Les collèges et universités, abritent, par endroits, sur le territoire béninois, des apprenants homosexuels encore appelés LGBT (Lesbienne, Gay, Bisexuel et Transgenre). Ces jeunes, hommes et femmes, souvent forcés à la déscolarisation en raison de leur choix ou orientation sexuelle, subissent la pression et les pesanteurs de la société béninoise, très conservatrice. La rétention de ces concitoyens dans le système éducatif national demeure, jusque-là, une équation difficile à résoudre. Grâce à certaines Organisations de la société civile spécialisées en la matière, plusieurs d’entre eux jouissent encore d’une prise en charge et vivent dans la grande discrétion, loin du regard des populations. A travers ce dossier spécial, Educ’Action tente, d’une part, de comprendre l’environnement de ces personnes, leur difficulté de scolarisation et, d’autre part, d’engager le débat public autour d’une problématique qui interpelle en premier lieu les pouvoirs publics.
Cet après-midi du mois de mars 2021, Adèle, (prénom attribué par la rédaction), visiblement alerte, le teint bronzé, semble bien préoccupée. Assise sur une chaise en bois, et vêtue d’un pantalon Jeans assorti d’un t-shirt bicolore blanc-rouge, elle se tourne le pouce. Prenant son courage à deux mains, elle décide de lâcher quelques mots, après un profond soupir : « Ce n’est pas facile pour moi. Je suis Lesbienne. Je n’étais à l’aise ni à l’école, ni en famille. Au début, les amis et autres camarades de classe me détestaient. J’en ai perdu assez parmi eux à cause de mon orientation sexuelle. J’étais stigmatisée. Seule la directrice de l’établissement où je fréquentais m’avait comprise. J’ai subi les injures de plusieurs professeurs », témoigne, le visage affligé, Adèle aux allures masculines. Elle poursuit : « Très tôt, j’ai été renvoyée de la maison par les parents pour qui mon orientation sexuelle est une honte pour la famille ».
Dans ce centre spécialisé de prise en charge et de suivi situé à Cotonou, Adèle fraternise avec d’autres amis comme Bruno, compagnon d’infortune, dont l’histoire est tout aussi émouvante : « Je me suis entiché d’un ami de vielle date que j’ai fortuitement retrouvé à l’université. J’avoue qu’il était un peu efféminé et me plaisait. C’est de là que les rumeurs ont commencé à circuler, puis de fil en aiguille, l’administration de l’université a été informée. Quand nous sommes au cours, mon ami et moi, certains professeurs nous regardent de travers. Par contre, quand mon ami n’est pas présent au cours, des professeurs en profitent pour me demander pourquoi mon amoureux n’est pas là. Certains camarades s’en moquaient. Au fil des jours, cela prenait de l’ampleur au point où l’un de mes professeurs a fini par alerter mon père. Lui qui était venu à l’université pour une autre raison, était reparti très irrité. De retour à la maison après les cours, il m’a vertement sermonné et a décidé de me répudier. J’ai donc été chassé de la maison pour une destination inconnue. »
Ce témoignage de Bruno (prénom attribué), gay et étudiant au moment des faits, dans une université à Cotonou, ajouté à celui d’Adèle aujourd’hui déscolarisée, prouve, s’il en était encore besoin, qu’il y a bien des apprenants dans nos collèges et universités qui ont fait cette option sexuelle en dépit du regard et des répugnances d’une société béninoise très conservatrice. Vivant loin des parents aujourd’hui, ils sont récupérés et pris en charge par une Ong spécialisée.
Adèle et Bruno ne sont pas des cas isolés. Leurs tribulations sont vécues par d’autres homosexuels apprenants qui, comme eux, souffrent moralement et psychologiquement.
Expulsés pour limiter la « contagion… »
La peur de voir grossir le nombre des LGBT, et surtout le risque qu’ils influencent ou contaminent les élèves et étudiants hétérosexuels constituent les principales raisons de leur rejet des écoles et universités. « Si ces types d’apprenants sont renvoyés, c’est surtout pour éviter qu’ils ‘‘contaminent’’ leurs camarades parce que c’est le suivisme, la camaraderie qui conduisent à ce phénomène », a déclaré à Educ’Action Auguste Takpè, enseignant-chercheur en Sociologie-Anthropologie à l’Université d’Abomey-Calavi (UAC). Il précise, par ailleurs, que les normes sociétales n’acceptent pas ces genres de comportement.
Du cadre législatif
A propos du cadre législatif, il n’existe pas encore, à la date d’aujourd’hui, des textes au plan national ou des règlements scolaires qui autorisent, interdisent ou répriment l’homosexualité en milieu scolaire ou universitaire au Bénin. Selon le Secrétaire Technique Permanent du Plan Décennal de Développement du Secteur de l’Education par intérim (STP-PDDSE), Raoul Atohoun, « le législateur béninois n’a prévu jusqu’à cette date, aucune disposition réglementant ce phénomène dans nos institutions scolaires. Il serait hasardeux d’avancer quelque réflexion ici et maintenant même si la nécessité va bientôt se faire sentir. Pour l’heure, rien n’est prévu pour ces cas », a soutenu ce cadre du secteur de l’éducation au Bénin. Interrogée sur sa connaissance du phénomène, la Coalition Béninoise des Organisations pour l’Education pour Tous (CBO-EPT), à travers son Coordonnateur Hervé Kinha, affirme : « nous avons eu vent de poches d’existence de ces pratiques dans les internats et les foyers de jeunes filles. Mais sans preuve, nous ne pouvons pas encore prendre une position claire. Nous avons des filles qui abandonnent subitement les classes et se referment sur elles-mêmes. C’est bien plus tard qu’on réalise que c’est dû à leurs orientations sexuelles. Les investigations continuent à notre niveau et sans délai, nous allons réagir sur la question. »
La pression sociale que subissent les LGBT, aujourd’hui, semble plus d’ordre culturel. De l’avis de plusieurs personnes interrogées, « notre société n’admet pas ce type de vie sexuelle. Il est plutôt importé de l’extérieur et jamais au Bénin, on ne pourrait reconnaître à ces concitoyens ce choix de vie sexuelle. »
Renvoyés de l’école ou des universités, et parfois ou souvent rejetés par les camarades et la famille, les homosexuels retrouvent le goût de la vie auprès des organisations non gouvernementales (Ong) spécialisées qui assurent leur prise en charge, voire leur réinsertion.
Homosexualité : choix sexuel inné ou personnel ?
Parmi les Ong qui assurent la prise en charge des apprenants et personnes homosexuels au Bénin, figure l’Association Hirondelle Club Bénin. Rencontré dans son bureau par le reporter de Educ’Action, le président Luc Agblakou, réfute la thèse du choix volontaire de cette orientation sexuelle par les personnes LGBT. « Non ! Ils ne choisissent pas volontairement leur sexualité. Ils naissent avec. Par ailleurs, ils n’ont pas un signe particulier pour qu’on puisse les identifier dans la société », a-t-il clarifié, sans ambages. « Est-ce qu’on naît d’abord homosexuel ? », rétorque Auguste Takpè, docteur en sociologie-anthropologie. « C’est une mauvaise camaraderie qui conduit à ce phénomène. C’est d’ailleurs parce qu’ils sont mal vus qu’ils s’isolent. Quand on fait ce qui est contraire à la société, cela devient une anomalie », se désole, le socio-anthropologue. Selon lui, ce n’est pas un comportement à adopter dans le hameau familial et sociétal. Mais pour le Président de l’Association Hirondelle Club Bénin, la priorité est la prise en charge de ces personnes. Il s’appuie sur d’autres leviers pour accompagner les apprenants homosexuels. Il explique : « Actuellement, nous travaillons avec un groupe de professeurs pour leur expliquer que les homosexuels sont des personnes normales. Ils ont besoin de protection et d’attention. Souvent, le manque de dialogue parent-enfant pousse les élèves et étudiants homosexuels à se cacher et à ne pas partager tout ce qu’ils ont comme difficultés. Nous avons des psychologues et des médecins qui travaillent avec nous. Certains parents sont avec nous aussi. » Il ne manque pas de préciser à Educ’Action que son Ong s’occupe actuellement de la prise en charge de plusieurs apprenants homosexuels béninois comme étrangers. De la prise en charge psychologique, les professionnels aussi s’en occupent !
De l’accompagnement psychologique
« Nous recevons des homosexuels et nous décelons que la plupart de ces derniers ont eu à traîner des traumatismes depuis leur enfance. Des enfants qui, par défaut de communication ou de dialogue parent-enfant ; les mauvaises ambiances familiales, etc. se réfugient chez des pair(e)s ou des aîné(e)s à qui ils se confient. Ces enfants se laissent aux influences des ami(e)s, se désorientent sur tous les plans et parfois adoptent de mauvaises conduites juvéniles à savoir la toxicomanie, la prostitution, la pornographie, l’homosexualité », a renseigné le psychologue-clinicien Elwis Assogba, directeur du Cabinet « Equilibre-PSY ». Il en déduit que les causes profondes de l’homosexualité découlent d’un abus, d’un traumatisme résultant du fait que ces apprenants ont été témoins des actes de violences sur une personne de sexe opposé. Timides, et réservés au départ, les homosexuels ont souvent du mal à se déclarer tels. « Généralement, selon mes expériences, la plupart des apprenants homosexuels viennent chez moi en consultation comme tout individu normal. Ce n’est qu’après qu’ils me confient qu’ils sont homosexuels », précise le psychologue-clinicien, directeur du Cabinet « Equilibre-PSY ». S’agissant de l’accompagnement psychologique dont ont besoin ces apprenants, il explique : « Il faut offrir un suivi psychologique périodique, voire permanent surtout à ceux qui sont encore dans le système éducatif. Il faut leur recommander la consultation chez le psychologue afin de renforcer leur estime et assumer leur identité ou à faire la conversion. Car, j’ai vu plusieurs homosexuels se marier, devenir des hétérosexuels plus tard. » Qu’en disent les religions ?
Homosexualité, un désordre pour les religions révélées
Du côté des religieux et autres personnes ressources approchées, les points de vue sont radicaux. « Les musulmans détestent l’homosexualité comme Dieu le déteste. Après Abraham, il y a eu un messager de Dieu qui s’appelle Loth. Au temps de Loth, les gens pratiquaient l’homosexualité. Loth a essayé de les conscientiser. Mais il n’a pas pu. Dieu a dit aux homosexuels que ce qu’ils font est mauvais et que leurs aînés ne l’ont jamais fait. Les homosexuels ont souhaité donc que Loth et ses proches quittent le pays, estimant que ces derniers sont purs. Dieu avec le temps a fait justice et ils sont morts », a témoigné l’Iman Illiassou Abdou Hamane, exprimant clairement la position de la religion musulmane sur l’homosexualité. L’Eglise catholique aborde, sans équivoque, la question de l’homosexualité. S’appuyant sur des versets bibliques dont Lévitiques, chapitre 18, verset 22 suivi du chapitre 20 au verset 13, le Père Ulrich Thomas Mèvodjo, vicaire à la Paroisse Saint Michel de Ouando à Porto-Novo, explique le caractère abominable de l’homosexualité. Dans le Nouveau Testament, poursuit-il, Saint Paul aborde la question de l’homosexualité en considérant cette inclination comme désordonnée et compte parmi ceux qui n’entreront pas dans le Royaume de Dieu, notamment celui qui agit en homosexuel. Aussi, ajoute-il, que notre système éducatif ne doit jamais perdre de vue son rôle et sa responsabilité d’aider l’homme à s’accomplir en cohérence avec son identité propre. Il s’est inspirée du Catéchisme de l’Eglise Catholique N° 2357 en affirmant que : « les actes d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnés. Ils sont contraires à la loi naturelle. Ils ferment l’acte sexuel au don de la vie. Ils ne procèdent pas d’une complémentarité affective et sexuelle véritable et ne sauraient recevoir d’approbation en aucun cas ».
Autrefois considérée comme une maladie, l’homosexualité est de jour en jour considérée par certains activistes comme un phénomène naturel ou comme une orientation sexuelle responsable. Pourtant les conséquences sont multiples, souligne Illiassou Abdou Hamane, Imam de la Mosquée Centrale de l’Education Islamique de Akpakpa-Kpankpan.
Des conséquences du phénomène
Elles sont de divers ordres : déviance comportementale, mauvaise éducation, risques de maladies intra-sexuelles en milieu scolaire et universitaire, mauvaise compagnie, déperdition et échec scolaires, etc. l’Imam Illiassou Abdou Hamane ne va pas du dos de la cuillère pour parler d’ignominie selon les Saintes Ecritures. Pour le prête de l’Eglise catholique, Ulrich Thomas Mèvodjo, vicaire de la Paroisse Saint Michel de Ouando, à Porto-Novo, la présence de cette tendance sexuelle en milieu scolaire va toujours faire des victimes du côté des plus faibles, d’abord, et des curieux, par la suite. Pour l’heure, le constat est clair : l’homosexualité est présente dans la société béninoise et ses institutions scolaires !
Réalisation : Enock Guidjime, Serge David Zoueme & Ulrich Vital Ahotondji