Plus de cinq ans que les filles vont gratuitement à l’école dans les Collèges d’Enseignement Général pendant que les garçons vivent la croix et la bannière pour payer leurs frais de scolarité. Le problème, c’est que dame Constitution garantit à tous (filles comme garçons) l’égalité des chances et le droit à l’éducation. Educ’Action revient sur les plaies d’une discrimination ambigüe qui semble apparemment trahir l’esprit de la Constitution. Cette décision gouvernementale qui vise la promotion et la rétention des filles dans le système éducatif, viole-t-elle la Constitution ? La réponse à travers cette petite enquête que nous avons réalisée pour vous et qui donne la parole aux acteurs surtout de droit pour aider à la compréhension de cette discrimination qui n’a que trop duré…
«Il (l’Etat) lui (la personne humaine) garantit un plein épanouissement. A cet effet, il assure à ses citoyens l’égal accès à la santé, à l’éducation, à la culture, à l’information, à la formation professionnelle et à l’emploi ». Ce sont là, lettre pour lettre, les mots du saint des saints du peuple béninois : la Constitution du 11 décembre 1990, en son article 8. Cinq articles plus loin, dame constitution revient à la charge en martelant que « L’État pourvoit à l’éducation de la Jeunesse par des écoles publiques, l’enseignement primaire est obligatoire. L’état assure progressivement la gratuité de l’enseignement public ». Cependant, le crime d’Adam, dans les collèges d’enseignement public au Bénin, c’est justement d’être Adam, c’est-à-dire, un garçon sinon un homme en devenir. En effet, de la 6è en 3è, le régime de l’ancien Président de la République Thomas Boni Yayi a décidé de la gratuité, que dis-je, de la subvention des frais de scolarité pour les filles. Pour les garçons : rien ! « Si vous êtes fille, vous avez droit à l’éducation gratuite de la 6ème en 3ème. Malheur à vous si vous êtes garçon, on vous chasse comme un malfrat si la contribution scolaire n’est pas payée dans les délais et vous avez zéro dans toutes les évaluations. Le crime : vous êtes garçon ». C’est ainsi que s’est exprimé Cyprien Djènoutin, comptable de formation et observateur de la vie politique parlant des injustices dans l’éducation au Bénin en ce qui concerne les questions du genre.
Absolution des droits d’écolage pour les filles et contraintes pour les garçons, une discrimination ?
Du point de vue du droit, Marc Zinzindohoué, juriste de son état souligne que cela dépend du contexte dans lequel est intervenue la décision. Et pour cause, le « contexte béninois est dominé par un système patriarcal où le garçon est toujours valorisé au détriment de sa sœur voire de sa mère, donc du sexe féminin en général. Ceci entraine un déficit dans l’accès équitable de tous et de toutes à l’éducation». Cependant, l’article 8 de la Constitution est assez clair sur l’égalité des chances pour tous. Opinant sur cet article, le juriste invoque l’esprit de la loi prôné par ledit article. Selon lui, « Le gouvernement, pour remédier au manque de scolarisation des filles, en restant fidèle à l’esprit de l’article 8 de la constitution a décidé de leur octroyer la gratuité de l’enseignement de la 6è en 3è». Ainsi donc, Il n’y a pas de discrimination au sens latin du mot, mais il y aurait discrimination positive, car l’Etat a pris cette mesure pour pallier une réalité sociale et anthropologique, a-t-il rappelé. Et qu’en est-il dans les écoles où cela se fait au jour le jour ?
Des chefs d’établissement se prononcent …
Dans les CEG, les avis sont partagés sur la question. « C’est une forme de discrimination. Qu’elle soit positive ou négative, la discrimination dans tous les cas est négative », affirme tout convaincu Hugues Tchoukpa, Directeur du CEG L’océan. A cela, son collègue Rodolphe Nougbologni, Directeur du CEG Le Plateau, situé dans les encablures d’Abomey-Calavi, plus précisément à Womey, répond que « ce n’est pas une discrimination, mais c’est plutôt pour corriger la discrimination». S’il est vrai que tous deux réfutent la thèse de brimades à l’égard des garçons qui ne paient pas les frais de scolarité, ils sont tous unanimes à reconnaître que la mesure a fortement amélioré la scolarisation des filles. A ce propos, le Directeur du CEG Le Plateau reconnait que « quand nous étions apprenants, sur 50 apprenants à peine vous trouverez trois filles. Mais aujourd’hui c’est le contraire. Sur 50 apprenants vous avez plus de 25 filles sinon 30 filles et 20 garçons ».Toutefois, Hugues Tchoukpa ne manque pas de relever un fait. En effet, « moi, j’ai des cas ici où les parents n’arrivent pas à payer la scolarité pour leurs garçons » témoigne-il pour soutenir sa position de départ à savoir que cette décision de l’Etat est discriminatoire. S’il est plausible que, comme l’a souligné le Directeur du CEG Le Plateau, « si on n’avait pas pris cette mesure, on n’aurait même pas de filles au second cycle » le locataire du CEG l’océan lui propose que « soit l’Etat généralise la subvention pour tout le monde, soit il supprime la subvention des filles pour que les chances puissent être les mêmes pour tout le monde » comme le reconnait et l’exige la Constitution. L’autre revers de cette décision, c’est qu’elle est aussi l’une des causes de dysfonctionnement des établissements secondaires, car « les frais de scolarité des filles sont reversés aux établissements sous forme de subvention », déplore un autre chef d’établissement qui a requis l’anonymat. Le problème réside dans le fait que cette subvention vient tardivement et parfois en dessous de 30% constituant ainsi un véritable gap financier pour l’efficacité de la gestion administrative, pédagogique et technique de nos CEG. Que pensent les élèves eux-mêmes de cette décision qui suscite de vives controverses ?
Les élèves, entre euphorie et indifférence, proposent …
C’est la sortie des cours. Approché pour se prononcer sur la question, un groupe de filles en classe de troisième au CEG 1 d’Abomey-Calavi a laissé éclater son euphorie. Mais l’une d’entre elles ajoute que « ce n’est pas bon mais comme c’est déjà fait nous n’y pouvons rien si les garçons paient la scolarité ». Du côté des garçons, lorsqu’ils ne paient pas leur scolarité, « ils sont renvoyés lors des devoirs », ont précisé Ulrich et ses amis, qui viennent du même établissement. Si l’un d’entre eux a soutenu que « cela ne le gêne pas si la scolarité des filles est gratuite » son camarade, quant à lui, demande que la scolarité qui est de 15.000 f soit tout au moins revue à la baisse pour les garçons. Interrogées sur les raisons de cette décision de rendre gratuite la scolarité des filles du premier cycle, force est de constater que ces dernières (les filles bénéficiaires de la décision) n’en savent rien. Si elles sont toutes d’avis que les filles ont aussi le droit d’occuper de grandes fonctions dans la société, les garçons quant à eux ont montré le revers de la médaille. En effet, ils ont unanimement pointé du doigt accusateur cette décision, car « elle aurait entrainé un laxisme chez certains parents qui ont démissionné face à l’éducation de leurs filles tant leurs filles s’éduquent elles-mêmes à leurs manières ». Et pour cause, ces derniers ne prennent plus soin de leurs filles qui sont laissées à elles-mêmes vu qu’ils n’ont pas à débourser pour les scolariser avant même de se soucier du résultat annuel qui leur est généralement indifférent. D’où la sempiternelle question des grossesses précoces en milieux scolaires. Tel est le cas dira Fiacre d’une fille de sa classe de quatrième.
Adjéi KPONON & Romuald D. LOGBO