Le développement technologique prend de court tout le monde. A côté de la blockchain, l’intelligence artificielle (IA) a le vent en poupe et constitue la ruée vers l’or. De quoi s’agit-il ? Quelles en sont les applications dans le domaine de l’éducation ? Ce sont les questions que nous avons posées à certains spécialistes au Bénin. Reportage !
16 milliards de dollars d’investissement dans l’Intelligence Artificielle (IA) pour Amazon en 2017. Entre douze mille (12 000) et quinze mille (15 000) start-ups spécialisées dans l’IA dans la Silicon Valley, aux Etats-Unis. En Chine, les autorités ont annoncé un investissement de cinquante-neuf (59) milliards de dollars dans l’IA d’ici à 2025 dans l’objectif de rattraper les États-Unis, avec pour ambition d’être le leader mondial de l’IA en 2030. Toujours dans l’empire du milieu, le marché de l’IA est estimé à quinze mille sept cent (15.700) milliards de dollars. Aux Emirats Arabes Unis, le pays a créé un ministère de l’intelligence artificielle en octobre 2017 avec divers objectifs à atteindre.
Ces informations sont issues d’un rapport présenté au Sénat français en 2019. Le document de cinquante-six (56) pages soutient que : « l’intelligence artificielle, parce qu’elle est une technologie qui trouvera à s’appliquer sous de multiples formes et dans de multiples situations, va entraîner une nouvelle révolution industrielle. En ce sens, elle appelle une réponse politique globale, qui ne se cantonne pas aux seuls champs scientifique et économique et qui prépare l’ensemble de la société ». Cette citation ouvre la première partie intitulée « Préparer la quatrième révolution industrielle » dudit rapport d’information fait au nom de la commission des affaires européennes sur la stratégie européenne pour l’intelligence artificielle et a été présenté le 31 janvier 2019.
Pourquoi Educ’Action aborde cette thématique, seriez-vous tentés de demander. D’abord, parce que parler d’Intelligence Artificielle, c’est faire de la recherche scientifique. Ensuite, l’IA a de nombreuses applications dans le secteur de l’éducation. Avant d’aller plus loin, présentons d’abord l’IA.
Intelligence artificielle, de quoi s’agit-il ?
Pour Mikhael Mazu, Président Directeur Général de la start-up MyBeatus, l’IA est une intelligence appliquée. Avec cette technologie, estime-t-il, il s’agit de donner les outils à un ordinateur pour tirer des conclusions logiques à la place de l’homme. De passage dans les locaux de Educ’Action, le responsable de start-up donne des détails sur l’importance de cette technologie. « Développer l’intelligence artificielle nous donne cette capacité d’exploiter ce gisement d’opportunités que sont les données pour optimiser, innover, trouver des solutions à des problématiques », soutient-il. Les auteurs du rapport du Sénat français, quant à eux, évoquent « un prolongement de l’intelligence humaine » plutôt qu’une « forme autonome d’intelligence ». C’est ce deuxième pan de la question qui, selon eux, nourrit les fantasmes alimentés par la science-fiction avec une IA vue comme : « une machine aussi intelligente que l’être humain, une machine qui a conscience d’elle-même et qui est capable de faire des choix en toute autonomie à travers des créatures cauchemardesques à forme humaine allant de Frankenstein à Terminator ». Bref ! Revenons au secteur de l’éducation après avoir planté ce décor.
Mikhael Mazu, Président Directeur Général de la start-up MyBeatus
Personnalisation des parcours, une réalité grâce à l’Intelligence Artificielle
17 mars 2021. Nous sommes à l’Université d’Abomey-Calavi (UAC), plus précisément à l’Ecole Polytechnique d’Abomey-Calavi (EPAC). Après quelques marches d’escaliers, nous voici dans l’une des salles du bâtiment D de l’établissement. Dans la grande salle, cohabitent espace de travail et box personnel servant de bureaux pour les chercheurs. Locataire de l’un des box, c’est Dr Ratheil Houndji, qui lève le voile sur les applications de l’intelligence artificielle dans l’éducation. Dans le cas des cours en ligne, « l’IA peut aider à suivre un apprenant de façon personnalisée. Le contenu sera adapté aux pré-requis de l’apprenant de façon qu’à la fin, il puisse avoir les compétences demandées. On peut personnaliser l’apprentissage et les approches pédagogiques », explique le chercheur dans un complet Goodluck de couleur grise, une tenue locale nigériane fortement appréciée au Bénin.
Enseignant à l’Institut de Formation et de Recherche en Informatique (IFRI) de l’UAC et chercheur au laboratoire de recherches en sciences informatique et applications, l’enseignant-chercheur révèle que son laboratoire a mis en place des modèles de prédiction des résultats semestriels des étudiants, dans l’optique d’améliorer leurs résultats. « On peut anticiper sur les résultats académiques de façon à ce qu’on fasse des cours supplémentaires ou des TD. Ce sont des travaux qu’on fait ici au laboratoire où à partir des anciennes notes des étudiants, on peut anticiper sur leurs notes dans les UE du prochain semestre afin que l’administration puisse prendre des décisions. Ainsi, si on observe que le semestre suivant 50 % de la classe pourraient rater une UE, on peut augmenter la masse horaire, organiser des TD, personnaliser l’enseignement pour certains. Nous avons des modèles qui marchent, il faut appliquer et voir quel impact cela a », dévoile le jeune enseignant caché derrière ses lunettes.
L’autre visage de l’éducation au Bénin, ce sont les rentrées inéquitables. En effet, les aléas climatiques tels que la sécheresse, la crue des lacs ou des rivières et même fleuves, en plus des autres intempéries empêchent une rentrée au même moment pour tous les enfants du Bénin. A condition d’avoir une bonne connexion internet et les équipements qu’il faut, l’intelligence artificielle peut aussi apporter son lot de solutions, fait savoir Dr Ratheil Houndji. « L’élève, avec l’aide de ses parents, peut suivre des cours en ligne. Les parents peuvent le guider dans l’utilisation des applications didactiques en fonction des modules de cours. Les élèves pourront suivre les cours à leur rythme, même s’ils ont raté le début des cours ».
Massification et orientation, sont aussi d’autres facettes du système éducatif béninois.
Ratheil Houndji, Enseignant-Chercheur à l’IFRI
Relever le défi de la massification et de l’orientation scolaire et socioprofessionnelle grâce à l’Intelligence Artificielle (IA)
Dans le contexte scolaire africain, l’orientation scolaire est un luxe que ne peuvent se permettre les systèmes éducatifs. Le Bénin n’est pas épargné. Cependant, des solutions existent avec l’intelligence artificielle. Consultant en transformation digitale, Mikhael Mazu ouvre une brèche sur les potentielles solutions apportées par l’IA. « Nous avons un déficit d’orientation et c’est une grande source d’échec dans le système éducatif. Résoudre ce problème aujourd’hui sans IA, demande de recruter de nombreux conseillers en orientation partout dans le pays », évoque d’entrée de jeu le PDG de MyBeatus. Dans une posture démonstrative, il détaille la marche à suivre en intégrant l’IA : « Nous pouvons collecter un ensemble d’informations suffisantes sur chaque apprenant et utiliser les techniques d’orientation avec divers tests de personnalités tel que le MBTI. Ainsi, on pourrait apporter une orientation à 100 % des enfants du pays en moins de cinq ans. Grâce à l’IA, on peut collecter des données et mettre en place des logiques grâce à des algorithmes qui permettent de tirer des tendances et sortir une information de qualité ».
La massification des étudiants trouve aussi sa solution dans la personnalisation des parcours, une chose possible avec l’IA. « Face au défi de la massification, on peut adapter la méthode d’enseignement à l’étudiant. Dans la pratique, on a un enseignant qui est face à des milliers d’étudiants et qui donne son cours de façon générale. Il pourrait avoir vraiment la moitié des étudiants qui suivent son cours, et le reste aurait pu suivre si on adoptait une autre méthode. Avec les données et les pré-requis de chacun des étudiants, l’IA peut accompagner chaque étudiant. On aura une plateforme d’intelligence artificielle qui va guider chaque étudiant et qui va proposer les quizz qu’il faut en fonction de son niveau de façon à le conduire au niveau requis », explique Dr Ratheil Houndji.
Face à toutes ces possibilités de l’Intelligence Artificielle, de nombreux défis restent à relever par le Bénin. Nous y reviendrons dans notre prochaine parution.
Adjei KPONON