Deux principes semblent fidéliser l’individu vis-à-vis de son guide à savoir l’amour qui participe du sentiment et la crainte (à distinguer de la peur) qui participe de la raison. Ainsi, dans toute famille, dans tout groupe ou société, les êtres sont liés par ces deux axes à la personne qui les dirige ; que ce soit le père, le chef ou directeur ou encore le chef de l’Etat. Il faut souligner que cette filiation répond fondamentalement à l’instinct de survie car, il s’agit ici de pouvoir vivre sinon survivre. Cela intègre non pas seulement la résolution des cinq besoins fondamentaux de l’homme, mais une aspiration à l’élévation et donc à la réalisation de soi.
Ce qui va être curieux, c’est qu’on se rend compte qu’au fur et à mesure qu’on évolue du cocon familial vers les différents horizons sociaux ou politiques, la meilleure manière de maintenir l’individu attaché à son guide, c’est de brider ses aspirations à l’élévation, l’aliéner, bref le chosifier.
Lorsqu’on examine la situation avec le père ou globalement le parent, l’individu qui nait est généralement entouré par l’amour de ses parents de telle façon qu’ils voudraient pour lui le souverain bien : on s’occupe de ses besoins fondamentaux, on lui apprend à s’occuper de lui même et donc, on lui donne la meilleure éducation possible au regard des possibilités et des contingences. L’amour est donc là et même en abondance et lorsqu’il semble dévier, on le ramène à l’ordre par les contraintes possibles et, à chaque fois qu’il veut mal faire, il se souvient et donc craint la réaction des parents.
Lorsque cet enfant grandit et est donc éduqué, il accède à un lieu de travail où il a un ou des chefs. Il est plein de bonne volonté et peut se trouver dans un milieu où il a beaucoup d’admiration (empathie) pour ses chefs qui apprécient son travail en même temps qu’il les craint lorsqu’il commet des erreurs ou des fautes. De plus en plus, les relations fonctionnelles qui se présentent dans un lieu de travail prennent le pas sur les relations personnelles. Quoi qu’il en soit, le chef attend d’abord de lui de l’efficacité voire même une réelle allégeance surtout lorsque, lui-même, manque de qualité et a eu son fauteuil grâce à des talents contestables.
Dans le dernier cas, où on se retrouve dans un Etat, pour une large part, l’amour s’estompe. Le souverain (qu’on l’appelle Président ou Timonier) dénature ou travestit tout ce qui s’apparente à l’amour qui est un facteur variable et donc peu fiable, pour promouvoir la crainte (i.e. une peur raisonnée) qui peut se développer en tant que facteur constant. Ainsi, le souverain remplace le père, avec toutes les apparences ; il est omniprésent dans notre vie car déifié et ne se trompant jamais. Il est l’homme des infrastructures grandioses qui le magnifient tandis que toute l’histoire autour de lui est falsifiée pour mieux asseoir sa gloire. Avant lui, il n’y avait que le néant tandis qu’avec lui, nous entrons dans l’ère de paix ; évidemment une paix totalitaire où un peuple à genoux et de plus en plus misérable matériellement et psychiquement, n’attend même plus sa délivrance car sans conscience, réifié !
Cette trame développée se retrouve très bien dans un texte de Rousseau tiré du ‘’Contrat social’’ où il soulignait que la famille avait une grande similitude avec les sociétés politiques et qu’elles différaient par, d’un coté l’amour donné par la famille et de l’autre «le plaisir de commander». Or lorsque commander devient un plaisir c’est-à-dire une fin, il y a une réelle déviance et on aboutit à la question fatidique. Mais comment ces hommes d’Etat entourés d’êtres craintifs et ravalés au rang de zombies peuvent-ils être heureux et rentrer dans l’histoire ? La réponse est que l’amour est éternel mais les haines produisent des consciences tourmentées, incapables de dormir, détruisant et ainsi se détruisant. Et pourtant la solution est là : Ni l’amour ni la haine ne doivent guider un homme qui dirige ou qui commande, mais seulement et seulement, le sens du devoir car, on peut cesser d’aimer et d’être aimé, on peut ne plus être craint mais l’impérieux sens du devoir qu’anime la justice est immuable. Le grand maître Machiavel ne dit pas autre chose dans le XXVIème et dernier chapitre de son ouvrage Le Prince : « La fin justifie les moyens… à condition que cette fin soit morale. »
Maoudi Comlanvi JOHNSON, Planificateur de l’Education, Sociologue, Philosophe