Les cantines scolaires introduites dans le système éducatif notamment dans les écoles primaires depuis l’an 2000 se portent bien et pourraient se porter mieux selon Juliette Yérima Zimé, la Directrice de l’Alimentation Scolaire (DAS). Les pratiques malsaines essentiellement liées aux détournements des vivres, si elles étaient effectivement corrigées, pourraient contribuer à la bonne santé organisationnelle et à l’atteinte des objectifs des cantines scolaires. Tel est le vœu de la DAS, qui, au cours de cette interview qu’elle a bien voulu nous accorder, a plaidé pour une révision des ressources budgétaires allouées à sa Direction. Ceci, ajoute-t-elle, pour une mise en œuvre efficace de cette politique des cantines scolaires dont le but est de régler la question de la rétention scolaire.
Educ’Action : Qu’est-ce que c’est qu’une cantine scolaire ?
Juliette Yérima Zimé : Une cantine scolaire est un dispositif mis en place dans une école et qui permet aux enfants de pouvoir manger dans de bonnes conditions entre les cours de la matinée et les cours de la soirée
Avez-vous démarré les cantines scolaires pour cette année ?
Oui, les cantines ont démarré avec un peu de retard. Nous avons déjà servi pour le premier trimestre et les enfants sont actuellement en train de manger. Nous n’avons pas pu servir en octobre parce que nous n’avions pas la quantité suffisante pouvant suffire à toutes les écoles. Nous avons attendu recevoir le reste de nos fournisseurs. Lorsque cela est arrivé, nous avons fait les dispatchings.
Qu’est-ce qui, selon vous, justifie ce retard des cantines scolaires qui ne démarrent pas au même moment que la rentrée scolaire ?
Il y a le fait que nous ne connaissions pas le nouvel effectif parce que lorsque la rentrée démarre il faudrait que nous connaissions le nombre d’enfants que nous avons à nourrir dans chaque école. Donc nous attendons un peu pour faire un petit recensement au niveau des écoles. Nous recevons les nouveaux effectifs de nos directeurs départementaux. Ce sont eux qui nous envoient ces effectifs pour qu’on puisse actualiser. Mais lorsque cela traine à arriver nous augmentons une marge de 10% pour que cela ne traine pas trop long.
Des informations nous sont parvenues faisant état de ce que les vivres sont souvent détournés avant même d’arriver à destination. Confirmez-vous l’information ?
Je ne peux pas confirmer l’information. Il est vrai que dans certaines écoles, les directeurs et les parents d’élèves s’entendent pour prendre un peu des vivres. Mais au cours du trajet, je ne pense pas parce qu’on prend toujours soin de mettre dans les véhicules un représentant soit de la Das, soit de la Ddemp (direction départementale des enseignements maternel et primaire). Devant ceux-là, je ne pense pas qu’il puisse avoir vol à moins qu’ils soient impliqués dans cette mafia. Mais je sais que dans l’enceinte de l’école, il y a des vols qui s’opèrent et je le reconnais.
Face à ces vols quelle est la réaction de la Das ?
Lorsque ces vols sont confirmés, nous avons des rapports et les gens nous informent et nous allons sur le terrain pour mener nos propres enquêtes. Lorsque nous constatons que c’est vrai, nous revenons à la base et nous adressons une lettre à la Direction des Ressources Humaines pour qu’on déplace ces directeurs indélicats et qu’ils soient affectés dans les écoles sans cantines. C’est ce que nous avons toujours fait pour sanctionner.
Quelles sont les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre des cantines scolaires ?
Les difficultés rencontrées sont nombreuses. Au démarrage des cantines en 2000, nous avions reçu une enveloppe d’un milliard de franc de Cfa pour 144 écoles. 2000 à 2014 cela fait un bout de chemin que nous avons trainé les cantines. Le constat est que nous avons mis, en 2012-2013, 209 écoles à cantines et c’est seulement 1milliard 534.millions de francs Cfa qui a été voté. Vous savez que là où il y a les cantines les enfants veulent aller dans ces écoles et du coup l’effectif de ces écoles devient pléthorique. À un moment donné, cet effectif nous débordait et on n’arrivait plus à le contenir. Moi, en tant que responsable des cantines, je me suis dirigée vers le Programme Alimentaire Mondial (PAM) qui était le premier acteur des cantines sur le terrain parce qu’ils ont une expérience depuis l’année 75. Je me suis rapprochée d’eux et je leur ai demandé si l’effectif est pléthorique, est-ce qu’ils continuent d’alimenter ces écoles. Ils m’ont dit qu’ils donnent des vivres dans les écoles à petit effectif afin de les pousser à obtenir un grand effectif d’élèves. Alors dès que ces écoles ont atteint un nombre de 400 à 450, ils se disent que les parents ont compris l’avantage de l’école car ils peuvent désormais envoyer leurs enfants à l’école sans y être contraints. Du coup, ils suppriment les cantines scolaires là où l’effectif est élevé (400 à 450) afin de s’occuper des écoles dont les demandes sont en instance. Lorsque j’ai reçu une telle information, madame Ouinsavi était en ce moment-là notre Ministre, je lui ai adressé une fiche lui faisant état des conseils que j’ai reçus de PAM. Alors la ministre m’a donnée son quitus en disant si c’est de cette manière que les autres font alors nous pouvons procéder de la même façon qu’eux afin de donner une chance aux différentes écoles qui attendent. Avec mon personnel nous avons essayé d’identifier ces écoles dont les effectifs dépassaient 400 et la distribution dans ces cantines a été supprimée. Et cette année-là, cela a été fait. Qu’avons-nous donc vu ? Les enfants ont déserté ces écoles pour rejoindre celles avec un effectif réduit. Ce qui engendre un vide d’apprenants encore dans ces écoles. C’était la seule et la dernière expérience que nous avons faite. Depuis lors nous n’avons plus jamais supprimé de cantines scolaires. Nous envoyons des vivres mais nous n’envoyons pas une quantité suffisante parce que les enfants sont nombreux, les écoles le sont aussi. Ce qui provoque une diminution de vivres dans les écoles pour permettre à toutes les écoles d’en recevoir. Je reconnais que ces enfants ne peuvent pas manger de façon suffisante. Notre méthode est différente de PAM parce qu’ils ont leurs propres méthodes et une grande expérience. Ils ont de grands camions qui transportent les vivres. Par contre, nous, dans l’argent alloué pour la cantine, il faut encore louer des véhicules pour assurer le transport de nos vivres dans les écoles bénéficiaires. Tout cela a un coût car il faut payer le suivi, le fonctionnement etc. Donc ce n’est pas encore ça. Nous souhaiterions voir l’enveloppe à la hausse afin de pouvoir nourrir de façon satisfaisante les enfants que nous avons. Sur les 8365 écoles que nous avons au Bénin c’est seulement 2064 qui obtiennent ces vivres. Il faut vraiment beaucoup d’argent pour pouvoir nourrir de façon satisfaisante d’abord ceux qui sont là avant de créer d’autres écoles à cantines.
Avez-vous des doléances à formuler à l’Etat ?
Les doléances, c’est toujours un clin d’œil aux enfants afin qu’ils mangent bien. Il ne faut pas nourrir les enfants à moitié, il faut bien les nourrir. C’est pourquoi, nous souhaiterions que l’enveloppe soit à la hausse. Tout dernièrement, j’étais au Burkina-Faso pour un séminaire sur l’alimentation et j’ai demandé à mes collègues qui sont là-bas combien ils reçoivent par an et leur réponse était 25 milliards Et nous nous avons 1 milliard 500 millions. Je crois que l’Etat est très grand. Si le Président qui aime bien les enfants et qui parle même de la généralisation des cantines dont son slogan ‘’une école une cantine’’. Donc il faut que ce slogan soit une réalité. Avant que ce slogan ne soit une réalité, il faut que l’enveloppe soit revue à la hausse.
Quelles sont les perspectives de la DAS ?
Nous sommes en train d’élaborer notre document de politique nationale pour l’alimentation en milieux scolaires. À partir de là, nous verrons clair car il y a une diversité de cantines et nous verrons les dispositions à prendre afin d’harmoniser tous les types de cantines, nourrir les enfants correctement tous les jours et faire en sorte que d’autres partenaires PTF nous viennent en aide à atteindre l’objectif que nous visons par rapport aux cantines. C’est mon souhait. Lorsque ce souhait sera une réalité cela veut dire que nos enfants vont bien manger et réussir parce que quand ils mangent ils sont plus assidus aux cours. « Le ventre affamé n’a point d’oreilles » dit-on. Quand il y a la nourriture, ils ne dorment pas, ils ne font plus de longues distances, ils restent à midi à l’école et ils mangent et se reposent avant de reprendre les cours de l’après-midi.
Avez-vous un message à l’endroit des directeurs indélicats et des parents d’élèves qui détournent les vivres des enfants ?
Je vais leur dire qu’il faut que ce qui est destiné aux enfants aille aux enfants. Les parents qui se partagent la nourriture des enfants doivent cesser avec ces actes incorrects. Nous ne leur interdisons pas de goûter à ce que les cuisiniers ont préparé, mais nous leur interdisons de prendre les vivres crus et de les emporter chez eux. Il faut qu’ils soient des parents honnêtes, des parents soucieux de l’évolution de leurs enfants.
Réalisation : Romuald D. LOGBO