Financements innovants de l’éducation inclusive : Le pas à franchir pour l’école pour tous !

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«Assurer l’accès de tous à une éducation de qualité sur un pied d’égalité». Ce pan de l’ODD 4, semble encore une incantation pour les enfants en situation de handicap au Bénin. Ils sont nombreux, sourds, malvoyants, aveugles, autistes, trisomiques, et autres handicapés moteurs et intellectuels, à ne pas avoir accès à l’éducation pour diverses raisons. Outre cette perception non-conformiste, déplacée et hypocrite développée envers ces personnes, malgré leur statut de citoyen, dans notre société, l’autre raison de la difficulté de leur scolarisation est l’épineuse question du financement de l’éducation inclusive. A cela, s’ajoutent les conditions infrastructurelles et d’apprentissage des écoles inclusives qui les accueillent, et les ressources limitées de leurs géniteurs. Les financements innovants se révèlent alors une piste à scruter et à arpenter pour aider les écoles inclusives à survivre, au moment où l’épée de Damoclès des impôts pèse sur leurs têtes.

Perpétue Hounnou Afomassè

La voix calme et lente, le ton affectueux, mettent la puce à l’oreille sur le poids de la fatigue et l’âge avancé de celle qui se trouve à l’autre bout du téléphone. «Je ne suis pas trop âgée, mais je suis fatiguée. L’espace que j’ai loué au début, était à 150.000 francs Cfa le mois. Les parents d’enfants non handicapés contribuaient avec un forfait de 37.500 francs Cfa. C’est avec cela que je payais le salaire des agents, enseignants et spécialistes, qui étaient au-delà du SMIG. Pendant que je ne devais rien, pas le moindre kopeck au propriétaire, il y a eu du chantage parce qu’on ne voulait pas voir les enfants handicapés. On nous a mis à la porte ! Malgré cela, des gens ont eu pitié de nous et nous ont laissé quelque part. Tout allait bien jusqu’à l’arrivée du Coronavirus. Pendant trois mois, tout était à ma charge. Qu’est-ce que je pouvais faire avec mon salaire, avec ma pension de retraite…»
C’est le témoignage d’une invétérée de la cause des personnes handicapées au Bénin : Amélie Delphine Akplogan épouse Massessi. A son initiative, cette école qui accueillait les enfants porteurs de handicaps pour leur scolarité, c’était le Jardin des Oliviers, qui a mis la clé sous le paillasson, il y a quelques années. C’était le seul espace adapté pour eux dans le 6ième arrondissement de Cotonou. Aujourd’hui, les activités de l’école sont drastiquement réduites et fondues dans celles de l’ONG ‘’le Cercle des Oliviers’’, avec toujours l’épineuse question du financement.
Comme à l’école le Jardin des Oliviers, le financement de l’éducation des personnes porteuses de handicap à travers les écoles inclusives au Bénin n’est pas une sinécure.

Une situation financière difficile malgré les efforts de l’Etat

24 novembre 2021, c’est midi à ‘’Sainte Jocelyne’’. Située en bordure d’une voie bitumée flambante neuve dans le quartier de Mènontin à Cotonou, l’école inclusive accueille cinquante (50) apprenants porteurs de handicap de tout genre. La fondatrice révèle ici la situation de l’éducation inclusive au Bénin. «Je me rends compte que les besoins sont vraiment grands», explique la promotrice Perpétue Hounnou Afomassè, dans sa robe aux motifs bleus. En effet, estime-t-elle, «nous sommes dans le privé et tout le monde pense qu’on prend déjà la scolarité et, par conséquent, ils n’ont plus besoin de nous aider». Comme dans la majorité des écoles inclusives, le besoin en enseignants spécialisés est criard, le matériel didactique et sanitaire coûte excessivement cher, sans compter les charges récurrentes. Après 20 ans d’expérience dans ce milieu, elle en sait quelque chose : «Un enfant porteur de handicap ne peut pas étudier avec un livre et un cahier. Il a besoin de beaucoup plus de matériels pour concrétiser les activités.» Même son de cloche chez Paul Agboyidou, directeur du Centre d’Accueil et d’Education Inclusive des Sourds et entendants (CAEIS) du Bénin de Louho à Porto-Novo. Il explique que les personnes sourdes ont besoin de beaucoup de matériels visuels pour les activités pédagogiques.
Alors, faut-il compter sur les parents pour assurer ces charges inhérentes à la formation des enfants ? La réponse des responsables d’écoles inclusives est sans ambages. Aline Tchiakpè, épouse Lawson, directrice de l’école privée Paix et joie toujours à Mènontin, l’exprime mieux : «Si nous allons attendre les parents, nous n’allons pas travailler avec ces enfants. Il y a des parents qui souffrent du déni, ils refusent que leur enfant ait un handicap.» Et, à sa consœur Perpétue Afomassè, à quelques rues d’elle, d’ajouter : «Les scolarités que nous percevons ne nous permettent pas d’acheter du matériel. C’est très compliqué. En plus, ce sont des choses qui se détériorent vite. Tu donnes un jouet à un enfant, il te le casse à la minute même. Même si tu investis 1, 2 ou 3 millions chaque année en matériel didactique, cela ne te suffira jamais.» En effet, ces frais de scolarité parviennent à compte-goutte. Leur aide la plus importante semble venir de l’Ong Handicap Internat ional, devenue aujourd’hui Humanité Inclusion, qui a démarré ses activités en 2010 au Bénin.
S’agissant de l’apport de l’État, Perpétue Afomassè, enseignante de carrière, répond : «J’ai reçu ma formation originale, il y a 35 ans.» Pour Boubacal Yéro Samou, directeur des personnes en situation de handicap et des personnes âgées au Ministère des Affaires Sociales et de la Micro-finance, beaucoup est fait mais les besoins sont énormes. Les uns après les autres, il cite les appuis faits aux différents centres sous tutelle de l’État comme des écoles pour sourds, des centres de promotion sociale des aveugles, et le CAEIS de Louho qui accueille des enfants sourds envoyés par ledit ministère.
Les besoins persistent, et de nouvelles sources de financement sont donc impérieuses.

Financements innovants : un nouveau souffle financier

Dans un rapport publié en 2012, le Groupe pilote sur les financements innovants pour le développement, dont le Bénin n’est pas membre contrairement au Sénégal, estime que «ces mécanismes sont innovants du fait de la nature de leurs ressources et de la manière dont celles-ci sont recueillies et utilisées. Ils sont plus stables et plus prévisibles que l’aide publique au développement. Ils en sont complémentaires et additionnels ». Toujours dans le document de 36 pages intitulé «Les financements innovants pour l’éducation : aller de l’avant», la Task Force recommande de mettre à contribution, entre autres, les partenariats public-privé, les actions de collecte de fonds privés et les micro-donations de particuliers.
Approché sur la question des financements innovants pour l’éducation inclusive au Bénin, Maoudi Johnson, planificateur de l’éducation, mise sur une approche facilement applicable. «Les financements qui me paraissent innovants sont ceux qui permettent à ces écoles d’exister. Selon les projets de l’État, ces écoles peuvent avoir des subventions, l’autorisation d’importer tout ce qu’elles utilisent sans taxes. Pour l’expert, auteur de diverses études sur le financement de l’éducation, l’innovation pourrait consister à donner à ces types d’écoles de l’eau et l’électricité gratuitement, en général à leur donner gratuitement des prestations qui sont des charges récurrentes. L’école des sourds de Louho, un établissement de réputation internationale, est absorbée par les factures. «Pour l’eau seule, nous n’avons jamais payé moins de 200.000 francs CFA. La langue des signes étant un langage visuel, nous avons aussi beaucoup besoin de la lumière», fait savoir Paul Agboyidou. Accordée une ligne budgétaire à ces écoles comme c’est le cas pour le financement de la recherche agricole, inscrite dans la loi des finances chaque année serait aussi une piste de solution, preuve concrète de l’engagement du Bénin pour l’éducation inclusive.

Paul Agboyidou dans la cour du CAEIS de Louho

A quand le 1 sur 1000 du chiffre d’affaires à l’éducation inclusive ?

Depuis l’an dernier, la défiscalisation des salaires et des financements du sport est devenue une réalité. Les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à un milliard (1.000.000.000) francs CFA ont aussi la possibilité de contribuer à hauteur du un millième (1/1000) hors taxes. En effet, l’autre piste de financement innovant, c’est la Responsabilité Sociale de l’Entreprise (RSE), à l’image du financement du sport. «La RSE demande que chaque entreprise mette à contribution 1% de son bénéfice pour des œuvres sociales et éducatives. Au Bénin, il y a un vide juridique sur cette question», révèle Maoudi Johnson. Selon l’expert, les écoles inclusives devraient fédérer leurs énergies afin de faire un lobbying dans ce sens, car lorsque le budget de l’État est voté, on annonce des exonérations.
En 2017, selon l’Institut National de la Statistique et de l’Analyse Economique (INSAE), le Bénin comptait 92.495 personnes handicapées dont 17,6% sont des enfants de moins de 15 ans et 80% de ces enfants sont dans la tranche de 5 à 14 ans. Conformément à la loi portant protection et promotion des personnes handicapées, il est prévu que l’État apporte un accompagnement aux écoles inclusives qui accueillent ces enfants, à en croire Boubacal Yéro Samou. Pour ce faire, informe-t-il, «un décret est en cours de finalisation pour fixer les conditions dans lesquelles ces appuis vont pouvoir se faire». Un début de salut ?

Adjéi KPONON

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