Et de deux ! L’affaire EPP Egbèdjè qui mobilise l’attention de l’opinion nationale et internationale ces derniers jours, continue de livrer ses petits secrets. Est-il vrai que les subventions de l’Etat destinées aux écoles sont toujours virées sur le compte de l’EPP Egbèdjè, non fonctionnelle, depuis 2017 ? Et si c’est le cas, combien d’écoles primaires publiques fermées tacitement pour diverses raisons continuent de recevoir les fonds publics ? Voilà quelques pistes que ce pan de l’enquête se propose d’explorer. Episode 2 de l’affaire EPP Egbèdjè, c’est tout de suite…
Classée dans la catégorie des écoles appelées D1 (école dotée d’une seule classe), l’EPP Egbèdjè est créée par arrêté interministériel N°2014/N° 1030/MEFD/MEMP/DC/DPP/SP, dans l’arrondissement d’Idigny, commune de Kétou, département du Plateau. Elle a, officiellement, ouvert ses portes en 2015 avec un effectif de trois (03) écoliers. La création de cette école est faite en violation flagrante de l’arrêté 2009/N°185/MEMP/DC/DPP/SP du 30 juillet 2009 qui dispose, entre autres, en son chapitre 2, Article 1er : « Toute localité sollicitant la création d’une école primaire doit remplir les conditions suivantes : avoir une population de 300 habitants au moins ou un effectif de 45 enfants scolarisables, construire les salles de classes en matériaux définitifs suivant les normes, fournir le mobilier nécessaire, garantir au directeur et/ou aux enseignants des logements à titre gracieux ou payant». Or, par une note de confirmation de sa nomination au poste de directeur de cette école,
Pierre Soton, instituteur contractuel 2008 de l’Etat et premier directeur nommé, prendra service avec la création de l’EPP Egbèdjè dans des conditions indescriptibles, dignes d’une fiction. Ecole en matériaux précaires, absence de logement décent, aucun bureau pour l’administration. En dépit de ces conditions difficiles, la toute nouvelle école a ouvert ses portes. De trois (03) écoliers à la création, le seul administratif à la fois enseignant et directeur, va, selon les témoignages collectés sur place, rivaliser de générosité, d’ingéniosité, parcourant des hameaux aussi distants les uns des autres pour gagner la confiance des parents afin de porter l’effectif de l’école, à cinquante-deux (52) écoliers avant l’éclatement des conflits meurtriers. Beaucoup de parents avec leurs progénitures avaient donc quitté la zone pour se mettre loin à l’abri, abandonnant les vestiges de l’EPP Egbèdjè dans la brousse. Cette situation malencontreuse semble ne pas mettre la puce à l’oreille des cadres administratifs de l’éducation qui continuent de proposer à nomination des directeurs pour l’école. La nomination, cette année, d’un nouveau directeur pour le compte de la rentrée scolaire 2021-2022, avec à la clé la passation de service entre les deux (02) directeurs sortant et entrant, a été le cinéma de trop fait, dans cette forêt verdoyante d’Egbèdjè et diffusé à grande échelle sur les réseaux sociaux et à l’international. Une école non fonctionnelle depuis 2017 qui continue pourtant de recevoir des subventions de l’Etat !
De la mise à disposition des subventions …
Comme toutes les autres écoles relevant du secteur public, l’EPP Egbèdjè reçoit annuellement une subvention scolaire pour faire face aux charges régaliennes d’une école. Où trouver ce compte et comment en connaître le fonctionnement ? L’équipe de reportage de Educ’Action est repartie à Kétou pour interviewer le Chef de Région Pédagogique, CRP N°40, Anicet Odjo, l’autorité territoriale directement liée aux écoles sous sa juridiction. Approché pour nous renseigner sur la situation comptable et financière de l’école restée non fonctionnelle depuis 2017, le CRP N° 40 déclare avoir fraîchement pris service. Il oriente l’équipe de Educ’Action vers son comptable, le nommé Zinsou Cosme Dansou. En tenue locale, Zinsou Cosme Dansou, la quarantaine révolue qui officie en tant que comptable sous les ordres du CRP N°40, l’air visiblement affable, nous accueille dans son bureau. Très ouvert, le quadragénaire se montre disponible à nous fournir les renseignements demandés. Lesquels renseignements se rapportent à la trésorerie et à la gestion comptable et financière de l’école dont les images insolites de passation de service font froid dans le dos. A peine affecté dans ce service pour s’occuper de la comptabilité de la Région Pédagogique N°40, Zinsou Cosme Dansou collabore sereinement en exhibant les documents reçus de son prédécesseur concernant l’école. «C’est en surprenant ces images comme tout le monde sur les réseaux sociaux et ayant appris que l’école est bien dans notre Région Pédagogique que j’ai rapidement réuni les documents comptables au cas où je suis interpellé. C’est alors que devant les deux directeurs (entrant et sortant), j’ai pu fouiller les archives et les sortir pour prendre connaissance de la situation comptable et financière de l’école puisque je suis affecté à la Région Pédagogique de Kétou, il n’y a pas si longtemps que ça», a-t-il laconiquement déclaré, en nous exhibant lesdits documents. En feuilletant le livret de compte de l’EPP Egbèdjè, on se rend fort heureusement compte qu’aucun décaissement n’a été effectué au cours de la période d’inactivité scolaire. Les cent cinquante mille (150.000) francs CFA logés sur le compte à la veille de chaque année scolaire à titre de subventions sont restés intouchés. Le compte continue cependant par être approvisionné chaque année scolaire. Situation anormale, critiquent les gestionnaires comptables approchés dans le cadre de cette enquête. Pièces et documents désormais à disposition, il urge de vérifier les informations comptables reçues auprès de Zinsou Cosme Dansou. Selon les informations reçues, les fonds sont logés à la CLCAM de Kétou. Et le premier quart de la subvention de l’année 2021 est déjà disponible sur ce compte. Direction CLCAM de Kétou. Selon les informations collectées et croisées, l’école reçoit une subvention de cent cinquante mille (150.000) francs CFA. C’est la subvention que touchent toutes les écoles inscrites dans cette catégorie D1. C’est donc cette cagnotte que les services comptables et financiers du Ministère des Enseignements Maternel et Primaire (MEMP) mettent, chaque année, à la disposition de la direction de l’EPP Egbèdjè. Les documents scrutés ont montré que les virements ont continué malgré la fermeture officieuse de l’école. Transférer les ressources sur le compte de l’école pour son fonctionnement est la chose la plus normale qui soit. Là où le bât blesse et suscite à la fois étonnement et questionnement, c’est comment peut-on continuer à transférer des ressources de l’Etat à une école qui a cessé de fonctionner depuis plusieurs années scolaires ? A quoi servent alors les subventions positionnées ? Retour au Ministère des Enseignements Maternel et Primaire pour en savoir davantage. Dans les couloirs du Cabinet ministériel, on explique que l’article 8 de l’arrêté portant conditions de fermeture d’une école stipule que la fermeture ne peut être prononcée que sur une période d’inactivité de trois (03) ans dûment constatée par une requête du CRP après plusieurs séances de sensibilisation des parents et des populations. En attendant donc de proposer les points d’améliorations des dispositions précitées, il convient de comprendre que la logique des autorités ici est de montrer que la fermeture de l’école, n’ayant pas été prononcée, les subventions ne sauraient être suspendues. Or, les textes sont totalement muets sur une éventuelle corrélation entre fermeture officielle et subvention. Au demeurant, la subvention sert au fonctionnement. Tant qu’elle ne fonctionne pas, pourquoi subventionner l’école devenue par la force des choses une forêt. Et l’EPP Egbèdjè n’est pas la seule école dans le cas.
En réalité, l’équipe de Educ’Action a eu accès à un rapport produit sur instruction du Secrétaire Général du Ministère des Enseignements Maternel et Primaire et cosigné par le comptable gestionnaire Région Pédagogique et le Chef service du Budget et de la comptabilité DAF/MEMP. Dans ce rapport, on peut lire la situation financière de quatre (04) écoles, notamment l’EPP Egbèdjè, l’EPP Idoufin-Ikotedo, l’EPP Akpakanmè et l’EPP Igbo-Oko. Si le rapport précise que les trois dernières écoles ont normalement fonctionné avec des montants de 450.000 et de 600.000 francs CFA selon les cas, il indique aussi qu’à la date du 27 novembre 2018, le solde du compte subvention de l’EPP Egbèdjè dans les livres de la CLCAM est de 195.312 francs CFA. Depuis cette date, aucun décaissement n’a pu s’effectuer sur ce compte.
Ces informations croisées avec le courrier 031/CS-KTU/RP40 du 17 Novembre 2017 qui portait à l’attention de l’autorité la fermeture des écoles Igbo-Okoïko et Egbèdjè nous ont poussés à nous renseigner aussi sur le cas de l’EPP Igbo-Okoïko, situé à trois (03) kilomètres de l’EPP Egbèdjè. Là également, on note que l’école a été fermée de 2017 à 2019 avant de reprendre les activités pédagogiques en 2020. Selon les informations reçues dans ce village, les conflits également auraient pris par-là, mettant en déroute les populations. Un nouveau site a donc été trouvé sous la forme d’un hangar dans le village Akpakanmè pour permettre la rentrée 2019-2020. Le Chef du village, feu Oitchaneroun Idji, également président de l’Association des Parents d’élèves, avait promis œuvrer pour le retour de l’école sur son site à cette rentrée 2021-2022. Malheureusement, les témoins racontent qu’il a été inhumé au début des vacances passées. Une situation qui fait que l’école est restée sur son nouveau site, l’EPP Igbo-Okoïko étant restée dans son état.
Des écoles non fonctionnelles mais toujours subventionnées …
Au regard des informations collectées dans divers villages du Plateau, les conflits entre éleveurs et agriculteurs ont profondément secoué les écoles à partir de 2014. Du coup, plusieurs écoles se sont retrouvées fermées de facto, recevant pourtant des subventions annuelles. Les statistiques 2021 affichent au compteur 7.389 écoles au Primaire sur toute l’étendue du territoire national. Combien sont-elles qui fonctionnent normalement et combien sont subventionnées en attendant une éventuelle réouverture ? Alors que les besoins des écoles fonctionnelles, de façon générale, sont sans cesse grandissants, est-il opportun d’approvisionner des écoles non fonctionnelles ? Mieux, pourquoi des écoles sont-elles ouvertes dans le strict déni des textes régissant la création des écoles au Bénin ? Aux dernières nouvelles, le Ministère des Enseignements Maternel et Primaire aurait dépêché une inspection sur le terrain pour vérifier la gestion des écoles indexées. Cette équipe indépendante d’enquêteurs devraient se pencher sur cette question au plan national et non départemental pour apprécier l’ampleur des subventions positionnées sans raison pertinente afin d’en tirer les conclusions qui s’imposent. Cette situation permet de tirer quelques leçons pour la postérité. Ce à quoi, l’Acte 3 s’attèlera sûrement les prochains jours.
Réalisation : La Rédaction