Dr Freedath Djibril Moussa est enseignante-chercheure, maître de Conférences en probabilités et statistiques et cheffe adjointe du département de Mathématiques à la Faculté des Sciences et Techniques (FAST) de l’Université d’Abomey-Calavi. En tant que femme scientifique, elle partage ses expériences avec les apprenantes en vue de susciter dans leur rang, plus de vocation pour les sciences. Interview !
Educ’Action : En tant que femme scientifique, en quoi consiste votre travail ?
Dr Freedath Djibril Moussa : Mon travail comporte deux aspects. Le premier, c’est l’enseignement : transmettre mes connaissances et ma passion des mathématiques aux étudiants. Le deuxième, c’est la recherche que je fais principalement en probabilités et statistiques avec des applications. Il s’agit de proposer des solutions à des problèmes ouverts, d’améliorer ou de simplifier la résolution de problèmes grâce aux outils de probabilités et statistiques, la finalité étant d’améliorer le quotidien dans la vie réelle, une fois que l’univers possible des applications sera exploré. De temps en temps, je présente les résultats de recherches dans des colloques, des conférences. Quelques fois, je parle de ce que je fais pour donner envie à d’autres, pour montrer aussi que ce n’est pas si difficile.
Pour vous, quels sont les facteurs qui favorisent le désintérêt des filles pour les sciences ?
Les principaux facteurs sont le manque de modèles inspirants et les préjugés sociologiques. Préjugés sociologiques dans la mesure où beaucoup continuent de croire que le rôle de la femme est surtout de s’occuper de la maison, de la famille et des enfants. Ces préjugés ne sont pas spécifiques aux sciences, mais plutôt aux carrières des femmes. La société accorde encore moins de chance aux femmes qu’aux hommes d’accéder à une bonne éducation, donc de mener plus tard des carrières scientifiques. Manque de modèles inspirants car on n’est pas en général enclin à explorer des horizons nouveaux. On a souvent besoin de voir quelqu’un réussir avant de s’engager, de se projeter.
A votre époque, ces facteurs existaient déjà et pourtant vous les avez bravés. Comment en êtes-vous arrivée là ?
J’ai eu la chance d’avoir grandi dans un milieu où la question de faire carrière en tant que femme n’était pas une option. C’était la seule option. Mes parents ont été exigeants pour l’éducation et j’ai toujours pu compter sur leur soutien indéfectible. De plus, ma mère a fait carrière, donc il n’était pas question d’envisager autre chose. Mais je ne savais pas à l’avance que je ferais les sciences. A chaque étape, j’étais convaincue qu’il fallait exceller, se battre, persévérer, aller au bout. Dans mes études, j’ai toujours avancé avec la conviction que je devais réussir. C’est vraiment ce qui m’a permis d’être où je suis aujourd’hui. Ce n’était pas facile, mais à chaque difficulté, je n’ai jamais envisagé renoncer ni regretté d’avoir pris ce chemin. Pour moi, ce n’était qu’une épreuve à surmonter pour aller de l’avant.
Quelles sont les réalités de ce monde scientifique ?
En tant que femme scientifique, je dirai que ce monde est passionnant. Il y a tant à faire. On a la chance en tant qu’enseignant-chercheur de rencontrer régulièrement de nouvelles personnes qui ont des idées et des approches différentes et qui vous enrichissent de leurs perceptions, de leur manière de travailler. De plus, on a la chance d’évoluer dans un environnement multiculturel, d’aller au contact des autres, de collaborer avec des personnes de divers horizons, car la science ne se fait pas en vase clos. Et surtout, le travail a plusieurs aspects : l’enseignement, la recherche, les publications, la vulgarisation, la participation à des conférences, le montage d’évènements scientifiques. Grâce à ces différentes facettes du boulot, on ne s’ennuie jamais au final et c’est quelque chose que j’aime tout simplement.
Comment se comportent les hommes avec vous dans cette profession ?
Ben… Je ne sais pas (sourire). Je ne me suis jamais posée cette question. Actuellement je suis la seule femme en activité au département de mathématiques. Bien que ce ne soit pas un problème en soi, je souhaiterais qu’il y ait d’autres femmes au département. J’ai su trouver ma place et on arrive à travailler ensemble dans une bonne ambiance. Je ne suis ni brimée ni stigmatisée parce que je suis une femme. Bien au contraire, mes collègues sont bienveillants à mon égard.
Quelles sont les difficultés que vous rencontrez et qui sont liées à votre domaine ?
Ce sont des difficultés liées au boulot lui-même et pas au fait d’être une femme. On voudrait plus de moyens car la massification des effectifs en faculté pose des défis pour l’enseignement des sciences et techniques, et davantage de financement pour la recherche. Sur le plan personnel, le principal challenge qui n’est pas lié au fait d’être une femme scientifique mais au fait d’être une femme active, est de concilier le boulot et la vie de famille. Etre enseignante-chercheure ne me dispense pas de mes devoirs et de mes responsabilités de mère de famille. Y arriver est un exercice permanent d’organisation et d’anticipation au quotidien, avec l’accompagnement compréhensif de mon entourage.
Combien de résultats de recherches avez-vous à votre actif ?
Je parlerai plutôt de publications que j’évalue à une dizaine. J’ai eu à proposer de nouvelles méthodes de sélection de modèles orientées sur les données. Avec une équipe de l’Institut de Mathématiques et de Sciences Physiques, nous avons travaillé sur des méthodes statistiques sur les variétés riemanniennes, avec des applications en Economie. Nous nous sommes aussi intéressés à l’analyse stochastique et à la géométrie de l’information. Un travail un peu plus récent porte sur la construction d’outils statistiques pour la caractérisation biomécanique des cellules cancéreuses. Par ailleurs, avec une équipe de la Faculté des Sciences Agronomiques, nous avons étudié les modèles linéaires mixtes et les applications à l’écologie.
Aujourd’hui, que faire pour que les filles s’intéressent davantage à ces domaines en dehors des efforts que le gouvernement fournit ?
Pour intéresser les filles, le mentorat et le tutorat sont très importants. La promotion des femmes scientifiques, déjà dans leur corps de métier et aussi dans le reste de la société, donne une forte visibilité à leurs parcours et augmente l’attractivité de ce type de carrière. Au niveau de l’université, il existe déjà une dynamique de promotion des femmes à travers des nominations aux postes de vice-recteur, doyen ou vice-doyen d’entité. Il y a aussi l’organisation de clubs de sciences, de foires et de concours scientifiques dans lesquels la participation des filles est exigée (comme le championnat de mathématiques et le concours miss Mathématiques Physique Chimie), avec un fort battage médiatique.
Quels conseils avez-vous pour les filles, en tant que modèle pour les inciter ?
Pour les filles qui sont engagées dans les sciences, je leur dire bravo. Persévérez, il y a tout un panel de métiers d’avenir qui vous tendent les bras. Pour celles qui hésitent, ne doutez pas, foncez ! Personne ne vous dira que c’est facile mais rien de bon n’est facile. C’est au bout de l’effort, qu’il y a le réconfort. C’est ce qui fera de vous, des expertes dans votre domaine. Accrochez-vous, persévérez et excellez. Vous impacterez et vous épaterez le monde avec vos talents et vos compétences. N’hésitez pas à consentir à quelques années de sacrifices pour toute une carrière passionnante et épanouissante ensuite.
Que dire pour conclure cet entretien ?
Je vous remercie d’avoir pensé à moi pour partager mon expérience afin de motiver les plus jeunes. A une époque où les sciences et leurs applications sont indispensables au développement, l’implication des femmes dans ces domaines devient une nécessité. La minorité que constituent les hommes ne saurait toute seule, faire la science pour tout le monde. C’est donc du bon sens d’œuvrer à attirer toujours plus de femmes vers les sciences. Je vous remercie.
Propos recueillis par Estelle DJIGRI