La culture sans ma culture m’acculture, dit l’adage. Le tableau du patrimoine culturel africain présente des appréciations peu satisfaisantes nonobstant sa richesse qui repose sur les vestiges de l’esclavage, de la traite négrière pour certains pays et des royautés pour d’autres. Gaël De Guichen, conseiller auprès du Directeur Général du Centre International d’Etudes pour la Conservation et la Restauration des Biens Culturels, a, au cours de son passage à l’Ecole du Patrimoine Africain (Porto-Novo-Bénin) fait le tour d’horizon du patrimoine culturel africain. Dans l’entretien qu’il lui a plu de nous accorder, il scrute le paysage culturel africain, fait l’état des lieux du patrimoine culturel africain, se prononce sur les obstacles qui jonchent son parcours et conditionne son avenir à l’attention que les dirigeants africains se doivent de lui accorder pour sa renaissance.
Educ’Action : Quel est selon vous l’état du Patrimoine Culturel Africain ?
Gaël De Guichen : C’est difficile de faire une généralité parce que les situations sont différentes les unes des autres selon que l’on soit dans un ou un autre pays dans le continent. Mais, en général, la situation est préoccupante. Elle est préoccupante parce que tout d’abord les matériaux utilisés en Afrique sont des matériaux très sensibles. C’est inquiétant parce que les matériaux sont particulièrement fragiles vis-à-vis des agresseurs comme les termites. La deuxième raison est que, depuis les indépendances, au moins dans les pays francophones, la culture n’est pas la priorité des dirigeants de ces pays d’Afrique francophone. Les musées qui existaient n’ont pas été bien entretenus. Le personnel surtout en Afrique francophone n’avait pas reçu de formation adéquate. Les conseéquences sont que des collections entières ont disparu pour mauvaise formation. La troisième raison qui est préoccupante, c’est que des professionnels ou des responsables de musées dits professionnels n’ont pas toujours une attitude éthique parfaite. Dans les musées, on n’expose pas des vieux objets. On expose des objets qui ont une histoire, une signification, des objets qui peuvent être intéressants pour l’étude, des objets qui peuvent être beaux, des objets qui sont témoins d’une période. Sachez que si un objet est vieux il ne devra pas rentrer dans les musées.
Quelle est alors la situation au niveau de l’Afrique-Anglophone ?
Oui, ce n’est pas la même chose. Pour vous donner une idée, sur la plupart des départements, les musées de l’Afrique anglophone possèdent 50 à 60% de personnes au maximum. Je reviens du Kenya, l’institution du musée de Kenya a plus de 1000 personnes. Et parmi ce nombre, 32 docteurs. Ce n’est pas comparable avec la situation qui prévaut en Afrique francophone. Des enquêtes ont révélé que le musée de Nairobi est visité par des centaines de personnes et tous les jours il y a 10 à 15 classes d’enfants qui viennent apprendre aux musées. C’est loin du nombre d’écoles qu’il y a dans les musées qu’on peut voir en Afrique Francophone sauf peut-être au Mali où il y a les musées les plus dynamiques de la région.
Dites-nous l’appréciation que vous faites du patrimoine Africain
J’ai visité et travaillé dans plus de 90 pays. La semaine dernière j’étais au Liban, ces deux dernières semaines je suis au Bénin et dans deux jours je serai en Indonésie. Je suis à l’image d’un médecin qui soigne mais moi j’évite que le patrimoine culturel dont les musées, les monuments, archives, bibliothèques ne se détruisent. Alors je ne veux pas porter de jugement là-dessus car un médecin ne porte pas de jugement sur la beauté, sur l’importance de la richesse de son patient. D’une façon éthique, il doit tous les soigner de la même façon. Personnellement et professionnellement je peux être attiré plus par certains types d’objets que d’autres. Donc je me garde de porter un jugement sur le patrimoine culturel africain.
Quel avenir aujourd’hui pour le Patrimoine Culturel Africain ?
L’avenir se trouve dans les mains des professionnels. Si évidemment des politiques décident dans leur programme de développement que la culture ait une place ou non ! S’il est décidé que tout ce qui s’est passé ne vaut rien, on fait table rase sur le passé et on pense à l’avenir, je pense qu’on se trompe. Il y a une très belle phrase de Paul France qui dit « les pays qui n’ont pas de légendes sont condamnés à mourir de froid » Je ne sais pas si je me rendrais une fois en Afrique, c’est sûr que si on n’a pas de légendes, si on n’a pas de contes, si on n’a pas des objets comme ces masques qui sont derrière moi qui ont une signification, on est en train de créer des orphelins et ces nouvelles générations, un jour, se rebelleront contre ceux qui leur ont coupé leur racine.
Quelle est la politique de l’Icrom en ce qui concerne la formation de ceux qui sont chargés de la sauvegarde du patrimoine Africain ?
Cette politique a commencé en 1984. L’Afrique est le continent où encore aujourd’hui il y a le moins de centres de formation. Lorsqu’on a commencé en 1984, il n’y en avait aucun. Il a fallu donc quasiment partir de zéro car non seulement il n’y avait aucun centre de formation mais il y avait un tout petit nombre de personnes qui étaient responsables. Pour devenir un vrai professionnel, il faut du temps. Malheureusement les gens ne pensent pas comme cela. On ne se donne pas le temps de bien se former. C’est à la fois décevant et regrettable. Quand le palais d’Abomey brûle, il brûle. Ce qu’on construit, ce n’est plus un palais d’Abomey, ce n’est plus l’endroit où ont vécu les rois Glèlè, Guézo et autres. A mon avis, c’est grave pour le patrimoine culturel. Il n’est pas régénérable car il n’est pas comparé à un cours d’eau qui est sale aujourd’hui et qui, demain, pourra devenir propre. Le patrimoine quand il est volé, quand il est brûlé, quand il est parti à l’étranger, il manquera toujours quelque chose au petit ivoirien ou petit béninois qui veut écrire son histoire.
Au regard de ce tableau peu reluisant, que fait l’Icrom pour inverser la tendance ?
Nous sommes responsables parce que nous n’avons pas démontré que la culture fait partie intégrante des programmes de développement où il y a des investissements importants. On a l’impression que la culture ne rapporte pas mais l’éducation non plus ne rapporte pas immédiatement. L’éducation rapportera dans le futur. On a l’impression que le musée ne rapporte pas et que le musée appartient aux touristes. Non le musée n’appartient pas aux touristes. Il est plutôt pour les enfants et la population locale. Après cela ce sont les touristes mais ce n’est pas la priorité. On trouve trop souvent que les musées sont imaginés pour les touristes donc complètement détachés de la population locale, ce qui veut dire que automatiquement c’est une perte pour la population locale. Ce qui ne devrait pas être le cas.
Que fait l’Icrom pour amener les décideurs africains à s’intéresser davantage à la chose culturelle ?
Ce soir je quitte Cotonou et demain matin je suis à Rome et après demain je suis en Indonésie où il y a le Forum Mondial de la Culture avec 4 prix Nobel des représentants de 180 pays. J’y vais pour parler. Soyez rassurés, je parlerai de l’importance du patrimoine pour le présent et le futur et j’espère que je serai assez convaincant pour que certaines personnes mais pas toutes comprennent qu’elles ont aussi leur responsabilité et c’est finalement elles qui ont la responsabilité de la sauvegarde et de la valorisation du patrimoine culturel.
S’il vous était donné l’occasion de conclure cet entretien que diriez-vous ?
Je dirai que les journalistes ont un grand rôle. Je vous dis merci de m’avoir donné la possibilité de parler parce que beaucoup de gens, beaucoup de nos auditeurs ont malheureusement une idée très négative du patrimoine. Les choses de vieux, ce sont des choses de cimetière, ce sont des ordures ce que j’ai même entendu dire. Vous m’avez donné la possibilité de dire que c’était beau, bien différent, que c’était quelque chose qui nous propulsait vers l’avenir et donc mon mot sera merci à vous d’avoir pris le temps de m’écouter.
Propos recueillis par
Romuald D. LOGBO