L’émission ‘‘90 minutes pour convaincre’’ de la radio nationale du Bénin a fait le lit, le dimanche 14 juillet 2024, aux divers résultats des examens de fin d’année 2024. Entre analyses, dénonciation et orientation, les invités sur ce plateau des journalistes Christian Gandjo et de Vitis Ahohè, ont fait le tour de ce qui constitue les forces et les faiblesses du système éducatif béninois.
A l’issue des différents examens de fin d’année 2024, le Bénin a enregistré 89,67% de taux de réussite au CEP 2024 contre 81,85% en 2023; 73,74% au BEPC 2024 contre 69% en 2023. Pour le Baccalauréat, 56,93% de candidats ont pu tirer leur épingle du jeu en 2024 contre 63,08% en 2023. Des taux de réussite qui méritent qu’on s’y attarde. Pendant qu’on note une augmentation des taux de réussite au CEP et au BEPC, une régression s’observe par contre, du côté du Baccalauréat. Quels sont les facteurs ayant favorisé ces différents taux, notamment ceux du BEPC et du Bac ? Peut-on se réjouir des taux de réussite qui s’améliorent globalement depuis quelques années au regard du niveau réel des apprenants ? Ce sont quelques unes des nombreuses préoccupations posées aux experts en éducation, invités sur le plateau de l’émission ‘’90 minutes pour convaincre’’. Il s’agit de Maxime Ahouissoussi, enseignant d’EPS et consultant en éducation ; de Débora Gladys Hounkpè, docteur en Sciences psychologiques et de l’éducation, et formatrice en éducation et de Toussaint Sagbo Fanou, enseignant à la retraite, consultant en éducation.
Débora Hounkpè
Appréciation de la régression du taux de réussite au Bac
Premier à avoir justifié les résultats obtenus cette année, Toussaint Sagbo Fanou. Pour cet enseignant à la retraite, de façon globale, de CM2 en Terminale, il y a une évolution en matière d’éducation, de maîtrise de soi, de conscientisation. A en croire son analyse, l’augmentation du taux de réussite cette année au CEP, se justifie par le fait que les parents ont toujours la main mise sur les apprenants du CM2. Ce qui rend ces derniers dociles et concentrés sur leurs études. En évoluant vers le BEPC, le taux diminue mais il y a toujours la maîtrise des enfants. Mais là où le bât blesse, à l’en croire, c’est au niveau du Baccalauréat où l’usage des téléphones portables absorbent le temps d’apprentissage des apprenants du second cycle. « Ce n’est pas au CM2 qu’on voit des enfants 24h/24 sur leur android et ce n’est pas en 3e non plus. C’est souvent en classe de second cycle à partir de la classe de 1ère jusqu’en Terminale. Donc vous avez raison de tirer la sonnette d’alarme parce que ce qui se passe comme taux d’admissibilité au Bac, laisse beaucoup à désirer. », a-t-il évoqué. Loin de finir d’énumérer les raisons, il ajoute à la liste, le choix des séries depuis la 3e qui ne se fait pas toujours en tenant compte de la capacité des élèves. La mauvaise compréhension du sujet donné, la mauvaise gestion du temps accordé aux épreuves, le manque de suivi de l’élève par ses parents, les répétiteurs qui sèment parfois la confusion dans la tête des candidats durant les derniers mois de l’année et la cherté trop grande de la vie, sont les autres raisons qui ont milité en faveur de ce taux surtout au Bac. Pour ce qui concerne le BEPC, certains facteurs ont également contribué à la progression du taux de réussite.
Toussaint Sagbo-Fanou
Prise de responsabilité et d’engagement, les causes d’une évolution constante du taux du BEPC
Maxime Ahouissoussi, enseignant d’EPS et consultant en éducation, pense que les résultats obtenus cette année au BEPC ne sont que la suite logique du déclic observé depuis 2020. Les statistiques de 2020 à 2024 font remarquer que le progrès est constant. « En 2020, nous étions à 51%. 60% pour 2021, 66% en 2022. 2023 a enregistré 69% et cette année, nous sommes à 73, 74%. », a-t-il rappelé avant d’aborder les deux volets qui selon lui, expliquent ce progrès. « Il y a d’abord le ministère qui prend ses responsabilités en faisant suivre le programme, les professeurs qui l’exécutent dans les classes à travers Educmaster, les emplois du temps, la présence des professeurs dans les salles et à travers l’organisation des animations pédagogiques de zone. », a-t-il mentionné. Le second volet fait allusion au tapage médiatique qui s’observe, de plus en plus, autour des examens. « Voilà le premier examen après le CEP qui est relayé par la presse de manière tonitruante dans les journaux, les radios, la télé. Les élèves qui ont vécu le lancement veulent se faire remarquer. De son côté, le préfet veut que son département soit premier. Tout ça participe au fait que les résultats ne peuvent que s’améliorer, il y a l’émulation. », a-t-il dit avant de présager un meilleur taux de réussite pour l’année 2025. Si l’apprenant est bien suivi depuis les premières classes du primaire, il n’y a pas de raison qu’il ne s’en sorte pas, selon Débora Gladys Hounkpè, docteur en Sciences psychologiques et de l’éducation et formatrice en éducation. « Quand le cours primaire est bien fait, c’est une suite logique. On parle de pré-acquis, de pré-requis, des connaissances de base. Lorsque chaque classe a été bien suivie, que la classe de CP spécifiquement est bien faite, et que l’enfant a acquis la lecture, l’écriture, il progresse vers le CE1 où il commence à apprendre les leçons et petitement, les calculs s’amplifient. Le curriculum est tellement bien pensé. Ce sont plusieurs cerveaux qui s’exercent et tout ça contribue à participer au CEP. Ce n’est pas au CM2 qu’on fait le CEP, ça commence très tôt. Et les enfants de cet âge sont malléables, donc facile à suivre. », a-t-elle développé pour expliquer les résultats du CEP.
Mais les problèmes commencent lorsque l’enfant franchit le collège. Quand ils deviennent adolescents, c’est compliqué. Du moins c‘est ce qu’elle pense en sa qualité de psychopédagogue. « La 4e est la classe la plus difficile dans le monde entier parce que ce sont les enfants de 13 et 14 ans qui sont dans la crise de l’originalité juvénile, dans la crise de leur personnalité. Ils se révoltent contre tout le monde, et c’est à l’adulte qui n’est pas forcément apprêté de subir cela. A tout ceci, s’ajoutent aujourd’hui, l’internet, les Smartphones, les influenceurs. », a-t-elle relevé comme problème. Mais malgré tout cela, nuance-t-elle, quand tout le monde s’y met, on a de bons résultats. Bien qu’elle soit heureuse des résultats du BEPC, des préoccupations demeurent à son niveau.
Des taux de réussite élevés pour quel type d’apprenants ?
La qualité morale et psychologique des apprenants formés est plus importante aux yeux de Dr Débora Gladys Hounkpè, formatrice des formateurs en éducation. Elle soutient de toutes ses forces que les études ne sont qu’une partie de la vie. Pour elle, « Il faut savoir, savoir-faire, savoir-être, savoir-vivre et savoir-vivre ensemble. Est-ce que ça se situe dans ces résultats ? Est-ce que les 73,74% d’admis au BEPC ont la citoyenneté, l’amour de l’environnement, l’amour du Bénin, le respect de l’adulte et de l’autorité, le respect d’eux-mêmes et de leur semblable ? Est-ce que l’enseignement, c’est seulement l’instruction, les brillants résultats ? Est-ce qu’il y a des résultats sur les compétences de vie courante ? » Autant de préoccupations émises par Dr Hounkpè. Tout en félicitant les parents pour leur contribution dans la réussite des candidats à cet examen, Dr Hounkpè tire la sonnette d’alarme sur un autre phénomène qui semble normal mais qui, cependant, a des répercussions sur la vie des apprenants à la longue. Il s’agit des travaux de répétition à la maison. « Cela pose problème. On a les résultats immédiats mais après les enfants ne sont plus indépendants. Quand on ne les pousse pas, ils ne font rien. Ce sont des jeunes qui vont finir la Licence à 19 ans et qui vont se coucher à la maison et pianoter leur téléphone. C’est ça qui risque d’arriver parce qu’on les a poussés et encadrés tout le temps. Ils n’ont jamais eu de volonté pour faire quoi que ce soit, on a été là pour eux et ça les rend comme des marionnettes, des automates et c’est ça qui est très dommage dans le système aujourd’hui. Alors que le monde est offensif aujourd’hui et on attend la créativité, l’innovation personnelle. », a-t-elle dénoncé.
BEPC tronc commun, une innovation à perpétuer
L’autre sujet abordé sur le plateau par les journalistes Christian Gandjo et Vitis Ahohè est la question du BEPC tronc commun qui fait composer les candidats à la fois en PCT, Allemand ou Espagnol. Quel est le bien fondé ou non de la chose ? La question a été posée à Maxime Ahouissoussi qui répond : « C’est une innovation. La réforme est bien pensée parce que quand l’apprenant a un BEPC littéraire en ne composant qu’en anglais et allemand ou espagnol, il n’a pas la capacité de s’inscrire dans les lycées techniques. Et même s’il a l’estime pour une discipline industrielle, il se voit bloqué parce que n’étant pas doué en physique et en mathématique », a-t-il fait comme analyse. Cette réforme, poursuit-il, donne l’égalité d’inscription à tous les enfants dans les filières industrielles au regard de l’ambition portée par le chef de l’Etat. Celle d’inverser la tendance de manière à avoir 70% d’apprenants dans l’enseignement technique et 30% dans l’enseignement général. Cependant, il fait observer dans son analyse que les frais de scolarité dans les lycées semblent exorbitants à savoir 80 000f pour les filles et 120 000f pour les garçons. Pour ce faire, il exhorte le gouvernement à subventionner l’enseignement technique comme c’est le cas au niveau de l’enseignement général. Plusieurs autres sujets relatifs à la qualité de l’enseignement ont été abordés sur ce plateau de 90 Minutes pour convaincre de la radio nationale.
Estelle DJIGRI