Dans cette fable douce-amère, l’auteur imagine tout un foyer béninois désireux de soutenir le bachelier, et le désarroi quand celui-ci échoue. Alors, quelle attitude l’entourage et la collectivité doivent-ils avoir par rapport au héros qui n’a pas encore réussi et comment lui donner une seconde chance ?
Je suis allé au BAC ! Dans ma maison, tout le monde passait l’examen en même temps! Ma femme aussi. Malgré notre grand âge, nous y avions accompagné tous nos enfants et même la petite servante était de la partie. En réalité, pour nous donner plus de chance, c’est notre aîné qui y est allé. Comme dans un championnat de boxe, c’était notre poulain. Nous l’avions préparé en conséquence.
Vous avez compris : mon fils est allé au BAC et pendant toute une année, toute la famille s’est mobilisée derrière lui, le chouchoutant et créant toutes les conditions pour sa réussite. Moi, son père qui n’ai pas eu la chance d’atteindre ce niveau à l’école, j’allais droit au but après mes travaux de menuiserie. Je revenais à la maison voir si notre champion avait bien mangé, s’il se sentait bien, si sa natte était confortable. Et surtout, il n’avait plus rien à faire qu’étudier.
Repu, il se retirait dans la chambre qu’il partageait avec ses autres frères qui le laissaient seul pour travailler. Plus tard, on le retrouvait devant tel cahier, dormant du sommeil du juste ou plutôt de celui qui avait fait un très bon repas ? La vie de notre modeste maison continuait ainsi, avec tous nos souhaits et soutiens concentrés sur un seul homme : on se réveillait tôt avec lui, on lui apprêtait ses vêtements, il mangeait et j’allais le déposer à l’école.
Que faire encore ? Et quel a été le résultat ?
Mon poulain a chuté.
Il n’a pas eu le précieux parchemin que tous attendaient. Que faire maintenant ? J’avais des envies de meurtre ! Pourquoi avait-il échoué là où la nature a été particulièrement clémente pour ce BAC ? C’est vrai que je n’avais pas eu le temps d’aller consulter les ancêtres au village car notre pasteur nous avait donné une huile sainte composé d’ingrédients venus de la terre sainte. Il me semblait que nous étions la risée du quartier. On nous regardait de travers. Chacun s’évertuait à poser l’éternelle question : ton fils a-t-il été reçu ? Que répondre à tous ?
Je revenais chaque soir avec une colère qui grandissait en moi au lieu de diminuer. Je mangeais sans appétit dans une maison qui semblait en deuil. Le vaurien se terrait : je ne le rencontrais plus sur mon chemin. Ma femme seule semblait égale à elle-même, continuant à porter le poids du foyer. Ce garçon en qui j’avais mis tout mon espoir pour nous sortir des trois pièces de la maison commune que nous louons, m’a trahi. Va-t-on en prison pour un meurtre nécessaire et familial ? La question me taraudait !
Mais que faire ? Dites-moi ! Quelques jours plus tard, il revint me voir très tôt le matin pour me prier de lui pardonner son échec ; il souhaitait, selon mon vœu, soit continuer soit apprendre un métier. Il était prêt à venir m’aider à la menuiserie. Je soupçonnais sa maman d’être derrière cette démarche. Je ne répondis rien, me contentant de hocher la tête devant un enfant que je trouvais amaigri et moralement anéanti. Je me surpris à considérer avec compassion la chair de ma chair qui était dans cet état. Je compris que si moi, je m’apitoyais sur mon soi-disant honneur perdu et mes rêves de grandeur par procuration, lui vivait un bouleversement intérieur plus puissant pour des épaules si frêles qui viennent de connaitre non pas une bataille mais la première et la seule guerre à laquelle il semblait tenir.
Je lui répondis calmement de partir et qu’on verrait tout cela après. J’appelai sa mère aussitôt et lui demandai de s’occuper de son fils qu’on allait envoyer passer quelques jours chez mon jeune frère plus lettré qui avait compris et demandé à l’abriter pendant quelque temps.
Partout autour de nous, on s’apprêtait à fêter les vainqueurs, à citer les premiers et à chercher comment les caser. Ce que je ne comprends pas, c’est que la société ne prévoit rien pour ceux qui ont échoué. Pas d’orientation, pas d’opportunités, pas de cursus adaptés pour vite rebondir et ils n’ont qu’une solution : reprendre, redoubler, se cacher en attendant qu’on finisse de célébrer ce qui partiront bientôt grossir le rang des universités aux savoirs inutiles pour la plupart. Quand allons-nous nous occuper de nos enfants et de tous nos enfants en les envoyant dans chaque contrée pour développer le pays : à l’école, au champ, dans les ateliers ; partout, surtout et sans en oublier un seul !
N.P
Maoudi Comlanvi JOHNSON, Planificateur de l’Education, Sociologue, Philosophe