Gestion des apprenants colériques en milieu scolaire : Parents, psychologues et psychopédagogues s’en préoccupent

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Les situations fâcheuses ne manquent pas d’inonder le quotidien de l’être humain. Certaines peuvent exaspérer au point de créer un sentiment d’irritation. Il s’agit de la colère, une émotion normale qui provoque en l’homme un degré de vivacité assez élevé. Cette sensation peut dénoter de la non-maîtrise de soi ou pire constituer une pathologie. Les apprenants expriment également la colère en milieu scolaire. Seulement, études et colère peuvent-elles faire bon ménage ? Des acteurs du secteur éducatif rencontrés par Educ’Action apportent des éléments de réponse dans l’acte I de ce sujet.

«Ma fille a commencé à être colérique à l’âge de 5 ans, en raison de l’instabilité familiale. Il n’y avait plus l’ambiance, la joie de vivre dans le cercle familial. C’est un peu ce qui a causé ce déséquilibre. Quand elle s’énerve effectivement, cela dure des jours, voire des semaines parfois. Elle est tout le temps agressive et n’arrive plus à se contrôler». Ceci est le témoignage de la mère de Joanna (prénom attribué), élève en classe de 1ère F4 de génie civil à l’Ecole professionnelle Salésienne Saint Jean Bosco de Cotonou. Elle renseigne sur la nature colérique de sa fille bien qu’étant élève. Comme Joanna, beaucoup d’autres élèves se laissent emporter par la colère comme en témoignent les propos de Samuel, très colérique (prénom attribué) également élève dans le même établissement, en classe de 2nd F3 C dans la filière électrotechnique. «Pour commencer, je n’aime pas trop parler. Quand je me mets en colère, je ne sais plus ce que je fais. Je pose des actes incontrôlés. En ce moment, je n’entends plus personne. Je fais ce qu’il me vient à la tête», a martelé Samuel.

La colère, selon les spécialistes

«L’éducation est l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser pour changer le monde», disait Nelson Mandela. Pour en arriver à une telle puissance, il importe que l’éducation, en elle-même, soit équilibrée. Cette personne qui la reçoit doit être équilibrée à tout point de vue au plan physique, mental et émotionnel. Mieux appréhender le sujet, sous-entend mieux comprendre la colère sur le plan psychologique.

Bernard Comlan, Psychologue Clinicien et Consultant en Stratégies Educatives

 

Pour Bernard Comlan, psychologue et consultant en Stratégies Educatives, la colère «est une émotion de base comme le plaisir, le dégoût, la peur et la surprise, se manifestant par un mécontentement, une irritation, une exaspération et constitue une réaction à une situation jugée comme mauvaise d’une façon ou d’une autre. Elle est une réaction normale lorsqu’elle n’est pas fréquente et persistante chez l’enfant. Si un enfant est irrité la majeure partie du temps ou s’il a tendance à s’emporter rapidement et souvent, la colère peut alors être un problème et révéler une psychopathologie», a-t-il renseigné. Du même avis, Jean Akowé, psychopédagogue à l’Ecole Professionnelle Salésienne Saint Jean Bosco de Cotonou, ajoute que «c’est le cortex pré-frontal, une zone de notre cerveau, qui est chargée de réguler les émotions qui sont mises en jeu. Dans ces conditions, il est suffisamment stimulé pour secréter assez d’adrénaline qui fait qu’on n’arrive pas à se contrôler». La manifestation de la colère varie selon chaque type d’individu et en fonction du degré de sécrétion des hormones y afférentes chez ces derniers. Cette catégorisation va permettre de déceler les différents types de colère mais aussi leurs manifestations.

Manifestations et catégorisation de la colère

Des propos de Bernard Comlan, psychologue et consultant en Stratégies Educatives, il est noté trois (03) catégories de colère en fonction de leurs manifestations. La première catégorie renvoie à la colère à manifestation spontanée encore appelée agression ouverte. «Ce type de colère se manifeste sans raison apparente et de manière soudaine. Son intensité peut prendre tout le monde par surprise. C’est un excès de colère qui se définit comme une courte période de colère en inadéquation avec la situation, associée à une activation du système nerveux autonome et se traduisant par des symptômes telles que la tachycardie, les bouffées de chaleur, l’oppression thoracique. Elle ressemble à une attaque de panique, mais sans les symptômes prédominants de la peur et de l’anxiété», informe le psychologue. Quant à la deuxième catégorie qui se rapporte à l’agression passive, c’est le cas de certains enfants ou adolescents qui n’aiment pas admettre qu’ils sont en colère, parce qu’ils n’aiment pas la confrontation. Cela fait en sorte qu’ils deviennent silencieux même en colère, boudent, se temporisent et font semblant que tout va bien. «L’agression passive vient d’un besoin d’être en contrôle. Dans ce cas, le sentiment de colère est sans aucune raison claire. La colère peut dissimuler ou remplacer d’autres sentiments pénibles comme la peur, la douleur, la culpabilité, la jalousie, la frustration ou la honte», souligne Bernard Comlan.
La troisième catégorie de colère par contre, donne une image de la façon saine de faire face au sentiment de colère. C’est la colère assertive. C’est le cas où la colère connaît une bonne gestion. Cela signifie penser avant de parler, être confiant dans la façon dont on s’exprime ou encore être ouvert et flexible. «L’individu est patient et parle sans élever la voix, communique ses sentiments émotionnels et essaye de comprendre ce que les autres ressentent. Lorsque vous traitez la colère avec assertivité, vous démontrez que vous êtes mature et que vous êtes soucieux de vos relations et de vous-même», a-t-il conclu.

Jean Akowe Psychopédagogue à Don Bosco

Pour sa part, Jean Akowé va regrouper les différents types de colère et leurs manifestations en deux grandes catégories, ceci en fonction de leur gravité. Il va donc distinguer les personnes colériques et les personnes nerveuses qui, selon certaines études, sont au stade le plus élevé de la colère. Ainsi, il affirme : «Les manifestations de la colère dépendent de la personnalité. D’après le classement des tempéraments, Hippocrate a simplement signalé que ce sont les colériques qui sont instables et extravertis. Ils sont au degré élevé de l’expression de la colère. André le Gal et René de Senne sont, quant à eux, allés jusqu’à huit (08) tempéraments au-delà des quatre (04) tempéraments d’Hippocrate, que sont le mélancolique, le flegmatique, le sanguin et le colérique. Pour ceux-ci, les colériques sont au 1er rang et puis ensuite les nerveux». Le psychopédagogue renseigne que les coléreux sont émotifs, actifs et primaires et les nerveux émotifs, non actifs et primaires. La manifestation de l’état de colère au niveau de ces deux tempéraments d’après René le Senne et André le Gal, est très agressive parce qu’ils n’arrivent pas à vite se maîtriser. Ils sont un peu durs, autoritaires, beaucoup susceptibles avec un état de sensibilité très élevé. Aussi, a-t-il poursuivi, «quand on va dans le sens des neuro scientifiques, ils parlent de la personnalité acétylcholine ou dopaminergique qui est contraire aux personnalités Gaba ou Sérotonine qui sont moins émotives. Lorsque la personne arrive donc à secréter assez d’acétylcholine, de dopamine et d’adrénaline, s’il se met en colère, les secrétions sont élevées et cette hormone le met dans un état second. La colère est une souffrance qu’une personne victime s’inflige à elle-même. C’est naturel, c’est normal. Mais c’est sur sa gestion qu’il faut beaucoup travailler».
La manifestation de la colère provient généralement de l’interprétation faite des événements ou situations par les sujets en proie à la colère. Outre, elle peut aussi découler de nombreux facteurs déterminants comme des situations de conflits permanents, des blessures du passé et bien d’autres….

Causes et interprétation

Comme évoqué plus haut dans cet article par la mère de Joanna, cette jeune élève et adolescente a commencé à développer des comportements de colère suite aux instabilités familiales présentes dans la famille. Elle n’est pas la seule. Samuel aussi élève et approchant un quart de siècle en âge, n’a pas manqué de s’ouvrir : «Ce sont des situations que j’ai vécues et qui m’ont amené à être colérique». Aussi, a-t-il pris le soin de préciser que ce sont des situations de famille qui le laissent avec des souvenirs très douloureux. Les deux jeunes élèves, dans leurs explications, détaillent beaucoup plus les situations qui les mettent en boule. Pour Joanna, il faut éviter la goutte d’eau qui fait déborder le vase. «En général, je n’aime pas quand on me traite durement. Je ne m’énerve pas très vite. Mais quand c’est le cas, il faut savoir que la personne a vraiment dépassé les bornes. Dans ces circonstances, je récupère très difficilement», a-t-elle martelé, indiquant qu’il faut un minimum de trois (03) jours voire plus pour se calmer, mais deux (02) heures si elle est à école. Samuel, par contre, teint bronzé et timide, ne saurait être compté parmi les personnes colériques et pourtant avec lui, il ne faut pas essayer de faire capoter les choses. «Lorsque je viens à l’école, je suis calme. Je n’aime pas parler avec ceux qui m’entourent. Je suis timide dans mon coin et je ne cherche pas querelle. C’est quand on me provoque que je réagis», fait-il remarquer. Une réaction vive et automatique, souligne le jeune homme. A l’image de ces deux jeunes adolescents, Hector, âgé de 10 ans et élève en classe de CM2, est très jeune mais aussi porté par la colère. «C’est depuis qu’il était en classe de CE1 que nous avons observé qu’il est devenu colérique avec ses frères à la maison», témoigne ses parents. Pour Hector, la nervosité devient effective «quand ses frères mentent sur son compte ou quand on gâte sa tablette ou l’un de ses jouets. Il se met également en colère lorsque son opinion n’a pas été prise en compte», rapportent ses parents qui décrivent l’attitude du jeune garçon de dix (10) ans une fois sur les nerfs. «Sa colère dure parfois près de cinq (05) minutes. Il se tient muet et immobile. Il tremble et donne l’impression d’être essoufflé avec des mouvements involontaires de va et vient du ventre. Mais, il n’est pas agressif. Au début, nous n’avions pas compris. C’est après qu’on nous a conseillé une consultation psychologique.

Ce que nous avions fait et maintenant, il va mieux», ont affirmé les parents de Hector. Du côté des spécialistes, les causes s’apparentent à tout point de vue. Bernard Comlan, psychologue et consultant en Stratégies Educatives, indique que «la colère peut être un signe de troubles psychologiques tels que la dépression ou l’anxiété, ou le fait d’être victime d’intimidation. Il est important de prendre ces signes au sérieux. Il peut être utile d’en parler à ses amis, ses parents, son médecin ou d’autres personnes en qui on a confiance». Pour lui, il est nécessaire d’envisager une prise en charge psychologique, lorsqu’un sujet présente les signes suivants : sentir une colère qui ne disparaît pas que ce soit au sujet de choses passées ou actuelles, sentir une colère contre soi-même, être facilement irrité ou de mauvaise humeur, se quereller ou se battre souvent, se sentir tellement en colère au point d’avoir envie de se faire du mal ou d’en faire aux autres. Quant à Jean Akowé, psychopédagogue qui parle de l’interprétation des situations par les personnes colériques, il faut retenir d’elles, «qu’elles interprètent toujours à un degré élevé un événement. Ce qui les met dans cet état. Ce qui se cache derrière la colère, peut être la peur, l’anxiété, la tristesse. Quelque chose qu’elles n’arrivent pas à maîtriser, qui échappe à leur contrôle, et qui en retour les contrôle. Ce qui les met dans un état second. Une personne colérique ou nerveuse doit faire un rétro contrôle sur elle-même et savoir anticiper sur les éléments qui doivent l’amener dans cet état. En fon, on parle des akpomonton, homincito et des kandouto», a-t-il renseigné.
L’acte II de cet article va permettre de comprendre les répercussions de la colère sur les apprenants tant au plan psychologique que sanitaire, l’accompagnement y afférent du côté des enseignants et parents de même que les conseils appropriés.

Gloria ADJIVESSODE

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