non’’. Je souligne ici que c’est une princesse Kpétoni, de Djougou qui a été notre grand’ mère paternelle et notre éducatrice, pour mes frères et moi-même. Elle nous faisait ce jeu à mes frères et moi-même quand nous étions tristes, trop silencieux, ou dégoûtés. Elle nous caressait la main, progressivement, l’avant-bras, le bras et chatouille les aisselles, tout en chantant une comptine en dendi. Du dégoût, ou de la tristesse, le thermomètre des émotions est régulé et la joie s’installe, le rire est là. Quoi de plus beau que de toucher un enfant avec délicatesse et de très bonnes intentions, pour le faire rire ! Les enfants ressentent vite les intentions des adultes, malgré leur naïveté. On peut profiter de ce jeu pour leur expliquer jusqu’où un adulte peut s’arrêter quand il doit le chatouiller. L’éducation à l’affectivité commence, sans le heurter avec des développements et des propos traumatisants.
Si les jeux sont autant indispensables à ce point, comment l’enseignant peut-il s’y prendre pour les faire vivre véritablement à l’enfant ?
Il est important que l’enseignant reprenne le document de travail élaboré par l’ONG ‘’ Right to play’’. Que chacun le lise pour intégrer les jeux locaux au début, au milieu et à la fin de chaque séance de pré-apprentissage. L’enseignant dispose également d’un répertoire de jeux locaux bien fournis que la Direction de l’enseignement maternel mettra à sa disposition à l’issue de cette formation. Pour que le jeu ne soit pas une activité de plus, il faut le structurer selon quatre étapes, propres aux activités développées en Education à la Culture de la Paix. Il s’agit de la pose du cadre ; de la mise en œuvre ; de la mise en commun et des apports théoriques. Il faut, dans un premier temps, toujours préparer le matériel et très bien expliquer, grâce à la fiche technique, le jeu aux enfants. Il faut que quelques-uns ou par groupe reformulent leur compréhension par leurs propres expressions. Il faut ensuite, les laisser jouer, tout en les cadrant, sans les troubler, ni jouer à leur place. Il faut les écouter formuler, par leurs propres mots, leurs ressentis à l’issue du jeu. Ne pas leur couper la parole, ni se moquer d’eux quand ils sont maladroits. Ce sont des moments d’activités cognitives denses. Il faut enfin, leur dire que avec le jeu « min non non » par exemple, que j’ai cité plus haut (ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres), on régule les émotions. Avec un autre jeu qui s’appelle « qui a crié ? » par exemple, on travaille l’ouï, l’attention, la connaissance de la voix de ses camarades de classe. Les yeux bandés, l’enfant doit dire le nom de son camarade qui a émis un son. L’intégration, la création du groupe, l’appartenance se cultivent déjà dans cette micro-société, où les voisins ne s’ignorent pas, où l’indifférence n’est pas admise. L’intégration à une société qui nécessite que l’on soit attentionné, impose ce genre de jeu. Il suffit que l’enseignant (e) fasse preuve d’innovation, tout en actualisant ses fiches pédagogiques et en élaborant à côté des jeux locaux répertoriés dans son milieu de travail, une fiche technique, pour faire jouer le jeu aux enfants sans trahir l’esprit même du jeu. Il doit également faire attention à ne faire que des jeux qui sécurisent l’enfant et le respectent dans sa dignité intégrale. Les enseignants doivent également développer le vocabulaire des félicitations. Ceci développe l’estime de soi chez les enfants qui construisent leur personnalité sociale.
Force est de constater aujourd’hui que certains parents priorisent la télévision et l’usage des tablettes aux jeux pour leurs enfants. Quels conseils avez-vous à leur donner ?
C’est terrible !
Les enfants perdent l’usage de la parole, de la réflexion de l’auto-défense. L’homme est un animal social. En dehors de sa société, il ne survit pas. Il est un être à instinct grégaire. Il n’apprend qu’au contact de ses pairs. Je ne saurais terminer mes propos sans rappeler ici que le rôle de l’adulte est capital pour donner du sens aux jeux de l’enfant. Il amène les enfants à élaborer leur réflexion après un jeu. A travers des questions bien orientées, il sait où il les conduit. Quelle valeur humaine il souhaite développer à travers un jeu bien déterminé. Nous avons également montré les préapprentissages contenus dans les jeux locaux. Le jeu est le travail de l’enfant. Il apprend à appartenir à une société, un continent, une humanité, à la vie, en jouant avec ses pairs et les adultes. Construisons un monde de paix à travers les jeux locaux à l’école. Apprenons le concept ‘‘Ubuntu’’ aux enfants. Ensemble on gagne. Chacun a sa place sous le soleil !
Propos recueillis par Estelle DJIGRI