Le recours à l’Intelligence Artificielle (IA) n’épargne aucun secteur d’activité. Des acteurs du système éducatif en font usage sans pour autant mesurer l’abus. A travers cette interview exclusive, Larissa Padonou, sociologue du développement et attachée des services administratifs et culturels à la bibliothèque Bénin Excellence / Fondation Vallet de Godomey, parle de l’IA et de son usage en milieu éducatif. Bonne lecture !
Educ’Action : L’Intelligence Artificielle (IA) est sur toutes les lèvres, de quoi s’agit-il ?
Larissa Padonou : L’Intelligence Artificielle (IA) désigne l’ensemble des concepts et technologies permettant de réaliser des machines capables de simuler l’intelligence humaine dans le but d’améliorer notre confort. Ceci, à travers la réalisation des tâches répétitives et des calculs complexes, impactant tous les domaines d’activités partant de l’art aux applications militaires en passant par la santé, l’agriculture, l’industrie, le commerce, l‘éducation, etc. C’est un outil qui permet à l’être humain d’accomplir plus rapidement et efficacement certaines tâches qui, réalisées manuellement, prennent beaucoup plus de temps avec des risques d’erreurs dues également à la fatigue. Nous pouvons aussi dire que c’est l’outil technologique du moment dont on ne peut plus se passer. Elle est définie, selon Marvin Lee Minsky, l’un des précurseurs de la discipline, comme « la construction de programmes informatiques qui s’adonnent à des tâches qui sont, pour l’instant, accomplies de façon plus satisfaisante par des êtres humains car, elles demandent des processus mentaux de haut niveau tels que : l’apprentissage perceptuel, l’organisation de la mémoire et le raisonnement critique ».
Quels sont les types d’IA qui existent aujourd’hui ?
Je ne suis pas spécialiste en Intelligence Artificielle, mais en faisant mes recherches dans le cadre de ma soutenance en Master 2 portant sur ‘‘Les représentations sociales associées à l’invasion de l’Intelligence Artificielle dans le quotidien des acteurs sociaux d’Abomey -Calavi’’ en 2023, j’ai découvert qu’il y a généralement trois types d’IA : la faible, l’hybride et la forte (Martínez de Pisón et al., 2017). L’IA faible ( ou étroite) toujours, selon mes recherches, décrit un algorithme développé pour effectuer une tâche spécifique, impliquant une modification du programme en conséquence dès que la demande est modifiée. L’hybride, quant à elle, combine plusieurs solutions étroites. L’IA forte propose des solutions proches de l’intelligence humaine, utilisant des réseaux de neurones et des systèmes d’apprentissage en profondeur, capables de s’adapter en fonction des situations (Arrieta, et al. 2020). Nous pouvons retenir que les systèmes et technologies sont basés sur l’électronique intervenant dans l’ensemble des champs de l’activité humaine : déplacement, apprentissage, raisonnement, socialisation, créativité, etc. En approfondissant mes recherches étant donné que je travaille dans une structure qui met à la disposition du sujet ‘‘sans grands moyens’’ une formation de qualité sur la programmation, la robotique, le machine learning, j’ai découvert qu’il y a plusieurs branches parlant d’Intelligence Artificielle. Il s’agit de l’apprentissage automatique, l’apprentissage profond, la vision par ordinateur, le traitement du langage naturel…
Depuis des années, nous constatons une baisse de niveau des apprenants sur tous les plans, dénoncée par tous les acteurs de l’éducation. Qu’en dites-vous ?
A mon avis, le problème de baisse de niveau des apprenants détériorant ainsi le terme qui qualifiait le Bénin de ‘‘quartier latin de l’Afrique’’ est dû à plusieurs facteurs. C’est normal que les acteurs de l’éducation dénoncent ce fait. Seulement, la transition du programme intermédiaire au nouveau programme s’est faite de façon un peu brusque et le processus pour réellement outiller les enseignants à bien maîtriser ce nouveau programme avant de le transmettre aux apprenants, a fait un peu défaut. Ceci étant, c’est déjà une bonne chose que nous prenions conscience de la situation depuis quelques années et que tout soit mis en œuvre aujourd’hui pour redonner réellement au Bénin son titre de ‘‘quartier Latin d’Afrique’’. A cela s’ajoute le fait que de nombreuses personnes diplômées vont à l’enseignement aujourd’hui pour ‘‘joindre les deux bouts’’ c’est-à-dire pas forcément par passion ou par vocation. L’autre chose est une baisse de garde au niveau de nombreux parents aujourd’hui absorbés par le quotidien, la recherche du mieux-être, la vie étant très chère et difficile. Pour finir, les plus concernés les enfants ont tellement de facilité aujourd’hui pour les recherches (ordinateurs, smartphones, télévision, portables, connexion …) au point où ils ne font plus l’effort personnel de recherches malgré les nombreuses bibliothèques existantes pour les accompagner dans leur processus scolaire, voire universitaire.
Selon vous, l’IA va-t-elle contribuer à accélérer ce phénomène ou le réduire ?
Je travaille à Bénin Excellence où nous offrons aux apprenants avec l’appui de la Fondation Vallet sans distinction de conditions sociales, de sexe et gratuitement, plusieurs programmes comme Elektrokids , les cours de programmation, le club d’IA et la grande Ecole d’Eté sur l’Intelligence Artificielle, une série d’activités qui permettent aux africains en général et aux Béninois en particulier de mettre fin à l’illettrisme technologique parce qu’il faut le reconnaître, jusque dans un passé récent, nous étions très en retard parlant d’avancée technologique, numérique, digitale.
Je puis vous dire, selon mes expériences, que nous pouvions constater un réel besoin et un engouement car la demande est toujours très forte justement parce que nous avons conscience qu’il nous manque quelque chose pour mieux apprendre et obtenir rapidement de bons résultats parlant de système éducatif. Car, l’IA est une innovation pour aider à mieux travailler, à faire des recherches et à trouver rapidement des solutions aux préoccupations. Seulement qu’il faut savoir s’en servir pour en bénéficier. Et ces initiatives permettent justement de corriger cet état de chose aussi bien sur le plan de l’éducation que sur beaucoup d’autres plans. De toute façon, c’est une révolution qui a envahi le monde et nous ne pouvons plus nous en passer aux risques d’être très en retard par rapport aux autres. L’IA ne permet-elle pas aujourd’hui de détecter le taux de plagiat dans nos universités ?
Comment cela va-t-il se faire ?
Juste faire l’effort de cadrer l’usage que nous faisons de l’IA parce que que nous le veuillons ou non, c’est une révolution générale et nous ne pouvons plus faire sans elle. L’IA fait désormais partie de notre quotidien.
Face à cette nouvelle révolution industrielle, quelle devrait être la posture des enseignants vis-à-vis de l’IA ?
Les enseignants ne sont plus les seuls détenteurs du savoir. Car l’information est désormais à la portée de tous et il revient à eux de s’adapter à cette nouvelle révolution qui leur sera très utile pour transmettre le savoir aux apprenants. Lesquels parfois ont de l’avance pour les plus curieux qui n’hésitent pas à faire des recherches. Les enseignants doivent, de ce fait, se mettre au pas pour ne pas passer à côté des informations actualisées dont ont certainement besoin les apprenants.
Qu’en est-il des apprenants et des parents d’élèves ?
Il est aujourd’hui important que soit régulé l’accès à la technologie aussi bien au niveau des enfants, des parents, des éducateurs, ce qui interpelle notre conscience à tous. L’utilisation de l’IA, ‘‘oui’’, mais tenons compte de l’éthique en mettant au centre le bien-être des êtres humains. C’est important pour ne pas détruire l’objectif de base de l’IA. Lequel est d’aider les hommes et les femmes amoureux et assoiffés d’une bonne éducation, des connaissances, à améliorer leurs résultats en accomplissant rapidement et efficacement des tâches qui autrefois demandaient plus d’efforts physiques, intellectuels mais avec l’obtention de résultats tardifs, parfois erronés.
Que doivent faire les gouvernants ?
Il faut dire que les gouvernants doivent aussi prendre la mesure de la situation et insérer si possible l’initiation en IA dans les écoles, les administrations. Je pense que cela a commencé avec la digitalisation dans plusieurs administrations. Ce qui permet d’éviter les longues files (temps gagné), d’éviter la corruption, d’assainir certains secteurs d’activités. Il est aussi important que les dirigeants encouragent les acteurs privés qui font d’énormes efforts dans ce sens.
Quel est votre mot de la fin ?
L’IA évolue aujourd’hui à grands pas avec nous et fait partie de notre quotidien. Nous ne pouvons donc plus nous en passer. La solution est évidemment de s’y adapter en ayant en esprit que l’homme qui l’a créée reste au centre et l’IA ne saurait le dépasser.
Propos recueillis par Enock GUIDJIME