Lorsque j’ai évoqué la nécessité d’activer notre conscience collective exacerbée en ce moment où nous nous rendons compte que l’histoire nous interpelle et invite à agir sinon à réagir, la question qu’on me pose est comment ? Il est vrai qu’une grande majorité reste dans l’expectative sinon s’occupe carrément de survivre tandis que quelques-uns sont prêts à tenter l’aventure. Mais en quoi faisant ? Ce que recherchent quelques convaincus mais désabusés, ce n’est ni vraiment la démarche ni la méthode mais mieux encore le mécanisme.
Plusieurs signaux évidents nous ont montré que nous vivons dans un monde où on nous spolie et nous manipule. Les mensonges sont de plus en plus grossiers et il nous appartient de réagir dans un contexte où nous avions peu de marges de manœuvre ; les ressorts économiques et commerciaux étant généralement ailleurs.
Notre conscience collective a d’abord besoin d’un ensemble d’élites pour la diriger : qu’ils soient de toutes les corporations (politiciens, universitaires, intellectuels divers et entrepreneurs). En réalité, il ne s’agit pas de créer un cercle vertueux, c’est-à-dire qu’il ne faudrait pas rêver de se retrouver avec un groupe d’hommes honnêtes et désintéressés. Non. Dans un contexte où nous ne sommes même pas dans un cercle vicieux mais vicié surtout par des facteurs exogènes, il s’agit de promouvoir des groupes qui regardent dans la même direction avec le but de changer les choses. C’est donc d’un cercle victorieux mis en place par des gens de pouvoir dont nous avons besoin. Il s’agit de créer des cercles de réflexion et d’action. Il en existe mais ils se fatiguent et se satanisent dans les stratégies politiques de prise et de maintien au pouvoir, tandis que les universitaires insistent sur la forme que le fond, citant abondamment sans aucune pensée autonome. Or dans beaucoup de pays occidentaux comme les USA, ce sont les théoriciens universitaires ou les intellectuels qui promeuvent l’orientation idéologique et sociale.
Ensuite, cette conscience collective a aussi besoin de repères. Ceci nous manque énormément ! Regardez à quel point les théories de Karl Marx ont marqué le monde au point d’être encore aujourd’hui l’auteur banni dans certaines grandes démocraties car, ayant décrit l’envers du capitalisme et de la religion. Imaginez l’impact d’un livre comme « éthique protestante et esprit du capitalisme » de Max WEBER qui a légitimé le capitalisme.
Quels documents traduisent notre vision ou nos valeurs ! Nous citons nos valeureux ancêtres Béhanzin, Bio Guerra et Kaba. Mais, il n’y a pas, en réalité une littérature affirmée, abondante et efficace qui peut se monnayer, en pensée, en roman, en manuels autour d’eux. Le mot est là ! Nous n’avions pas d’histoire. Nous avions des histoires qui en chasse d’autres et nous nous gardons de les écrire et de leur donner leur dimension. De la colonisation à l’indépendance ; de l’indépendance à la démocratie etc. Le 26 octobre n’existe plus autant que la conférence nationale que nous avions inventée ! Il y a eu des péripéties alternant le bon et le mauvais ; mais il faut écrire et enseigner tout cela pour grandir. Regardez par exemple notre culture autour du vodù. Je m’étonne que jusqu’ici, de la même manière qu’il a été écrit des livres saints, pourquoi les intellectuels et les vodouisants ne promeuvent pas un livre de base lié au vodù en explorant plus en avant et associant les connaissances spirituelles au nord du Bénin. Ce sera un livre définissant le permis et le défendu ; les préceptes moraux, culturels et cultuels. Il nous faudra fonder des références qui seront le socle de notre éducation. La voie est toute tracée pour les intellectuels.
La grande difficulté est d’intéresser le politique à cet état de choses. Il vit dans tellement de contingences et de paramètres. En même temps, les soubresauts révolutionnaires dans plusieurs pays africains doivent inviter à réfléchir et surtout aider les élites à regarder vers une cause commune. Le rôle de l’Etat, c’est de promouvoir ces élites et ceux qui auront comme projet de nous donner une histoire, c’est-à-dire une existence autonome. On ajoutera la création des think thank dédiés au Bénin de demain avec des gens qui vont réfléchir en cassant le plafond de verre qui nous emprisonne. Ne vous méprenez pas ; ce n’est pas d’une révolution qu’il s’agit. Ce que nous voulons faire prendra un peu de temps. L’important, c’est de commencer.
Maoudi Comlanvi JOHNSON, Planificateur de l’Education, Sociologue, Philosophe
