L’hétérogénéité d’une classe fait appel à la mise en œuvre de la pédagogie différenciée pour permettre aux apprenants d’être au même niveau d’assimilation des séquences de cours. Seulement, cet idéal pédagogique reste encore et dans beaucoup de cas, une chimère dans les classes à cause des conditions préalables qu’exige son application. Certains apprenants sont donc hélas sacrifiés et privés des fondamentaux. Educ’Action fait ici le point avec les tenants et aboutissants de cette pédagogie. Reportage !
Nous sommes le jeudi 04 février 2021 au Complexe Scolaire Gbégamey-Sud. Il est 15 heures 30 minutes. La classe de CI du groupe A de ce complexe qui jouxte le Collège d’Enseignement Général de Gbégamey est animée. Les écoliers debout, faisant un demi-cercle sous forme de ’’U‘’, suivent avec attention et participent à une séquence pédagogique déroulée sous le contrôle de Rose Djossou, titulaire de la classe : c’est la communication écrite. Ici, il est question d’amener les apprenants, ces tout-petits, à savoir jouer avec la poupée.
Deux apprenants sont ainsi invités à s’approcher d’une bassine d’eau disposée sur une table contenant une poupée torse nue. L’un des apprenants, éponge en main, s’active pour laver la poupée au moment où l’autre tient en main une serviette pour l’essuyer. Parmi les apprenants, on aperçoit une apprenante vivante avec un handicap : Davila (prénom attribué). Elle éprouve des difficultés langagières à répondre aux questions de l’enseignante sur cette séquence de cours qui se produit. Pour la remédiation, la titulaire de la classe se rapproche d’elle pour l’aider à articuler les mots et à répondre aux questions. « Lors du déroulement de chaque séquence de classe, je m’intéresse aux apprenants qui ont des besoins spécifiques d’une manière particulière en les aidant à affronter leurs difficultés de langage…», a fait savoir Rose Djossou, institutrice de la classe, avant d’ajouter que la séquence de la communication orale est une composante du français qui permet aux apprenants de s’exprimer et de s’habituer à la langue française. Cependant, en raison de l’effectif pléthorique de la classe et des créneaux horaires impartis aux séquences pédagogiques, l’attention à accorder aux particularités de chaque enfant, ce qui fait appel à la pédagogie différenciée, est presque inexistante. « L’aide pédagogique accordée à une apprenante dans une telle situation fait en sorte qu’on excède la durée prévue pour le déroulement de la séquence de classe », fait remarquer l’institutrice, martelant les difficultés à exécuter cette forme de pédagogie.
Assise dans son bureau, d’un teint clair couvert d’une robe locale, Solange Folly, directrice de l’EPP Gbégamey-Sud / groupe A, fouille dans ses documents exposés sur son bureau. Avec ses cheveux défrisés, elle a encouragé sa collaboratrice pour avoir, elle-même, fait l’expérience dans la même classe, l’année scolaire écoulée. « La maîtresse doit avoir la patience, sinon c’est très difficile. Elle doit beaucoup s’intéresser à elle (apprenante) pour qu’elle puisse se contenir un peu parce qu’il arrive des fois, quand elle s’énerve, de taper ses amis. Elle était très brutale. C’est ce qui s’est passé l’année dernière et j’ai été obligée de garder la classe. Il faut donc avoir beaucoup de patience avec elle. Cette année, elle s’est corrigée », a-t-elle confié au micro de Educ’Action. Nombreuses sont donc les classes hétérogènes comme celle du CI du groupe A dont l’effectif est souvent pléthorique et ne facilite pas la mise en application de la pédagogie différenciée. Laquelle est une approche pédagogique pourtant recommandée aux enseignants pour leur permettre d’atteindre, par différents moyens, les mêmes objectifs en classe. Cela dit, cette pédagogie n’est pas maîtrisée par bon nombre d’enseignants, hypothéquant ainsi la réussite en classe de certains apprenants.
Quid de la pédagogie différenciée…
Tout groupe, par essence, étant hétérogène, la plupart des enseignants rencontrés semblent ne pas avoir la maîtrise de la pédagogie différenciée. Du reste, ils ont du mal à s’appuyer sur les particularités propres à chaque apprenant pour mettre en œuvre, de manière plus efficace, leur pédagogie, sans pour autant rompre avec les exigences et la logique inhérente aux apprentissages. D’où l’explication de la pédagogie différenciée. « La pédagogie différenciée est une méthodologie d’enseignement qui tient compte des différences individuelles des élèves, c’est-à-dire les prérequis qui ne sont jamais les mêmes, des modes de pensées parce que chaque élève a sa façon de penser, des motivations. Les élèves ne vont pas à l’école avec les mêmes motivations, encore moins avec les mêmes modes de communication et d’expression car, il y en a qui sont très volubiles, d’autres promptes à répondre aux questions. Il y a aussi des apprenants timides et quand vous les interrogez, ils prennent du temps pour réagir. Il y a le milieu culturel de l’élève, les croyances, les situations familiales, les malheurs qui vont aussi interagir, puis il y a les caractéristiques psychologiques », a expliqué avec déclamation Dr Clarisse Napporn, enseignante-chercheure en Sciences de l’éducation à l’Université d’Abomey-Calavi. Alors, à quel moment l’enseignant peut-il faire recours à la pédagogie différenciée ? L’universitaire répond en ces termes : « On ne peut pas dire qu’il y a un moment précis auquel l’enseignant va faire de la pédagogie différenciée. C’est lui qui décide, c’est lui qui est dans sa classe, c’est lui qui connaît les élèves et leur diversité. C’est lui qui sait l’enseignement qu’il est en train de faire, les situations d’apprentissage ».
En effet, l’hétérogénéité inévitable de la classe trouve sa réponse dans la pédagogie différenciée. Assis, le regard fixé sur son ordinateur à la circonscription scolaire Cotonou-Gbégamey, Paulin Cocou Anato, conseiller pédagogique de la Zone 1, l’air épuisé par le travail de la journée, est en train de saisir des chiffres. « Quand vous prenez une salle de classe, elle n’est jamais homogène. Les apprenants sont là avec leurs différences individuelles. Il n’y a jamais des apprenants qui apprennent de la même manière, ni comprennent de la même façon. Donc l’hétérogénéité est évidente dans une classe. Par rapport à cela, la pédagogie différenciée vient comme une réponse à cette hétérogénéité. L’enseignant qui met en œuvre la pédagogie différenciée doit diversifier ses supports pédagogiques à savoir le matériel, les stratégies d’enseignement », a affirmé Paulin Cocou Anato, montrant ainsi le caractère impérieux et les raisons de l’usage de la pédagogie différenciée dans les classes. Avec son importance en raison de la non-homogénéité des classes, des préalables doivent être réunis pour sa mise en œuvre dans les classes.
Des préalables pour réussir la pédagogie différenciée…
Disponibilité de matériels didactiques, de supports, recyclage des enseignants sur la pédagogie en s’assurant qu’ils maîtrisent les styles d’apprentissage de chaque apprenant, effectif raisonnable d’apprenants. Ce sont là quelques-unes des conditions requises, à en croire les acteurs de l’école, pour le déroulement sans anicroches de la pédagogie différenciée. « S’il n’y a pas les matériels didactiques, les supports, les ressources, c’est difficile de demander à l’enseignant de faire de la pédagogie différenciée et si l’enseignant ne se recycle pas aussi, c’est difficile de lui demander de le faire parce qu’en matière d’éducation, les recherches nous apportent des ressources nouvelles. Il y a la formation, la culture, les connaissances, les ressources qu’il faut parce que s’il n’a pas, par exemple, reçu la formation initiale pour être enseignant, il serait difficile de lui demander de faire de la pédagogie différenciée », a expliqué Dr Clarisse Napporn, enseignant-chercheur en Sciences de l’éducation. « Il faut d’abord que l’effectif de la classe soit raisonnable. L’enseignant doit maîtriser les styles d’apprentissage de chaque enfant. Car, il y a des enfants qui apprennent juste pour avoir entendu, certains apprennent juste pour avoir vu et d’autres apprennent en manipulant. Donc l’enseignant doit connaître sa cible avant de réussir la pédagogie différenciée. Autre chose, l’enseignant doit prévoir le matériel qu’il faut, le diversifier : le matériel concret et le matériel imagé et aussi les stratégies d’apprentissage », dira, sur la même question, le conseiller pédagogique Paulin Cocou Anato. S’agissant de l’usage de la pédagogie différenciée dans le contexte actuel dans les classes, Paulin Cocou Anato, collaborateur du CRP n° 28, répond par la négation. « Non ! Quand vous prenez la plupart des salles de classes, nous avons une pléthore d’apprenants et cette pléthore est un frein pour la mise en œuvre de la pédagogie différenciée parce qu’il faut considérer chaque apprenant dans son individualité avec ses particularités », souligne-t-il, sans ambages. Reconnue donc comme une méthode inclusive, la pédagogie différenciée obéit à des démarches. A la lumière du constat fait sur le terrain, on retient que différencier la pédagogie en tenant compte des types d’apprenants reste une équation difficile à résoudre par les enseignants en situation de classe.
Des démarches face aux difficultés liées à la mise en œuvre…
Du constat de terrain, on s’aperçoit que l’enseignant peut différencier la pédagogie suivant sa connaissance des types d’apprenants. D’autres démarches aussi s’avèrent importantes pour intéresser les apprenants. « On peut différencier par les contenus, c’est-à-dire que l’enseignant va choisir différents types de contenus. Il peut différencier par les structures parce que cela se passe dans le groupe-classe, donc il peut organiser les groupes des élèves en fonction de comment il les sent et il fonctionne en mettant par exemple les bons avec les moins bons ou les moyens pour les tirer vers le haut », a laissé entendre l’universitaire Clarisse Napporn. Elle poursuit, par ailleurs, en égrenant d’autres différenciations liées à la pédagogie dans une classe. « L’enseignant peut différencier par les processus, c’est-à-dire la manière dont il entre en scène quand il doit faire la classe. Il peut aussi différencier par les productions. Si tel élève choisit d’exprimer telle chose par un texte, on peut accepter mais s’il y en a un qui souhaiterait le matérialiser par un dessin, l’enseignant devrait aussi accepter la production de l’élève qui n’est pas aussi un standard », a-t-elle renseigné pour émettre un bémol à la thèse selon laquelle les enseignants n’ont pas tous une formation initiale. Ce qui fait que, soutient-elle, des apprenants sont laissés sur le carreau. Avis partagés par le conseiller pédagogique Paulin Cocou Anato. « Beaucoup d’enseignants ne sont pas initiés à l’identification des styles d’apprentissage de leurs apprenants. Du coup, ils uniformisent leur stratégie à tous les apprenants. Et donc, c’est la même activité déroulée de la même manière pour tous. Ainsi, une bonne partie des apprenants est exclue », a démontré le CP avant d’ajouter que l’effectif pléthorique est un frein à l’usage de la pédagogie différenciée. Car, justifie-t-il, si l’enseignant a dans sa classe 60 élèves, 70 élèves, 80 élèves ou 120 élèves, dites-vous que la mise en œuvre de la pédagogie différenciée va être pénible. Au demeurant, il invite les enseignants à ne plus rester indifférents aux différences individuelles des apprenants, à leurs styles d’apprentissage.
Enock GUIDJIME