Le dimanche 3 novembre 2024, les éditions Beninlivres vont publier « L’Alphabet du Vodun ». Esckil Agbo, enseignant de formation et journaliste culturel, a écrit ce texte de 77 pages, pour le théâtre. Réquisitoire contre la diabolisation du Vodun, c’est aussi un plaidoyer pour valoriser le patrimoine culturel immatériel du Bénin.
« Vous, mes ancêtres, me voici à la veille du procès. De mon procès. De notre procès. Le procès contre vous, par ma personne. Me laisseriez-vous seul face à l’ennemi qui veut nous voir à jamais disparaître ? M’abandonneriez-vous dans la geôle de vos détracteurs ! Vous avez, par vos actions intelligentes, majestueuses et magnanimes, bâti un grand peuple. Un peuple organisé, un peuple hiérarchisé, un peu civilisé. Un peuple de grandes histoires et de grandes cultures… ».
Ce personnage en quête de soutien et d’une reconnaissance du prestige culturel de l’Afrique, c’est Sossa Adan, prêtre Vodun et accusé. Ce dernier est incriminé par le pasteur David Michel, à cause de la présence d’un essaim d’abeilles perturbatrices à la Mission des enfants de Dieu sans péché. Tel est le fil rouge du drame. Le procès se déroule durant 72 heures au tribunal. Traité suivant l’heure, ce livre, un genre dramatique, comporte des didascalies dépourvues de verbe (groupe nominal).
Dans les premières heures, Sossa Adan, l’accusé, au tribunal, essuie un discours culpabilisant. Ainsi en page 26 : « Par un peloton d’abeilles, Sossa Adan, ici présent, a chassé les paisibles chrétiens de leur lieu de culte. Les insectes ont signalé leur présence dans le haut lieu du culte chrétien avec leur bourdonnement, et s’opposant au coup de bâton et de balai de l’assistance, elles ont piqué tous ceux qui y étaient présents. Des victimes de ces abeilles, pardon, des victimes de Sossa Adan, on en dénombre par dizaines, en commençant par l’église elle-même. Elle n’a plus ouvert ses portes depuis la malheureuse visite des insectes, le pasteur, forcé au chômage technique et les fidèles privés de leurs différents cultes… ».
Avec ces extraits, on note que le dramaturge met en scène une guerre entre l’Eglise et le Vodun. Mieux, un procès qui oppose les chrétiens et le prêtre Vodun.
L’Alphabet du Vodun : La quête du sens ?
Un débat houleux agite en effet le tribunal. Voyant le capital pastoral de David Michel, le pasteur et son accointance avec la justice du pays, Sossa Adan a mis son espoir sur ses divinités. Charlatanisme, sorcellerie et apologie de pratiques occultes sont les charges dressées contre le prêtre Vodun. Mais pour sa défense, à la barre, l’accusé dénonce l’excès de décibels qui provient de l’église lors du culte. Laquelle église est une parcelle qu’il a offerte au pasteur. Mieux, il s’appuie sur des données scientifiques pour confondre ses détracteurs. « Ce n’est pas ce que je dis. L’humidité, c’est ce dont je parle. Les abeilles sont attirées par l’humidité. Leur lieu de culte n’est pas une église vraiment construite, il n’y pas de murs montés, c’est un hangar qui sert d’église. Le sol n’est pas cimenté, c’est de la terre nue et rouge. Après chaque culte, c’est un sol chargé d’eau qui s’installe. », à lire à la page 41.
Le prêtre Vodun ne s’arrête pas à ce développement. Il a montré l’attirance des abeilles pour l’acacia, le robinier et la cordeline, d’ailleurs faisant office de clôture à l’église. Il va loin dans son argumentaire à la page 44 : « Les abeilles ne sont pas de nature prédatrice, elles ne sont pas en réalité agressives. Ce sont des insectes vulnérables. Elles deviennent dangereuses quand elles remarquent des menaces contre leur ruche. Et c’est ce qu’ont fait les plaignants. Au lieu de recourir à un spécialiste, qui, de façon professionnelle, s’occuperait des bestioles, ils ont choisi le balai et le bâton pour chasser les visiteuses désagréables. Les insectes ont riposté, se sont servis de leurs dards pour protéger leur ruche ».
Dans une plaidoirie auréolée d’approche scientifique, le prêtre Vodun suscite la curiosité des jurés. Sa démarche, sa maîtrise des sujets développés et l’inculture religieuse des jurés lui ont permis d’imposer sa perception.
La diabolisation du Vodun couplée de l’échec retentissant du pasteur
L’espoir du pasteur David Michel semble se dissiper peu ou prou. Comptant sur ses relations avec le procureur, le pasteur n’a cessé d’imputer le tort de la présence des abeilles au prêtre Vodun. Dans sa prise de parole, les maux de la société portent les marques du Vodun. « En tout cas, la vérité est dans notre Sauveur. C’est ce qu’ignore l’accusé. Mais avant la fin de son séjour terrestre, il viendra au Christ. Car le monde du Vodun est un monde de prédateurs, de méchants, de sorcellerie », à lire à la page 59. Les propos acerbes et clivants du pasteur ont dressé les cheveux sur la tête du prêtre Vodun. Furieux de voir le Vodun essuyer des discours haineux, le prêtre Vodun s’est découvert le talent d’historien. Il retrace la source du Vodun, démontre ses bienfaits avec une forte dose de procès contre l’implication néfaste de l’église dans l’abêtissement du peuple noir. Allons à la page 57 : « Dans leur stratégie de bouleversement de la culture des colonisés, de la croyance des peuples noirs aux fins d’installer les leurs, les missionnaires ont créé deux choses autour du vodun : la diabolisation et la peur. Monsieur le président, d’abord, ils ont converti nos dieux en diables ».
Brandissant ainsi des arguments étayés d’exemples devant les jurés, Sossa Adan a su susciter leur curiosité, cloué le bec au pasteur. Ce dernier s’est dérouté dans ses mots au fil du procès au point de rejeter finalement le nom David Michel pour aller à la source : Fadonougbo Dansi. Ce n’est qu’après cette phase de retour à la source que le désormais Fadonougbo Dansi a commencé à dresser des lauriers au Vodun.
Entre les lignes de cette pièce, les personnages sont en perpétuel débat avec eux-mêmes ou avec les autres. Sous forme de discussion, d’altercation, de contestation, de délibération. Le discours s’est mis finalement au service d’une cause qu’il faut défendre : le Vodun d’une part. D’autre part, des personnes qu’il faut influencer ou convaincre : le procureur. Et enfin, d’une situation qu’il faut changer : la diabolisation des divinités. Dans la pièce, l’auteur met face à face des individus que séparent la religion, les sentiments, les intérêts ou la situation sociale avec une dose d’intertextualité.
À la lumière des faits, il faut noter que l’auteur, dans un style simple et sans fioritures, s’est fait le porte-parole du Vodun pour partager son expérience et sa recherche scientifique sur ce Vodun. Frappant donc à la porte de la recherche scientifique sur le Vodun, l’auteur introduit, entre les lignes de l’ouvrage, à l’initiation au Vodun sans pour autant manquer de ressortir quelques aspects liés au christianisme. Aussi a-t-il donné des recettes pour le traitement de certaines maladies.
Par ailleurs, l’auteur, dans son premier livre, a pris le soin de trouver un pasteur sans notions aucune sur les religions pour permettre au prêtre Vodun de défendre le patrimoine culturel immatériel de l’Afrique.
Enock GUIDJIME