A l’instar des pays du monde, le Bénin est composé de personnes dites normales et des personnes handicapées. Cette dernière catégorie de personnes, malheureusement, subisse une discrimination du fait de leur situation involontaire de vie. Une éducation, un emploi stable, une vie épanouie sont autant de domaines dans lesquels ces personnes vivant avec un handicap sont marginalisées. Bien que quelques rares écoles existent pour les accueillir, la question de l’éducation inclusive reste un réel défi pour les gouvernants et le système éducatif béninois. Reportage !
Mardi 23 Novembre 2021. Nous sommes dans le 10ème arrondissement de Cotonou, précisément dans le quartier Vêdoko. Dans un coin, un peu éloigné de toute commodité et confort qu’offre la ville métropole, sont érigées des habitations, pour la plupart précaires, construites sur des sols très humides, dans des bas-fonds. Mises à part les conditions de vie des habitants, ce qui retient l’attention de l’équipe de Educ’Action dans cet univers, c’est la présence de deux (02) écoles primaires publiques dans un même quartier, dans une même ruelle, et situées à quelques petits mètres l’une de l’autre. N’eut été la forte broussaille qui sépare ces deux écoles, ces dernières auraient en commun une même clôture. Comment alors, deux écoles relevant de l’Etat peuvent-elles coexister ?
Notre descente dans chacune d’elle renseigne plus sur la situation. Si l’équipe est accueillie de vive voix dans l’une, c’est plutôt des signes et gestes qui l’ont accueillie dans l’autre. La première est l’Ecole Primaire Publique (EPP) Vêdoko 2 et la seconde c’est la seule et unique Ecole Primaire Publique des enfants sourds du Bénin.
Dès lors que cette clarification est faite, cette cohabitation ne devrait plus, à priori, poser de problème. Et pourtant, il y en a bien un : l’éducation inclusive prônée ci et là depuis quelques années par les ONG, les institutions spécialisées dans l’éducation et même le Gouvernement. Au regard de ce que prévoit l’éducation inclusive, peut-on encore comprendre cette cohabitation entre ces deux écoles ? Ou a-t-on troqué la définition de l’éducation inclusive contre une autre ? Rappelons donc ce qu’est l’éducation inclusive.
Que comprendre de l’«Education Inclusive» ?
Bienvenu Komaklo est directeur de l’Ecole Primaire Publique des sourds. Vêtu d’une tenue communément appelée ‘’Bohoumba’’ et confortablement assis dans son bureau, ce mardi 23 novembre, il donne sa compréhension de l’éducation inclusive. «L’éducation inclusive s’entend par le fait qu’il faut mettre les enfants handicapés ensemble avec les enfants non handicapés. Cela veut dire que tous les types d’enfants peuvent rester ensemble pour travailler, apprendre et échanger», dit-il. Christophe Kpomaho, directeur de l’EPP Vêdoko 2, groupe A, dira à sa suite: «L’éducation inclusive est une éducation qui prend en compte, dans un même milieu, des enfants de différentes catégories, tels que les enfants normaux et les enfants à déficience sur plusieurs facettes». Autrefois institutrice dans les écoles publiques, Perpétue Afomassè Hounnou est aujourd’hui directrice-fondatrice d’une école à option inclusive, depuis bientôt 20 ans. Pour avoir fait l’expérience de l’éducation non inclusive et inclusive, elle semble bien imprégnée de la question. Approuvant les définitions données par ses collègues, elle explique qu’autrefois, «avant de s’instruire, il faut être coûte que coûte équilibré, avoir ses jambes, ses yeux, ses oreilles. Il faut pouvoir parler et être intelligent. Mais l’éducation inclusive vient dire NON à cette règle et veut que tous les enfants aient droit à l’éducation et à l’instruction». Alors, où en est le Bénin dans cette forme d’éducation ?
Education Inclusive dans les écoles publiques, un mythe ?
Que pensez-vous de l’application de l’Education Inclusive dans les écoles publiques au Bénin ? A cette question, les réponses sont pratiquement identiques dans le rang des acteurs de l’éducation. Enseignant communautaire à l’école béninoise des sourds de Vêdoko, Narcisse Dagan affirme que l’éducation inclusive n’existe pas au sens propre dans le public. «Quand on voit tout ce qui entre en jeu pour que l’éducation soit réellement ce que les gens ont pensé au départ, on passe à côté de beaucoup de choses. Pour faire cette forme d’éducation, on a besoin de beaucoup de personnel, ce que nous n’avons pas», renseigne le trentenaire. Abondant dans le même sens que son prédécesseur, Roger Sènouvo, directeur de l’EPP Vêdoko 2, groupe B, affirme n’en avoir jamais vu. Mieux, il doute qu’un jour, l’école étatique en arrive là, au regard de toutes les implications, car, laisse-t-il entendre, «le Bénin n’a pas les moyens de cette politique».
Après plusieurs années hors des écoles publiques, Perpétue Afomassè Hounnou, n’a noté aucune éducation inclusive à ce jour. «Dans le public, j’ai souffert de voir notre incapacité à aider ce type d’enfants et après 20 ans, rien n’a changé», se désole-t-elle. D’un ton certain, elle martèle que «l’Education inclusive n’est pas une réalité dans le public et ne peut l’être parce que l’Etat n’a pas pris les dispositions pour cela».
Un début d’application dans le privé
Tout en reconnaissant les difficultés que l’on rencontre à prendre soin d’un seul enfant porteur de handicap, les personnes ressources notent un début d’application dans le privé, qu’elles saluent d’ailleurs. Pour elles, l’application de l’éducation inclusive implique la mise à disposition de spécialistes des questions de l’enfant dans les écoles, des éducateurs spécialisés et un ensemble de choses à ne pas ignorer. Elles estiment que seules les écoles privées y parviennent avec grande peine pour le moment.
Mais alors, si le privé arrive à faire un début d’effort, qu’en est-il du public ? L’Etat ne pense-t-il pas que ces enfants ont, eux aussi, droit à l’éducation et à l’instruction ? Sont-ils condamnés à vivre uniquement avec des enfants de même catégorie qu’eux ? N’ont-ils pas le droit de vivre avec d’autres enfants pour connaître les joies de l’enfance ? L’Etat opte-t-il pour la politique de l’exclusion ? Victor Hugo disait : «Un enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne». L’Etat a-t-il perdu l’espoir de gagner des hommes parmi ces enfants, soient-ils aveugles, sourds et porteurs d’autres handicaps ? L’Etat n’opterait-il pas pour une expérimentation de l’éducation inclusive comme ce fut le cas pour l’introduction de l’Anglais dans le primaire, aux fins de voir les leçons à tirer ? Autant de questions qui taraudent l’esprit des personnes interrogées. Mais déjà, ces acteurs croient fortement que l’éducation inclusive apporterait beaucoup à l’Etat.
Les biens fondés de l’Education inclusive
Coffi et Cokou (prénoms attribués) sont frères et écoliers du public. L’un doit prendre la direction de l’école des sourds tandis que l’autre, celle de l’école de Vêdoko 2. Les liens de fraternité, d’amitié et de confiance sont brisés le temps d’une journée de classe. Pourtant, ces liens pourraient demeurer si l’éducation inclusive était possible. A en croire les directeurs du public comme du privé, l’éducation inclusive changerait la mentalité de plus d’un, face à la perception que l’on se fait des personnes handicapées. Car, dénonce Roger Sènouvo, «aujourd’hui dans notre société, les handicapés sont comme des gens dans un autre monde».
Mais pour avoir fait l’expérience de la cohabitation avec le CEG Vêdoko pour des raisons de réfection de son école, le directeur Bienvenu Komaklo reste persuadé que l’éducation inclusive apporterait un plus à chaque apprenant. L’expérience faite dans ce CEG permet aujourd’hui à Bienvenu komaklo de noter un épanouissement chez les enfants handicapés. «Quand on parle d’éducation inclusive, l’enfant fait avec tout type de personnes. Cela suppose qu’il y a brassage et la société évolue. Pour avoir fait cette expérience au CEG, j’ai vu combien l’ambiance était parfaite. Les autres enfants essayaient du mieux qu’ils pouvaient, de s’exprimer en langage des sourds», a-t-il témoigné. Celle qui illustre bien la chose à travers l’expérience vécue à l’école Sainte Jocelyne, c’est Perpétue Afomassè Hounnou. «J’aime ce travail à cause de la joie et de l’ambiance qu’on y trouve», dira-t-elle, les yeux imbibés de larmes. Avec une voix tremblante, expression d’une forte émotion, elle détaille le bonheur que l’éducation inclusive procure aux enfants. «Les enfants ont la chance très tôt de rencontrer des gens qui sont différents d’eux ; de recevoir une éducation qui leur permet de faire la différence entre les choses et les situations de vie», a-t-elle fait savoir. Faisant allusion à son école où est accueillie une cinquantaine d’enfants handicapés, toute catégorie confondue, elle laisse comprendre que «ces enfants dits normaux sont très sociables, tolérants, gentils, prêts à aider. Ils connaissent le sens de la solidarité. Quand les enfants handicapés se retrouvent dans les escaliers, Ils ont quatre (04) bras pour leur venir au secours. Ils sont carrément en famille. Ils se soutiennent». Les enfants porteurs de handicap, quant à eux, poursuit-elle, imitent leurs pairs et le changement intervient. Ce qui enlève un poids aux parents qui peuvent désormais vaquer à leurs occupations pour le bien de l’économie béninoise. Dans une société attachée aux valeurs humaines comme la nôtre, l’Etat ne gagnerait-il pas à avoir des hommes épris de tolérance et d’amour ?
Estelle DJIGRI