A ciel ouvert dans la densité verdoyante du jardin botanique de l’Université d’Abomey-Calavi (UAC), deux écrans projettent, le jeudi 3 avril 2024, la mémoire d’un peuple, d’un territoire, d’un héritage millénaire revisité de l’Atacora au truchement de la technologie. Du 26 mars au 4 avril 2025, l’exposition « Patrimoine 2.0 » a permis de voyager au cœur des traditions de l’Atacora.
Le premier écran attire les curieux non seulement à cause de la force des images, mais aussi en raison de la densité de son contenu. Le Difoini, une cérémonie d’initiation chez les Bétammaribé, est en diffusion sur l’écran plasma 49’’ avec une authenticité impressionnante. Au cœur du documentaire court-métrage, Elio M’po, un chef traditionnel, une figure respectée et un gardien du savoir, raconte avec fierté la pratique du Difoini qui consacre le passage obligatoire de l’enfance à l’adulte chez le peuple Bétammaribé de l’Atacora. Le chef des cultes Otamari raconte : « Quand Difoini arrive, on prend les jeunes initiés, on les met dans un tata… le jour où on doit les sortir, toute la population est présente. Les grands frères sifflent, les femmes courageuses tiennent des frites… ». Sur l’écran défile une scène de tension rituelle où des jeunes hommes se fouettent en public pour démontrer leur bravoure. « C’est pour montrer qu’ils peuvent défendre le village contre d’éventuelles attaques », explique Elio M’po. Cette violence symbolique, loin d’être gratuite, est structurante. Elle désigne ceux qui deviennent enfin des adultes.
Mais au-delà de l’épreuve physique, c’est une école de valeurs sur la solidarité, le respect et la responsabilité. Après la phase publique, les initiés sont conduits dans un lieu sacré pour y vivre les rituels cachés, que seuls les initiés et les anciens peuvent connaître. Le clou du parcours : l’ufononi, la dernière cérémonie qui fait d’un garçon, un homme. « Celui qui ne l’a pas faite,
ne peut pas aborder une femme, ni siéger aux décisions familiales. C’est un passage obligé », martèle le chef des cultes Otamari.
Cette immersion dans le Difoini prend, à l’écran, des allures de déclaration pour la préservation des traditions. Le gardien de la tradition Elio M’po alerte : « Aujourd’hui, les religions importées viennent affaiblir notre culture. Si Difoini disparaît, l’Otamari meurt. » C’est la question de la modernité face à l’identité qui se pose ainsi et le numérique se prête à restituer et transmettre la tradition.
Un tableau de peuplement de l’Atacora et des varités linguistiques
Une cartographie vivante des peuples et des langues
Après le premier écran, un second poursuit l’exploration, cette fois sur le terrain du peuplement de l’Atacora et de la variété linguistique. Le documentaire met en scène le Dr Emmanuel Sambieni, maître de conférences à l’Université de Parakou. Ce dernier propose une lecture géographique et anthropologique du peuplement de l’Atacora.
Commune après commune, il dresse une fresque vivante des groupes autochtones : les Bialbè à Matéri, les Bèbèlibé à Cobly, les Bétammaribè à Boukoumbé, les Natemaa à Tanguiéta, etc. « Chaque nom porte une histoire, chaque langue, une vision du monde. Mais souvent, ces noms ont été attribués de l’extérieur, parfois avec moquerie ou mépris », précise-t-il.
Ce film, véritable cartographie parlée, révèle une région dense, multilingue, et encore mal connue du grand public. « Les groupes oubliés existent toujours. Il faut documenter, enregistrer, transmettre. Sinon, nous perdrons des pans entiers de mémoire », alerte l’enseignant-chercheur.
L’un des paris audacieux de l’exposition ‘‘Patrimoine 2.0’’, c’est d’arrimer cette documentation à une stratégie touristique nouvelle. En utilisant les écrans, les applications immersives, les visiteurs peuvent désormais envisager une découverte plus riche. L’idée, c’est de faire de l’Atacora un pôle d’écotourisme culturel où l’on vient non seulement admirer les paysages, mais aussi comprendre les peuples qui les habitent.
En témoigne l’étudiante en Histoire, Elvire, qui, rencontrée lors de l’exposition, déclare : « Ce que j’ai vu ici m’a donné envie d’aller à Boukoumbé, de parler avec les anciens, de comprendre le pourquoi des rites. Ce n’est pas juste de l’art, c’est une quête. »
À l’heure où les traditions orales s’effacent face à la mondialisation, l’exposition ‘‘ Patrimoine 2.0’’ apparaît comme un modèle d’exposition innovant. Son originalité repose sur l’intelligence de sa médiation qui amène les chercheurs à parler avec les artistes, les chefs traditionnels à dialoguer avec les technologies et les visiteurs à devenir à leur tour, des passeurs de culture et du patrimoine.
Tenue du 26 mars au 4 avril 2025, l’exposition ‘‘Patrimoine 2.0’’ n’est pas une exposition comme les autres. Cette initiative novatrice, est le fruit d’une collaboration fructueuse entre Laboratorio Arts Contemporains, l’Institut National des Métiers d’Art, d’Archéologie et de Culture (INMAAC) avec le soutien solide de partenaires institutionnels impliquant l’Ambassade de France au Bénin, le Ministère du Tourisme, de la Culture et des Arts et l’Agence de Développement des Arts et de la Culture (ADAC). L’objectif, c’est de redonner vie au patrimoine matériel et immatériel en s’appuyant sur les ressources du numérique.
Edouard KATCHIKPE