Eloge de la nécrophagie

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Depuis quelques temps, je n’avais plus les nouvelles de mon impétueux et présomptueux cousin du village. Il arrivait sans crier gare chez moi, le temps de malmener mes convictions socio-politiques et vider ma poche. Comme les quasi illettrés sinon les demi-lettrés pour être gentil, il maniait avec aplomb son français inutile et toxique qui parlait de tout et de rien et qui changeait de conviction selon la cible. Avec le temps, je me rendis compte que je l’admirais car, il avait cette capacité à dire tout haut et sans inquiétude ce que tout le monde pensait tout bas et dans la seconde se dédire, soutenant qu’on avait mal compris sa pensée.
Quand il apparaîssait, vous savez qu’il avait été recalé pour sa énième candidature au poste d’adjoint au chef de son quartier ou de vice -président de l’association locale des femmes ; en charge des veuves ! Ne vous méprenez pas ; il convainquait généralement son auditoire et en récoltait un gain, mais il se lassait vite et passait à autre chose.
Il me manquait car j’appréciais son babillage et ses acrobaties cognitives face à n’importe quel sujet. J’aurais l’occasion de le rencontrer bientôt, car je devrais aller au village pour une situation très douloureuse : mon oncle, chef de famille est mort.
Quelle ne fut ma surprise de le retrouver presque gros et gras drapé dans un large pagne. Il me reçut avec dignité et componction au contraire de son habitude volubile. Je fus étonné mais je comprenais cet instant solennel qui marquait le décès de mon oncle. Tous les visages étaient graves et semblaient marqués par la peine. Bientôt, il m’entraîna chez lui et je retrouvais mon cousin habituel. Il me dit : J’ai trouvé un filon formidable. Je suis membre du comité des obsèques de notre oncle en charge de l’organisation et de la communication. Pour résumer, on collecte, on crée des dépenses et on bouffe ! C’est comme dans les organisations politiques : on semble servir le peuple ; en réalité, on se sert !
Comment as-tu fait ? Et les enfants ? Quand il s’agit de faux coups, on me fait appel et je gère. Quels enfants ? La solidarité familiale d’abord. La mort est l’un des meilleurs business aujourd’hui dans un monde où nous sommes déjà toutes et tous dans une longue et inexorable agonie. Certains sont déjà des morts-vivants à force de soumission à nos Etats de lois où il s’agit de ne pas parler et se plaindre selon les politiques ; de ne pas rire ni se divertir selon les religieux, car cela déplaît à Dieu etc. de reverser nos minces pécules à l’Etat répressif et aux temples oppressifs.
Qu’est-ce qui nous reste à part les morts qui ne nous font plus peur, qu’on ne respecte plus ?
Chaque maillon de cette chaîne cherche à bouffer et participe à la curée toute honte bue : les enfants du défunt se battent pour installer individuellement leur campement pour recevoir les enveloppes ; la grande famille cotise pour le comité qui ne remet plus aux enfants comme de coutume ; chaque individu qui vient de loin se prépare à partir copieusement repu et à la limite avec un en-cas final dans un sachet. Quant aux villageois, c’est l’occasion de manger à satiété, de faire quelques réserves. Selon un sondage, c’est la page nécrologique de nos medias qui est la plus suivie de nos jours, car, cela permet de repérer les manifestations du week-end.
Pendant que tu écarquilles inutilement les yeux, moi je me demande ce que toutes ces gens mangent du lundi au vendredi en attendant le week-end. C’est vrai, si on s’organise, on peut réserver quelques restes pour le lundi et difficilement le mardi. Le jeudi, il y a parfois du café au lait, mais c’est la nuit, le vendredi aussi. Pour les villageois, dès que quelqu’un meurt dans ta famille, tu vas t’installer chez lui avec un mois de bouffe assuré par les enfants. Pendant ce temps, nous, on s’assure que le corps viendra au village pour planifier les innombrables cérémonies futures qui assurent notre survie. Tu vois ? Nous, on attend déjà le prochain mort car, nous en sommes arrivés à cette situation où c’est la mort qui nourrit la vie ou plutôt la survie !

Maoudi Comlanvi JOHNSON,
Planificateur de l’Education, Sociologue, Philosophe

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