Les éditions « Les Savanes du Continent » ont publié « La perle du Sahara » de Abdoul Salam Maïga, homme de lettres malien. Paru en 2018, ce roman convoque le paranormal en puisant ses sources dans le conte traditionnel. L’ouvrage de 150 pages amène sur le domaine du fantastique.
Tordre le cou aux règles sociales qui proscrivent notamment l’inceste pour faire asseoir une vie conjugale pourtant décriée. C’est le fil rouge de cette histoire retracée en forme de conte. Wangaharo, fils du leader de Gandabero (célèbre roi dont la renommée dépasse les murs de son royaume et surnommé « Le lion du désert », ndr) a hérité du trône de son père. Celui-ci est passé de vie à trépas lors d’un combat atroce livré avec une meute de bandits visiblement bien organisés. Wangaharo devient ainsi le nouveau roi de Gandabero et sa sœur Bori, demeure la princesse. Le nouveau roi, tout comme son géniteur, conquiert plusieurs contrées et se fait une bonne réputation partout. Mais quelques harmattans plus tard, le cœur de Wangaharo commence à battre la chamade. Il veut sa sœur Bori. Sacrilège ! Lisons cet extrait de la page 36 : « Cet amour passionnel le dévorait à petit feu. Même ses prières étaient troublées par un verbalisme incohérent. Au lieu de réciter correctement les versets, le nom de Bori revenait constamment dans ses propos. L’intensité de ses sentiments et l’intérêt exclusif et impérieux porté à Bori firent perdre à Wangaharo son sens moral et son esprit critique ». Cette obsession amoureuse, illogique et alogique finit par franchir les frontières de son cœur pour échouer dans les oreilles de Ousmane Pathé, le griot.
Cet amour est un véritable défi pour tout esprit sain, y compris pour le griot Ousmane. Toutefois, alors que cette idée mine l’ordre préétabli par la société et à la morale, Ousmane porte la voix de Wangaharo auprès de ses pairs. Leurs réactions sont normales, ils désapprouvent ce projet insolite. Mais cette demande anormale émanant du roi, Ousmane ne joue pas la carte du refus. Allons à la page 50 : « Ousmane Pathé prit congés de ses camarades griots, le cœur rempli de ressentiment, la tête baissée, le visage serré et les yeux embués de larmes, tel un homme qui vient d’enterrer sa tendre grand-mère. Il n’avait pas d’autre choix que de continuer à supporter sa mission comme un fardeau indésirable ». Décidé donc à accomplir sa mission, le griot Ousmane se rend chez la reine Nialawoyo, la mère de Wangaharo et de Bori.
La dot (moussoufourey) reçue autrement…
La reine Nialawoyo au parfum de ce plan parapsychique, a usé de tous les subterfuges pour faire avorter ce projet. Fiasco ! C’est sans compter que Wangaharo va manifester un refus catégorique aux conseils de sa mère. Voyant la cécité amoureuse de son frère taquinée par un comportement incestueux, Bori, in fine, a accepté de convulser en justes noces avec lui. Mais dans sa tête, mijote un plan savamment orchestré pour émousser l’ardeur du roi Wangaharo. Lisons ce passage de la page 80 : « Mère, as-tu oublié que chez les Songhoï, la femme, avant de laisser son mari jouir de son corps, a le plein droit de demander un cadeau de son choix ? Ce cadeau, appelé moussoufourey, sera la réponse à cette équation énigmatique. Moi, je demanderai le cœur de Barrel, le cheval préféré de Wangaharo ».
Le mariage donc contracté, le moment est venu pour Wangaharo de s’approprier le corps de sa sœur. Elle, sachant que son frère a un amour inénarrable pour le cheval Barrel, insiste à avoir le cœur de l’animal. Erreur ! Pendant cette période de tergiversation du côté de Wangaharo, Zarafa, un bel homme d’une virilité inouïe se déguise en Wangaharo un soir pour prendre la virginité de Bori. Il fait endormir le roi pour arracher le cœur de Barrel. Ce passage (page 113) dévoile le mode opératoire : « Sans dire un seul mot, Zarafa descendit et alla tuer ce cheval tant aimé de tout le monde, et de surcroît de son propriétaire. Il l’éventra puis ôta son cœur. Il se présenta à Bori avec un cœur frai, palpitant même encore entre les mains. A la vue de l’objet, Bori voulut crier, mais l’imposteur posa son couteau sur sa gorge ». Cet acte permet au gourgandin de s’offrir la perle du Sahara qu’est Bori. Après cet acte légendaire, Bori fini par constater qu’un étranger l’a violée. Elle part à ses trousses et va lui rendre la monnaie de sa pièce : pour se venger, Bori aura recours à Dikoro, sa meilleure amie. Pour apaiser son frère Wangaharo qui est inconsolable d’avoir perdu Barrel, Bori, de retour de sa vendetta, a ramené un autre cheval, identique à Barrel.
… pour la victoire de la raison
Convaincu que sa sœur est violée par un pervers et comprenant que l’amour fraternel est l’idéal entre lui et à sa sœur, Wangaharo s’est vu rattraper par la raison. « L’amour entre frères et sœurs est particulier, solide et inébranlable ; il ne doit jamais être confondu ou mélangé aux sentiments que l’on éprouve pour le sexe opposé », peut-on lire à la page 140.
A la lumière de ces extraits, il faut noter que l’inceste est un fait anormal qui est vomi dans les sociétés, notamment africaines. « La perle du Sahara » de Abdoul Salam Maïga, est un roman bien structuré avec des intertitres informatifs, voire incitatifs. Ce livre écrit dans un style assimilable, au fil des pages, fouette la conscience de lecteur. Usant des proverbes de son milieu, l’auteur titille la morale longuement et relativement sapée par l’entêtement, le viol, la folie de la grandeur.
Par ailleurs, ce roman devrait arborer la tenue du genre littéraire ‘‘conte’’ pour garder toute sa candeur et sa splendeur. Tel proposé au lecteur est comme forcé les amoureux des belles lettres a accepté l’inceste littéraire.
Enock GUIDJIME