Comme tout secteur d’activité, le secteur pharmaceutique béninois est en proie à bien des difficultés liées diversement appréciées et essentiellement liées à la querelle des textes. Litige textuel qui profite à certains pharmaciens et grossistes répartiteurs indélicats qui approvisionneraient des terroristes en médicaments interdits. C’est le souci de vérification des soupçons pesant sur notre pays comme carrefour d’approvisionnement des terroristes en médicaments prohibés que nous sommes allés à la rencontre d’une voix autorisée du secteur. Dr Falilou Adébo, pharmacien, grossiste-répartiteur, Directeur Général de GAPOB Sa et Directeur Général de Toxi Labo donne sa part de vérité sur le sujet. Suivez le guide !
Educ’Action : S’il vous était demandé de vous présenter, que diriez-vous ?
Dr Falilou Adébo : Je suis pharmacien et j’exerce au Bénin comme grossiste répartiteur.
Que peut-on comprendre par grossiste répartiteur ?
Un pharmacien grossiste répartiteur, c’est un pharmacien qui importe des produits pharmaceutiques et les distribue à travers les officines pharmaceutiques.
Vous êtes dans le domaine il y a combien d’années déjà ?
Cela fait plus de trente (30) ans.
Vous avez siégé deux mandatures dans le Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens, racontez-nous votre expérience.
Je suis rentré au Conseil National de l’Ordre des Pharmaciens depuis 1989 et j’ai quitté le Conseil en 2014. Donc, j’ai eu la chance de pratiquer toutes les générations de pharmaciens qui ont commencé cette fonction depuis 1972. C’est-à-dire depuis des années où il a été pris des ordonnances pour créer et organiser l’ordre des pharmaciens et aussi une ordonnance pour créer le Code de déontologie des pharmaciens du Dahomey.
Comment devient-on pharmacien ?
Pour être pharmacien, il faut d’abord faire le Bac. Après le Bac, en notre temps c’était cinq ans, ensuite six ans et bientôt huit ans pour sortir pharmacien.
Devenir pharmacien après le Baccalauréat, c’est, sans doute, aussi une question de vocation non ?
Normalement oui, mais vous savez ce qui se passe ici, nombreux sont ceux qui ne savent pas ce qu’ils doivent faire après le Bac, si bien qu’il y en a qui entrent dans la profession sans vocation parce que leurs parents étaient dans la profession. Il y en a qui entrent aussi parce qu’ils n’ont rien d’autres à faire, mais il y en a aussi qui entrent parce qu’ils ont de bonnes moyennes après le BAC, il y en a aussi qui viennent en pharmacie parce qu’ils ne peuvent pas faire la médecine.
Si vous devez donnez un conseil aux jeunes bacheliers qui désirent embrasser le métier de pharmacien, que leur diriez-vous ?
Aujourd’hui au Bénin, c’est un secteur dans lequel l’État doit beaucoup s’impliquer, après la formation des jeunes pour qu’ils aient des débouchées. La seule débouchée derrière laquelle courent les étudiants, c’est l’officine alors qu’il y a la biologie qui est encore vierge, et l’industrie pour laquelle il faut beaucoup d’argent. C’est cela qui nécessite la présence et l’accompagnement de l’État. Le pharmacien peut travailler dans beaucoup de domaines.
Comment se porte le monde pharmaceutique au Bénin aujourd’hui comparé aux années 1972 ?
Les premières heures, il n’y avait pas beaucoup de pharmaciens. Aujourd’hui il y a une faculté de pharmacie qui sort entre 10 et 15 pharmaciens par an, mais il n’y a pas de débouchées. Ce qui fait que si l’État n’encadre pas bien cette profession, elle sera désorganisée et je pense que si on ne fait pas attention dans 5 à 10 ans, elle n’aura pas d’avenir.
Est-ce que aujourd’hui vous êtes fier de l’état des lieux du secteur pharmaceutique au Bénin ?
Non ! Pas du tout. J’avais dit que c’est un secteur qui est bien encadré par des textes de lois, mais malheureusement, ces textes ne sont pas respectés même par les autorités qui devraient être les voies de recours.
Donnez-vous raison à ceux qui pensent qu’il y a des brebis galeuses parmi vous ?
Je ne suis là pour défendre personne. Nous sommes là pour défendre la population, car c’est de la santé de la population qu’il s’agit. C’est vrai qu’il y a des pharmaciens qui déshonorent la profession et qui alimentent le marché parallèle.
Je suppose qu’il y ait des sanctions qui sont prévues par le Code. Alors pourquoi vous ne les appliquez pas ?
Même l’ordre en tant qu’institution n’arrive pas à faire appliquer les textes parce que l’autorité que nous avons eue pendant les dix dernières années a tout fait pour que ce soit ainsi. Qu’on le veuille ou non, les intérêts divergent. Les multinationales sont au-dessus de nos lois. Elles nous imposent le non respect des textes que nous-mêmes avons appris dans leurs pays.
Aujourd’hui, il y a deux ordres au Bénin. Quelle lecture faites-vous de cette situation ?
Il n’y a jamais eu deux Ordres au Bénin. Il y avait un seul ordre qui était présidé par le Docteur Toukourou Moutiatou qui a fait un travail exemplaire. Malheureusement, les multinationales étant au-dessus de nos lois, pour faire leur sale besogne avec la complicité de nos autorités, ont tout fait pour faire disparaître l’Ordre dirigé par Madame Toukourou. C’est ce qui a entraîné le second Ordre que le ministère a créé en violation flagrante des textes qui régissent la profession.
De quelle sale besogne parlez-vous ? Approvisionner les terroristes de la sous-région en médicaments interdits ?
Je ne dirai pas que les terroristes transitent par le Bénin, mais je sais qu’il y a eu un laisser-aller dans la distribution de certains produits dont l’utilisation est détournée. Et ces produits effectivement peuvent permettre aux terroristes d’influencer ou de modifier le comportement des gens qu’on envoie sur le terrain pour commettre les actes que tout le monde condamne. Ce sont des produits qui sont importés sous la responsabilité des autorités de régulation. Malheureusement, les quantités qui sont livrées sont énormes et ces gens viennent effectivement s’approvisionner auprès de nos officines à des prix qui défient toute concurrence.
Avez-vous déjà rencontré le ministre de tutelle à cet effet ?
L’Ordre auquel je suis inscrit a fait une demande d’audience au ministre de la santé depuis plus de deux mois mais sans réponse.
Quelles sont les motivations de votre retrait de l’Ordre ?
Le combat que j’ai mené depuis 1989 n’est pas encore terminé. Il y a d’autres qui doivent le continuer pour que les confrères ne ramènent pas le combat à ma seule personne, prétextant de conflit d’intérêts à l’origine de ce combat.
Nombre de pharmaciens pensent que vous manquez beaucoup à l’Ordre. En retour, l’Ordre vous manque aussi ?
Même en n’étant pas dans le bureau de l’Ordre, je dois faire ce qui est nécessaire pour que cette profession évolue, pour que les textes soient respectés et pour que le pharmacien béninois soit celui qui est envié comme par le passé et qu’on ne dise plus que c’est au Bénin que transitent les faux médicaments, qu’on ne dise plus que c’est au Bénin que les terroristes viennent s’approvisionner en produits avec lesquels ils commettent leurs forfaits.
La lutte contre les faux médicaments au Bénin est-elle une réalité après la déclaration de Chirac ?
Je pense que c’était très beau de faire cette déclaration, mais je me suis rendu compte qu’au Bénin, il manque toujours de volonté politique. On a comme l’impression que tout cela est du cinéma.
Le Conseil des ministres a décidé de déguerpir le marché Adjégounlè. Saluez-vous cette décision ?
S’ils arrivent à le faire, alors je dirai bravo et en ce moment-là, nous allons nous mettre encore plus derrière eux. Nous les avons soutenus pour qu’ils arrivent, parce que le désordre que nous avons connu dans notre profession est dû aux pouvoirs exorbitants du Président de la République que le nouveau Président se propose de réduire.
Vous accusez le Président Boni Yayi d’avoir été l’auteur principal de la crise qui secoue l’Ordre ?
Dire que je l’accuse, je ne sais pas si c’est assez fort. Je dis que c’est lui qui l’a fait et je l’ai dit quand il était là. J’avais dit que l’histoire retiendra que c’est sous Boni Yayi que les textes qui régissent le secteur de la santé ont été bafoués et violés. L’histoire retiendra aussi que c’est sous lui que les trafiquants ont pris autant d’importance. Et que c’est encore sous lui que les multinationales sont au-dessus de nos lois.
Propos recueillis par Romuald D. LOGBO