Patrimoine vodun : le sacré ose la scène pour se révéler

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Autrefois jalousement gardés dans les couvents vodun, les danses rituelles béninoises résonnent désormais sur les scènes internationales. Derrière cette audacieuse migration du sacré vers le spectacle, se cache une quête de survie d’un patrimoine immatériel confronté à l’impératif de la transmission.  

A l’espace Yanzo à Cotonou, en cette soirée du 29 avril 2025, dédiée à la Journée Internationale de la Danse, ce n’est pas un ballet classique qui captive l’audience, mais une danse du couvent vodun Sakpata. Le Bénin, berceau du vodun, fait face au défi de préservation et de valorisation d’un héritage spirituel dans un monde en pleine mutation.

Marcel Zounon, directeur honoraire de l’Ensemble Artistique National

Marcel Zounon, le directeur honoraire de l’Ensemble Artistique National du Bénin et président de la compagnie de danse Towara, est l’un des artisans de la transition délicate des danses du couvent vers la scène publique. « Nous avons dû mener de longues négociations avec les gardiens du temple pour obtenir l’autorisation d’exécuter certaines danses de couvents sur scène », confie l’expert béninois en patrimoine culturel immatériel accrédité auprès de l’UENSCO. Malgré leur richesse intrinsèque, précise Marcel Zounon, ces danses restaient inaccessibles au grand public parce que enfermées dans un calendrier spirituel strict et des sorties rituelles espacées. Les compagnies de danse sont devenues donc des passeurs culturels de la transmission de cette richesse patrimoniale auprès du grand public.

Léon Hounyè alias Sakpata Zogbo

Aujourd’hui, de plus en plus de compagnies intègrent dans leurs spectacles des danses inspirées du vodun. Pour autant, cela ne signifie pas que tout est permis. Certains secrets restent jalousement gardés. Le professionnalisme en danse rituelle exige une maîtrise qui ne souffre pas d’improvisation ou de perte de contrôle. D’ailleurs, les artistes eux-mêmes ne prennent pas cela à la légère.

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Léon Hounyè, de son nom de scène Sakpata Zogbo, danseur spécialisé dans les danses vodun Sakpata, Hêbiosso, Yaoîtcha, etc., renseigne : « Nous ne faisons qu’une réadaptation sur scène. Nous, en tant que danseur, ne pouvons pas nous mettre en transe. Nous avons des limites et nous connaissons les limites à ne pas franchir. »

Le débat entre profanation ou sauvegarde

Cette ouverture des danses vodun vers la scène publique ne fait toujours pas l’unanimité. Si certains chefs traditionnels saluent cette initiative comme un travail de transmission salutaire, d’autres y voient une profanation, une trahison des secrets ancestraux. Marcel Zounon le reconnaît : « Certains dignitaires estiment que nous violons les secrets ancestraux. Mais d’autres comprennent que notre action complète la leur. »

Le danseur Léon Hounyè qui a subi, à ses débuts de carrière, la fougue des dignitaires intransigeants sur la transition des danses vodun vers la scène publique, raconte : « Nous sommes parfois tentés pendant des représentations. Il m’est arrivé de sentir des attaques mystiques sur scène. Si je ne m’étais pas préparé, j’allais me faire avoir. »

Hounnon Béhumbéza, président national et chef spirituel suprême du Haut Conseil National de Vodun Mami-Dan du Bénin

Hounnon Béhumbéza, le président national et chef spirituel suprême du Haut Conseil National de Vodun Mami-Dan du Bénin, et membre du Comité des Rites Vodun du Bénin, apporte un éclairage crucial. Pour ce haut dignitaire des valeurs ancestrales, rencontré en plein conclave du Comité des Rites Vodun du Bénin, le 26 mai 2025, à Grand-Popo, cette évolution est perçue positivement. « C’est une très bonne chose, parce que ce que les compagnies de danse exposent, c’est l’aspect culturel. En passant par le culturel, ils mettent en valeur le cultuel qui est censé rester dans le couvent. » La mise en scène actuelle est donc, selon ce haut dignitaire, membre du Comité du Musée International Vodun du Bénin, un moyen de faire revenir ces expressions à leur source et de les valoriser.

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Toutefois, Hounnon Béhumbéza martèle qu’il existe des gestes, des pas, des chants qui sont intransmissibles en dehors du couvent et de l’initiation. « Il faut nécessairement être un initié d’abord. Quand on n’est pas un initié, ce serait difficile de pouvoir le faire. » Il met également en garde contre les dérives : « Il y a des chansons qui ne devraient pas être exposées à la place publique parce qu’elles portent de lourdes charges avec des conséquences. » Ces avertissements rappellent les risques pour les danseurs non préparés, qui peuvent ramasser des peaux cassées si les protocoles sacrés ne sont pas respectés.

L’urgence patrimoniale pour une légitimation

L’ouverture des danses rituelles à l’espace artistique n’est pas seulement une affaire de valorisation culturelle, mais aussi d’une urgence patrimoniale. Dans un monde globalisé, la tentation pour les jeunes de se détourner de leurs racines est forte.

« Notre travail prolonge le savoir et le savoir-faire des anciens. Il aide à transmettre, à comprendre et à valoriser ce que nous sommes », insiste Marcel Zounon.

L’État béninois a donné un coup de pouce majeur à cette légitimation avec l’organisation des Vodun Days, un événement d’envergure internationale qui valorise les expressions culturelles issues des pratiques ancestrales. Il a permis de démystifier le vodun, autrefois source de peur et d’incompréhension et de le présenter comme une philosophie, un art, une spiritualité.

Edouard KATCHIKPE

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