Les instituteurs de la classe du Cours d’Initiation (CI) et leurs écoliers ont désormais, à compter de cette rentrée scolaire 2021-2022, de nouveaux manuels scolaires et cahiers d’activités en français et en mathématiques. Cela est le fruit d’une réforme curriculaire résultant principalement des résultats du PASEC 2014. Votre journal Educ’Action a pris langue avec quelques acteurs impliqués dans le processus de révision des curricula d’enseignement-apprentissage de ces deux disciplines. Reportage !
«Lorsque vous vous référez aux résultats du Programme d’Analyse des Systèmes Educatifs de la Confemen (PASEC) 2014, il est diagnostiqué que nos apprenants avaient de sérieuses difficultés en français et en mathématiques. Nous étions à la traîne. Alors, il fallait faire quelque chose pour corriger cela. C’est en cela que cette révision avait été initiée en son temps et avait reçu l’appui du Partenariat Mondial pour l’Education (PME) sans oublier la partition de l’Etat béninois à travers le budget national». Ces propos de Salimane Karimou, Ministre des Enseignements Maternel et Primaire (MEMP), tenus le vendredi 03 septembre 2021 à l’espace Ubuntu à Porto-Novo, relancent le débat sur le faible niveau des apprenants du primaire et les raisons de la réforme curriculaire dans l’enseignement-apprentissage du français et des mathématiques au Cours d’Initiation (CI) voire au Cours Préparatoire (CP). Depuis quelques années, les acteurs de l’école, précisément ceux du sous-secteur des enseignements maternel et primaire, s’accordent sur les difficultés qu’éprouvent les apprenants du primaire à lire, à écrire et à compter. Cette situation couplée avec les évaluations internes à faibles résultats ont tôt fait d’inciter les autorités éducatives à penser à la révision des matériels didactiques de la classe de CI. «L’évaluation du PASEC est portée sur la classe de CP. Même les évaluations EGRA et EGMA qui sont réalisées au niveau national, ont montré aussi les faiblesses des apprenants, surtout en lecture. C’est pourquoi, il est indispensable que nous donnions le nécessaire à nos apprenants du CI et du CP», fait savoir l’inspecteur Rock Ahokpossi, Directeur de l’Inspection et de l’Innovation Pédagogique (DIIP) du MEMP.
Des affirmations soutenues par Jean Euloge Adétona, coordonnateur du projet Partenariat Mondial pour l’Education (PME). «Plusieurs études commanditées au plan national et international ont révélé que les apprenants ont des faiblesses en mathématiques et en français. Il y a également les résultats du PASEC qui sont venus confirmer ces expertises que nous avons sollicitées pour faire l’état des lieux au niveau de l’apprentissage au cours primaire», a-t-il confirmé avant d’ajouter que le gouvernement, au regard des différents résultats obtenus au CEP, a commandité les études de la révision des curricula.
L’une des sources de cette révision curriculaire, les résultats du PASEC, précisément ceux de 2014 nécessitent d’être questionnés.
Retour sur les résultats du PASEC 2014
Membre de la Conférence des Ministres de l’Education des Etats et gouvernements de la Francophonie (CONFEMEN), le Bénin a fait évaluer les compétences de ses élèves en début et en fin de scolarité du primaire en langue d’enseignement et en mathématiques en 2014. Première évaluation internationale à laquelle dix (10) pays membres dont le Bénin ont pris part. Les résultats du PASEC 2014 ont donné un goût amer aux différents acteurs du sous-secteur du primaire du Bénin. Comparant les performances des systèmes éducatifs de ces dix (10) pays, le Bénin a occupé l’avant-dernière place. 28,6% des élèves en début de scolarité se situent au-dessus du seuil de compétences en lecture pendant que 52,9% ont obtenu au-delà du seuil indispensable en mathématiques. Toujours par rapport à la même évaluation, cette fois-ci en fin de scolarité, 42,7% d’entre eux ont atteint le seuil de réussite en lecture contre 41,0 % en mathématiques. «Ces évaluations ont révélé que le problème se posait à plusieurs niveaux mais beaucoup plus dans les curricula. A ce niveau, les problèmes se posaient par les objectifs généraux et spécifiques parce que les compétences à développer tant en français qu’en mathématiques n’ont pas été remises en cause. Mais le problème fondamental était beaucoup plus au niveau des contenus de formation», avait indiqué le ministre Salimane Karimou.
Disciplines d’acquisition du savoir, le français et la mathématique revêtent une importance capitale pour l’apprentissage de l’apprenant. «Le français et la mathématique étant considérés comme des outils d’apprentissage, si vous ne maîtrisez pas la mathématique, vous ne pouvez pas faire tout ce qui a rapport avec la mathématique. Je veux parler des sciences technologiques et de la même manière, si vous ne maîtrisez pas le français, vous ne pouvez pas comprendre les autres matières», dira l’inspecteur Rock Ahokpossi, collaborateur du ministre Salimane Karimou, avant de remercier le gouvernement et les Partenaires Techniques et Financiers pour leur accompagnement.
Au regard des arguments brandis plus haut, on retient que l’urgence est de réviser les curricula de l’enseignement-apprentissage du français et des mathématiques pour permettre aux apprenants et enseignants des classes concernées d’avoir des supports didactiques adaptés aux réalités.
De nouveaux matériels didactiques pour redonner espoir…
C’est à une révision approfondie des documents didactiques qu’ont eu droit enseignants et écoliers du CI. Après une phase d’expérimentation des nouveaux matériels didactiques dans trente-six (36) écoles l’année scolaire écoulée, l’heure est à la généralisation. Habillé d’une chemise noire et assis dans son fauteuil, l’inspecteur Rock Ahokpossi affirme sans ambages que «tout le paquet curriculaire a changé. Si nous avons changé tout le paquet curriculaire, nous avons choisi donc d’expérimenter cette approche pour voir ce que cela va produire avant de prendre les grandes décisions». Ainsi, durant toute l’année scolaire 2019-2020, la période d’expérimentation a permis aux acteurs de se rendre à l’évidence de la plus-value de cette réforme. «Nous avons choisi trois (03) écoles par département, donc cela fait trente-six (36) au total dans la zone urbaine, péri-urbaine et rurale. Nous avons également pris des écoles témoins où l’expérimentation n’a pas été menée pour connaître à la fin de l’expérimentation, le vrai visage de cette réforme. Nous avons constaté dans les trente-six (36) écoles où nous avons expérimenté les nouveaux curricula que le niveau d’apprentissage des apprenants s’est amélioré par rapport aux écoles témoins, d’où la nécessité d’aller vers la généralisation qui va durer une année scolaire et nous allons faire encore l’inventaire», a affirmé Jean Euloge Adétona, coordonnateur du PME au micro de Educ’Action.
«Si vous faites un tour dans les écoles expérimentées, vous allez voir des enfants qui lisent avec automaticité et c’est ce qui est recherché dans la mise à l’approche pédagogique. C’est une approche basée sur la science cognitive et sur la pédagogie explicite», dira, pour sa part, l’inspecteur Rock Ahokpossi, renseignant ainsi sur l’effet positif des nouveaux manuels scolaires après la phase d’essai dans ces écoles. A la question de savoir la différence qui existe entre les nouveaux manuels scolaires et ceux qui seront à retirés des classes, l’inspecteur Rock Ahokpossi répond en ces termes : «La différence se retrouve premièrement au niveau de la conception du manuel. Dans une Approche par Compétences, le nouveau document a beaucoup plus d’évolutions. Nous sommes toujours dans les pédagogies actives mais la nuance ici est qu’on part de la lettre pour aller au code. La constitution des syllabes est la deuxième étape et en ce moment, on utilise les graphèmes et les phonèmes». La grande spécificité, c’est l’apprentissage de la phonétique privilégié dans l’approche qui a permis d’écrire les nouveaux documents de français. «On apprend à l’enfant à connaître la phonétique et les différents sons qui sont habituellement dans le parler de l’enfant. Donc, c’est sur ce qu’il savait dire qu’on s’appuie pour lui apprendre à faire la lecture. Avant, on partait d’une idée, ce qu’on appelle ‘‘la phrase d’étude’’. On mime une scène à partir de laquelle l’enfant s’extériorise et formule une phrase. De cette phrase, on retient le mot qui va servir de vecteur pour aller à la lettre. Maintenant, il faut partir de la lettre pour aller au mot», nuance-t-il pour parler particulièrement du nouveau manuel de français du CI.
L’autorité ministérielle précise que la nouveauté de ce manuel est que l’apprenant a désormais la possibilité de rentrer avec le manuel et de s’exercer avec, même à domicile. Cette révision a été possible grâce à l’apport des Partenaires Techniques et Financiers(PTF).
Du processus de révision à l’apport des PTF…
Tout est parti des constats faits et des études commanditées par le gouvernement. Dès lors, plusieurs scénarii ont été posés et un appel d’offre international est lancé pour recruter une consultante d’envergure internationale qui a fait ses preuves dans plusieurs pays. Par ailleurs, un autre consultant au plan national a été recruté pour accompagner cette révision. «Les Partenaires Techniques et Financiers, à travers le PME, avaient mis à la disposition de notre pays, un consultant pour accompagner un expert international. Il a été recruté selon la procédure de la Banque mondiale, l’agent partenaire, et également un consultant au plan national qui devrait non seulement accompagner le consultant international, mais aussi jouer pratiquement le même rôle que lui en son absence. Ces deux consultants ont travaillé de façon très étroite avec les experts», avait déclaré le ministre Salimane Karimou avant d’ajouter qu’il s’est révélé que le Bénin dispose réellement des ressources humaines compétentes. «Effectivement», semble dire Jean Euloge Adétona, spécialiste en gestion de projet. «Le PME a joué un rôle important parce que l’appui financier a été 100% mais les ressources humaines, c’est le Benin qui les a mises à disposition. Ce sont des ressources humaines de bonne qualité», a-t-il affirmé. Selon les informations recueillies sur le terrain, tout ce qui a été fait dans le cadre de cette révision est un pur produit du Bénin. Deux (02) étapes ont meublé la révision de ces documents. Il s’agit de l’état des lieux et de la phase d’expérimentation. C’est après cette phase d’essai que six cents (600) inspecteurs et conseillers pédagogiques, à travers le pays, ont été outillés dans la nouvelle approche afin de se familiariser avec le nouveau document. Environ 22.500 enseignants vont aussi être touchés par les formations à venir.
Les acteurs impliqués dans le processus de révision n’ont pas manqué de remercier les PTFs pour leur appui à la concrétisation du projet. Lequel projet prend en compte aussi la classe de CP où c’est la phase d’essai qui est d’actualité au titre de cette année scolaire dans les trente-six (36) écoles.
Du constat fait sur le terrain à l’orée de la rentrée…
Les manuels scolaires, les cahiers d’activités ne sont pas encore disponibles dans les écoles privées et publiques sillonnées hier, lundi 20 septembre, jour de la reprise des activités pédagogiques. C’est le constat fait sur le terrain lors de notre descente. «Nous n’avons pas encore les nouveaux documents pédagogiques. Nous nous demandons quel programme nous allons exécuter au CI. Est-ce qu’il faut mélanger ou il faut commencer par l’ancien programme ? Jusqu’à présent, nous attendons la formation qui est entre temps initiée et qui est reportée. Nous sommes dans le doute. Les enseignants nous demandent le programme qu’ils doivent exécuter et nous ne savons pas à quel saint nous vouer », se désole Comlan Zanou, directeur de l’EPP Hêvié-Adovié groupe C avant d’ajouter que les parents sont suffisamment informés de la gratuité des nouveaux manuels scolaires et cahiers d’activités. Avis partagés par Nestor Agbétie, instituteur en charge de la classe de CI au Complexe Scolaire Ste Bernardette. «Actuellement nous n’avons pas encore reçu les manuels. Nous espérons que d’ici la fin de la journée, nous allons entrer en possession de ces matériels didactiques. Sinon actuellement nous ne savons pas quel programme exécuté», a-t-il déclaré avant de préciser qu’il n’a reçu aucune formation pour mieux s’adapter à ses nouveaux manuels scolaires et cahiers d’activités. Même son de cloche chez Victoire Balley épouse Hountin Kiki, directrice de l’EPP Cococodji/ C qui affirme n’avoir reçu aucuns documents pédagogiques de CI pour son école. Joint au téléphone hier lundi 20 septembre 2021 pour comprendre les raisons de la non-disponibilité des manuels dans les écoles, l’inspecteur Rock Ahokpossi, répond en ces termes : «Aucun enfant de CI n’utilise les manuels avant le mois de janvier. Nous avons douze (12) semaines de communication orale que nous appelons la période d’immersion et les douze (12) semaines courent de maintenant jusqu’à décembre. Nous avons tablé sur cette période en lançant la commande à l’imprimerie. Les inspecteurs et les conseillers pédagogiques vont démultiplier les formations dans toutes régions pédagogiques. Tous les enseignants doivent être formés et démarrer avec la période d’immersion avant d’entrer en possession des manuels».
Enock GUIDJIME