Inscrite au programme au même titre que les autres matières dans le secondaire, l’Education Physique et Sportive (EPS) n’occupe visiblement pas une place de choix ni dans le rang des apprenants, ni dans celui des autorités éducatives.
Rodolfo est élève en classe de 2nde dans l’un des collèges publics du département de l’Atlantique. Un jeudi soir pourtant réservé au cours de l’Education Physique et Sportive (EPS) comme établi dans son emploi du temps, il est assis avec deux autres de ses camarades sous le hangar de la vendeuse du riz, non loin du portail secondaire de son établissement. Tous vêtus de tenue de sport et égayés par la consistance du plat de riz, ils n’ont pu s’empêcher de mener la discussion provoquée par la question de la vendeuse du riz qui, visiblement, est à tu et à toi avec ce trio. « Aujourd’hui encore vous n’êtes pas allés au sport ? », demande-t-elle. Les réponses ne vont pas tarder. « Ce cours n’est pas très important », dira l’un d’eux. Un second ne va pas se faire prier avant d’enchaîner : « On parle de faim et tu dis sport. Si je ne suis pas rassasié, est-ce que je pourrai courir sur le terrain ? » « De toute façon, c’est coefficient 1. Ça ne pèse pas du tout dans la balance quand il s’agit de moyenne. En dehors du fait qu’on aime se distraire à ce cours, il n’y a rien d’extraordinaire à en tirer », ajouta l’élève Rodolfo. Nous sommes donc tentés de déduire au regard de cette discussion que l’EPS pour ces apprenants, n’a aucune valeur en dehors du fait qu’il leur permet de se distraire. Cette déduction deviendra affirmation dès lors que la question a été posée à quelques candidats en attente d’affronter les épreuves de l’examen du Baccalauréat.
Nous sommes à quelques semaines des examens de fin d’année 2025. Dans les salles de classes comme dans les petits groupes d’études, les attentions sont focalisées sur les révisions, le traitement d’exercices dans les matières dites importantes. Dans l’un des habitats de Godomey, un petit groupe de 5 apprenants dont deux filles, tous candidats à l’examen du Baccalauréat, session de juin 2025, s’est formé pour mettre toutes les chances de réussite de leur côté. Le samedi dernier, alors qu’ils sont occupés à traiter une épreuve de mathématiques, des éclats de rire vont monter. Je vous laisse deviner la raison de cet éclat de rire.
En effet, l’équipe de Educ’Action va leur poser la question de savoir s’ils prennent aussi le temps de réviser le cours de l’EPS. « Il faut d’abord réussir pour penser au sport non », dira tout en riant, Elodie, l’un des 5 membres du groupe. Conrad, quant à lui, va laisser entendre que : « Le plus important est de passer les épreuves écrites, le reste viendra. En plus, on n’a jamais eu besoin de réviser le sport. » Il ressort de ces deux répliques, que bien que l’EPS soit inscrite au programme, elle ne requiert pas la même attention de la part des apprenants.
Une séance de classes sportives au CEG Gbégamey
L’EPS, une matière avec une mission noble…
Tandis que les apprenants du second cycle en général et les candidats à l’examen de fin d’année en particulier, y trouvent une matière qui peut être reléguée au second rang, les plus jeunes apprenants des classes de 6e, 5e et 4e prennent du plaisir à s’adonner à la discipline scolaire qu’est l’EPS. « J’aime le sport parce que c’est bon pour la santé », s’exprime Marie-Laure, élève en 5e au Collège d’Enseignement Général (CEG) ‘‘Le Nokoué’’. « Au sport, on s’amuse beaucoup aussi », dira Onel, élève en 6e au ‘‘CEG1 Godomey’’. Le constat est également fait par le professeur certifié d’EPS Ulrich Lankpoédja, qui certifie que : « c’est une matière à laquelle les apprenants accordent beaucoup d’importance car, elle leur permet d’avoir une bonne santé, de se déstresser, de se divertir et de se socialiser aussi. » Parlant de cette discipline qu’il enseigne depuis des années, il précise que l’EPS est une matière qui occupe une place très importante dans le système éducatif béninois. Car, fait-il observer, elle est enseignée dans toutes les classes aussi bien dans l’enseignement général que dans l’enseignement technique.
Le but de cette matière, informe Crains-Dieu Ahomagnon, le professeur de sport et encadrant sportif de l’Athlétisme, est de « former, par la pratique scolaire des activités physiques, sportives et artistiques, un citoyen cultivé, lucide, autonome, physiquement et socialement éduqué. » S’il est vrai que c’est la mission principale dévolue à l’EPS par les décideurs éducatifs, il faut reconnaître cependant que dans la pratique, cette matière est bafouée. Du moins, c’est ce que pensent les spécialistes de la matière.
Ulrich Lankpoédja, professeur certifié d’EPS
… mais bafouée dans les établissements…
Le professeur Crains-Dieu Ahomagnon ne va pas prendre par quatre chemins avant d’affirmer que « les établissements bafouent l’EPS. Ils n’ont aucune considération pour cette matière et aucun respect pour les pratiquants. » En s’exprimant ainsi, il parle à la fois de la place qu’occupe cette discipline dans le lot des matières inscrites au programme dans le secondaire, de l’insuffisance des infrastructures ainsi que des difficultés que ses paires et lui rencontrent dans leur travail. Son collègue Ulrich Lankpoédja va se rallier à sa cause pour dénoncer les mêmes choses. Selon ses propos également, l’EPS n’occupe pas la place qui est censée être la sienne dans le rang des matières. Aujourd’hui, elle est reléguée au dernier rang dans l’enseignement général surtout à travers le coefficient qui lui est attribué. C’est la seule matière de l’enseignement secondaire général qui à pour coefficient 1. L’autre chose, poursuit-il, c’est une matière qui nécessite des ressources matérielles et infrastructurelles coûteuses. Or, la plupart des établissements n’ont pas un budget conséquent pour la réalisation de ces infrastructures. Malheureusement, se désole-t-il, une matière qui est la mère des autres matières est reléguée au dernier rang. Cet état des lieux fait par ces enseignants, n’est pas méconnu des autorités éducatives.
Crains-Dieu Ahomagnon, Professeur de Sport
… à cause de certains comportements
La directrice départementale des Enseignements secondaire, technique et de la formation professionnelle du Littoral, Flore Sèna Godjo est bien avertie du sujet. Ses premiers mots sont faits de clarification : « L’éducation Physique et Sportive (EPS) est une discipline à part entière et non entièrement à part. Elle est intégrée au programme que les apprenants suivent dans les établissements ». Pour elle, c’est une mauvaise perception que la société, les apprenants et mêmes certains acteurs ont de cette discipline. « Quand on parle de l’EPS, on pense que c’est une discipline qui doit être pratiquée par la personne qui veut et non une discipline qui doit être pratiquée par tous alors que c’est une matière », fait-elle observer avant d’inscrire cette perception en faux. Elle insiste sur le fait que la valeur qu’on donne à l’évaluation est la même qu’on donne aux apprentissages.
Consciente que beaucoup d’apprenants ne s’intéressent plus à cette matière comme cela se doit, elle énumère quelques comportements qui favorisent cet état de chose. Nous pouvons donc noter dans ses propos, que certains chefs d’établissements relèguent au second rang, l’allocation aux ressources matérielles de l’EPS tout en priorisant les autres matières jugées plus importantes. Pour certains, c’est une discipline qui passe au dernier plan. La qualité des infrastructures dans certains établissements laisse à désirer. Dans ces derniers, il n’y a même pas un seul terrain acceptable qui peut être utilisé par les enseignants. Aujourd’hui, les élèves candidats pensent qu’ils peuvent se dispenser de cette discipline et quand ils seront admissibles, ils pourront se débrouiller et être définitivement admis. « Donc, tout ça mis ensemble, nous amène à voir la négligence que nous notons au niveau de ces apprenants pour la discipline », conclut-elle. Pour les enseignants de l’EPS, les raisons de la négligence de cette matière ne s’arrêtent pas à cette liste. La négligence est encore plus flagrante quand on considère le coefficient alloué et la place que cette discipline occupe dans le rang des examens de fin d’année. Ils s’insurgent contre le fait que les examens de fin d’année dans le secondaire sont organisés de sorte que le sport, au lieu d’être mis au cœur de la composition, est malencontreusement relégué au dernier rang, c’est-à-dire après que les candidats ont composé les épreuves dites importantes. L’acte 2 de cet article va porter sur les propositions des enseignants de sport pour une EPS plus considérée dans nos collèges et lycées.
Flore Sèna Godjo, DDESTFP Littoral
Estelle DJIGRI