Autrefois appelé ‘’Trouble Envahissant du Développement’’(TED), l’autisme nécessite une prise en charge pluridisciplinaire. Malgré les initiatives prises couplées à la célébration de la Journée Mondiale de la Sensibilisation à l’Autisme, le 02 avril de chaque année, l’inclusion des apprenants autistes dans le système éducatif béninois reste une équation difficile à résoudre par les différents acteurs de l’école. Educ’Action, à travers ce reportage, allume les projecteurs sur ces types d’apprenants et leur situation dans les écoles.
Nous sommes dans la commune d’Abomey-Calavi, département de l’Atlantique, le mercredi 19 mai 2021. Maëlick (prénom attribué) âgé de 4 ans, est écolier dans la section des grands dans une des écoles maternelles de cette commune. En classe, il n’interagit pas et ne s’intéresse pas trop à ses camarades. Au cours des activités pédagogiques, il se replie sur lui-même et une fois à la maison, c’est le grand amour entre la balançoire et lui. C’est son passe-temps. « Mon enfant s’intéresse surtout à des objets comme une louche de cuisine en bois qu’il traine tout le temps jusqu’à maintenant. Depuis sa naissance, il faut qu’il ait une cuillère en main. Maintenant, cela a évolué et il préfère les louches en bois », fait savoir Julia Bada, une parente d’enfant vivant avec ce handicap pour renseigner sur la particularité du trouble du spectre autistique chez son enfant. Ces catégories d’enfants existent dans les familles, la société, les cliniques voire dans quelques écoles, mais ils ne bénéficient pas souvent d’une attention particulière. Ils sont souvent laissés à eux-mêmes, isolés du groupe d’apprenants lors des apprentissages et séquences de cours en classe, en raison de leur trouble de développement du cerveau.
Selon les explications données par les spécialistes de la prise en charge de cette pathologie, l’autisme de l’enfant varie d’un apprenant à un autre. Du moins, le degré de sévérité de la pathologie autistique des apprenants varie suivant l’altération dans le développement des fonctions cérébrales.
De la typologie de l’autisme chez les apprenants…
Perturbant trois (03) éléments que sont le comportement, la relation sociale et la communication, l’autisme est de deux (02) types. « Il y a l’autisme de Kanner qui présente des perturbations au niveau du comportement, du social et de la communication et l’autisme de haut niveau ou ‘‘Asperger’’ qui est un génie utilisé dans les grandes industries, mais les aspects sociaux et le comportement sont plus perturbés que le langage », explique Mickaël Viégbé, orthophoniste et membre de l’Association Béninoise des Professionnels de Orthophonie (ABEPO). Habituée à recevoir les apprenants autistes pour leur prise en charge, Dr Lucrèce Anagonou Lary, pédopsychiatre au Centre Hospitalier et Universitaire de la Mère et de l’Enfant Lagune de Cotonou (CHUMEL), appuie l’orthophoniste dans ses explications. « Il y en a qui n’ont pas de déficiences intellectuelles, donc ils ont une intelligence normale. Ceux-là sont appelés des autistes de haut niveau et parmi les autistes de haut niveau, il y a ceux qu’on appelle les ‘‘Asperger’’. Ils ont souvent un domaine de compétences particulières, un domaine qu’ils affectionnent et dans lequel ils sont très bons. C’est parmi ces enfants que vous allez trouver des enfants qui ont l’ouïe parfaite et les mathématiciens prodigieux », a-t-elle précisé, montrant ainsi la nature et la qualité d’un apprenant autiste de type ‘‘Asperger’’.
Connu également sous le vocable ‘‘Trouble du Spectre Autistique’’, la typologie de cette pathologie n’est pas la même chez les différents acteurs intervenant dans la vie des enfants vivant avec ce handicap. « Il existe l’autisme de l’enfant diagnostiqué avant l’âge de 3 ans, l’autisme atypique après l’âge de 3 ans », fait savoir, à son tour, Amélie Delphine Akplogan Massessi, psychologue clinicienne et promotrice du Complexe Scolaire Inclusif ‘‘Le Jardin des Oliviers’’. Pour s’assurer de la présence de cette pathologie, l’observation de certains faits et comportements permet de se rendre à l’évidence de ce trouble de développement du cerveau.
De la manifestation du trouble du spectre autistique…
Le trouble du spectre autistique est pris en charge par plusieurs spécialistes au nombre desquels l’orthophoniste, le pédopsychiatre, le psychologue clinicien, les psychomotriciens, les ergothérapeutes. Cependant, quelques manifestations permettent aux spécialistes cités plus haut, de s’assurer de la présence des troubles du développement du cerveau chez l’apprenant. Caractérisé par une altération qualitative des interactions sociales réciproques couplée à celle qualitative des modalités de communication des intérêts et comportements restreints et répétitifs, l’autisme, chez les écoliers, se manifeste avant l’âge de trois (03) ans. « Ce sont des enfants généralement renfermés, introvertis qui s’extériorisent très rarement, très peu ou pas du tout. Ils peuvent éviter toute occasion d’échanger avec leurs parents, camarades ou toute autre personne, peu importe le rapport de familiarité », a laissé entendre Cossi Victor Alaba, Docteur en sciences de l’éducation et de la formation à l’Université d’Abomey-Calavi(UAC).
Comptant aujourd’hui quatre (04) enfants autistes, l’ONG Autisme Bénin accompagne cette catégorie d’apprenants en vue d’une prise en charge adéquate. « Quand vous avez un enfant qui a des difficultés générales à établir des relations avec l’entourage, avec un déficit d’attention, une tendance à l’isolement et un repli constant sur lui-même, une fuite de regard, un retard ou absence de développement du langage, un intérêt restreint et obsessionnel, une observation de rituel précis et non fonctionnel, du maniérisme moteur stéréotypé et répétitif, par exemple, torsion des mains ou des doigts, ce sont des signes de d’autisme », a détaillé, pêle-mêle, Gloria Kponou, psychologue clinicienne et membre de l’ONG Autisme Bénin avant d’ajouter les manifestations d’ordre général que sont, entre autres, les problèmes d’épilepsie, l’hyperréactivité, l’arythmie cardiaque, la peur du changement, les troubles du sommeil, une mauvaise compréhension du langage non verbal.
Ces manifestations citées supra s’observent relativement chez l’enfant de Julia Bada, commerçante d’articles de femme.
« A un (01) an et demi, un enfant commence à citer les syllabes. Mon garçon ne le faisait pas. Je me disais qu’il a encore le temps. A deux (02) ans, il ne disait ni papa ni maman et quand on l’appelait, il ne réagissait même pas. Lorsqu’il entend la musique, il tourne en rond, il est content. Je me suis dit qu’il entend quand même. Je me pose souvent des questions car je trouve cela un peu bizarre », avoue-t-elle, se rappelant ainsi des faits et attitudes ayant marqué le début du constat de ce trouble de développement chez sa progéniture.
Rencontrée dans son bureau au Centre National Hospitalière et Universitaire Hubert Koutoukou Maga, Dr Lucrèce Anagonou Lary, maître-assistant des Universités de CAMES, rappelle quelques symptômes de l’autisme chez l’apprenant. « Quand on essaie d’être en interaction avec l’enfant autiste, il y a le contact oculaire qui manque. Cet enfant a un regard périphérique. Sur le plan de la communication, ce sont des enfants qui ne parlent pas ou qui n’ont pas acquis le langage ou qui l’acquièrent de façon tardive. Lorsqu’un enfant comme cela parle, on peut avoir des inversions pronominales, c’est-à-dire qu’il peut parler de lui-même à la troisième personne du singulier. Au lieu de dire ‘‘Je’’, il dira ‘‘Il’’. On peut avoir des enfants qui font ce qu’on appelle des écholalies, c’est-à-dire qu’ils répètent ce que sa maîtresse dit », dira-t-elle pour renseigner sur quelques signes de la pathologie autistique des enfants par elle prise en charge. Aussi, poursuit-t-elle, ce sont des enfants qui ont un intérêt pour un objet ou pour une partie d’objet.
Quid de la situation de ces apprenants dans les écoles ?
La marginalisation et la vulnérabilité des apprenants vivant avec le trouble dans le spectre de l’autisme ne répondent pas aux exigences d’une éducation inclusive. Du moins, ces apprenants, quel que soit le degré de sévérité de leur handicap, ne bénéficient pas de l’apprentissage propice dans les écoles publiques et même dans certaines écoles privées. Pourtant, une prise en charge éducative des enfants à besoins spécifiques est prévue conformément au plan d’actions de la politique nationale de protection et d’intégration des personnes handicapées. Lequel plan d’actions est défini dans le Plan Sectoriel de l’Education Post 2015. Hélas, le constat dans la sphère scolaire laisse à désirer. « Je dirai déjà que l’école où mon garçon est, c’est la directrice qui a coopéré. Sinon par rapport aux autres écoles où j’avais essayé d’inscrire mon enfant, cela n’a pas été facile. Nous avons fait beaucoup d’écoles et cela n’a pas marché », confie Julia Bada, rappelant ainsi la difficulté liée à l’inscription de son enfant. Un constat que partagent aussi des spécialistes de l’accompagnement des apprenants affectés par le Trouble Envahissant du Développement (TED). « Dans les écoles, c’est assez problématique. Au Bénin en général, il n’y a pas encore une école spécifique dédiée à l’apprenant autiste. Vu les difficultés liées à la prise en charge, de l’accompagnement académique de ces enfants, les parents peinent à trouver un cadre idéal à leur éducation. Rares sont les écoles qui les acceptent de façon globale. Donc, ils sont exclus du système éducatif. Même dans le cas où on arrive à les insérer, leur besoin ne trouve pas forcément des solutions spécifiques », alerte Gloria Kponou, membre de l’ONG Autisme Bénin pour montrer les obstacles rencontrés par les parents d’élèves autistes dans l’inscription de leur rejeton à l’école. Cette analyse de Gloria Kponou, également psychologue clinicienne, semble rejoindre celle de sa collègue Amélie Delphine Akplogan Massessi, initiatrice de l’ONG ‘‘Le Cercle des Oliviers’’. « A ce jour, il n’existe aucune école publique au Bénin pour les enfants autistes. Ils constituent, à mon humble avis, des personnes vulnérables de parents plus que pauvres. Il est possible de rencontrer des enfants autistes dans quelques écoles privées qui se veulent inclusives », se désole-t-elle. Tout comme ses paires, l’orthophoniste Mickaël Viégbé affirme que ces cas d’apprenants sont dans une situation difficile car les apprentissages et le cadre ne sont pas adaptés. Ce qui est en proie à l’isolement dans le rang des enseignants.
De l’isolement des enseignants à l’accompagnement…
« L’éducation consiste à comprendre l’enfant tel qu’il est, sans lui imposer l’image de ce que nous pensons qu’il devrait être », a dit le penseur indien Jiddu Krishnamurti. Cette citation ne trouve pas son ancrage dans les attitudes, voire la pédagogie appliquée par les enseignants dès lors qu’ils ont des apprenants autistes dans leur groupe pédagogique. « Le constat est simple et le refrain est le même chez tous les enseignants : je ne suis pas formé pour l’éducation de ces enfants. S’en suivent les résultats qui s’expriment par une perte de temps, une perte d’énergie et d’argent, la démotivation et l’abandon chez quelques-uns des parents qui se déterminent à faire jouir le droit à l’éducation de leurs enfants autistes », dira, toute déçue,
Amélie Delphine Akplogan Massessi, conseillère pédagogique des enseignements maternel et primaire à la retraite. Abondant dans le même sens, Gloria Kponou de l’ONG Autisme Bénin affirme : « les enseignants n’étant pas formés pour, ils n’ont pas le regard sur eux. Ce qui perturbe forcement le bon déroulement des situations d’apprentissage. Quand on est dans une classe véritablement inclusive, on parvient à identifier les besoins de l’enfant et à apporter les solutions nécessaires à l’enfant ». A la question de savoir si les enfants autistes sont capables d’aller à l’école, Dr Lucrèce Anagonou Lary, pédopsychiatre, répond en ces termes : « tous les enfants ont le droit à l’éducation. La difficulté ici est que notre système éducatif n’a pas encore mis tout ce qu’il faut en place pour les accompagner ». Par ailleurs, elle ajoute que l’enfant vit avec l’autisme toute sa vie mais l’expression change en fonction de l’âge et du niveau de développement. Le raffermissement de la relation entre l’école et la famille est indispensable pour encadrer convenablement l’écolier autiste à travers un soutien affectif et psychologique. « Les réactions de l’enseignant qui a dans sa classe un élève autiste, c’est de le protéger du regard moqueur de ses autres camarades, de leurs mauvais jugements ou injures, de le mettre en confiance, de lui offrir attention, affection, tendresse et écoute, de signaler son cas à l’administration scolaire », suggère Dr Cossi Victor Alaba, spécialiste de l’analyse et de l’évaluation des systèmes éducatifs, avant de mettre le doigt sur le suivi de proximité qui doit être fait avec beaucoup de calme, de patience, de sérénité et d’amitié. Reconnaissant, à coup sûr, l’accompagnement pluridisciplinaire et même interdisciplinaire de l’apprenant autiste, la fondatrice du Complexe Scolaire Inclusif ‘‘Le Jardin des Oliviers’’ lève un coin de voile sur la méthode qui est celle du psychologue clinicien pour une prise en charge réussie. « Le psychologue doit faire preuve de professionnalisme. Le parent tout comme l’enseignant doit faire preuve de patience et l’apprenant lui-même à une étape donnée, fait naturellement preuve d’une motivation intrinsèque », a-t-elle argué, affirmant par ailleurs que le psychologue doit, à l’aide de protocoles cliniques et d’outils adéquats, pister les altérations psychologiques principales dans le développement de son client-apprenant en milieu scolaire, tout en recherchant les structures cérébrales ou les systèmes neurologiques pouvant être impliqués dans ses différentes altérations.
Manque de volonté politique couplée à celui d’étude concernant cette couche de la société pour en connaître les statistiques, manque de prises en charge thérapeutique, éducative et leur intégration sociale, sont autant de problèmes égrenés par les acteurs, spécialistes de la prise en charge du Trouble du Spectre Autistique.
Enock GUIDJIME