Mohamed Abdillahi Bahdon, est doctorant en sociologie de l’éducation à l’Université de Murcie, Espagne. Intellectuel préoccupé par l’éducation en Afrique et particulièrement en République de Djibouti sa terre natale, il partage avec les lecteurs de Educ’Action, une réflexion sur le nouveau concept en vogue dans son pays, l’Ecole d’Excellence de Djibouti (EED). Compte tenu de la longueur et de la pertinence de cette réflexion, nous allons la diffuser sur deux publications afin d’en faciliter l’appropriation.
Depuis la grande réforme en 1999 (1), l’éducation est devenue un laboratoire de réflexion. Au cours de l’année, des colloques séminaires, de journées, des rencontres… sont organisés où se retrouvent les membres du gouvernement, du parlement, des enseignants, des représentants des organisations internationales et des ambassadeurs. Il n’y a jamais eu autant de colloques et de rencontres dans le secteur de l’éducation depuis l’indépendance du pays. Est-ce une prise de conscience des dirigeants.es et responsables du ministère de l’éducation de l’importance de l’enseignement ? Plus que des résultats concrets, on assiste à des mises en scène où l’enjeu est de produire des discours sur l’enseignement-apprentissage et une certaine autoflagellation. Ainsi comme affirme le Président de la République «… beaucoup a été fait depuis les Etats Généraux ; tout d’abord en nous débarrassant d’une école élitiste héritée de l’époque coloniale, mais aussi en termes d’accès, d’équité ou d’amélioration des conditions de travail.» (2) L’école, qu’il pense ou qu’il souhaite – il faut toujours faire la différence entre la pensée et le souhait de l’action politique – est une école populaire, ouverte à tous, qui intègre tous les enfants du pays.epuis quelques années, en République de Djibouti, la rentrée scolaire est toujours marquée par un thème, qui fait l’objet du discours du ministre de l’Education Nationale. La rentrée de 2017-2018 est marquée par l’ouverture d’une toute nouvelle école. Différente de celles qui existent par le nombre d’élèves et par le but poursuivi : l’excellence. Ce n’est plus la qualité qu’on recherche, mais l’excellence. Pour atteindre ce but, il a été créé l’Ecole d’Excellence de Djibouti (EED) et inaugurée en septembre 2017.
Ce changement nous conduit à réfléchir d’abord dans un premier temps sur concept d’excellence, dans un deuxième temps les objectifs poursuivis par les autorités du ministère et dans troisième temps d’analyser les modalités de sélection des élèves, qui étudient dans cette école.
Peut-on passer en peu de temps de la qualité à l’excellence ? Ne faut-il pas, en premier lieu, faire une évaluation sur la qualité et l’efficience du système éducatif ?
De la qualité à l’excellence : un chemin à parcourir
Dans un système scolaire, il y a plusieurs priorités, qui apparaissent en ordre d’importance et en moyens financiers et humains disponibles pour les atteindre. Cela nous amène à une évolution par périodes.
Après l’indépendance, on peut affirmer que la principale priorité du gouvernement était de continuer la voie tracée par la puissance coloniale : consolider l’héritage colonial, c’est-à-dire conserver un système éducatif au lieu de le contester et d’entreprendre un système d’enseignement nouveaux. Cette consolidation s’est d’abord manifestée par le maintien de la langue officielle, le français et par la scolarisation d’un grand nombre d’enfants en âge scolaire. Mais cela devrait conduire à l’adoption d’une politique éducative corrigeant la conception de l’enseignement et les inégalités de la scolarisation contrôlée du pouvoir colonial. On peut donc dire qu’il y a eu un développement quantitatif de la scolarisation. Autrement dit tous les enfants devraient être scolarisés pour atteindre un taux brut de scolarité de la population en âge scolaire. Ce relèvement ne se fait pas uniquement par la création des écoles, mais aussi par des politiques sociales, des compagnes d’information et de communication avec les familles, les autorités locales, les autorités traditionnelles en utilisant des systèmes d’information adaptés à une société encore traditionnelle. Les nouvelles devraient encourager l’importance de scolariser les enfants.
Ensuite, et suivant les questions qui surgissent, vient la recherche de la qualité des enseignements reçus par les élèves. Parce que le développement quantitatif de la scolarisation primaire ne peut donc pas se réaliser au détriment de l’aspect qualitatif. Mais cette question est liée à d’autres et en particulier à la formation du personnel enseignant, de direction des établissements, de la participation des parents d’élèves et des syndicats d’enseignants et de la reconnaissance de l’apport de l’enseignement privé, laïque ou religieux. Suivant le régime politique adopté par les dirigeants le jour de l’indépendance, l’enseignement ne pourrait être un monopole (3) de l’Etat.
Enfin il faut penser un système d’enseignement, qui forme des citoyens, qui valorise les valeurs culturelles et sociales de la société djiboutienne et adapté au développement du pays. Enseigner ces valeurs ne veut pas dire s’enfermer, mais s’approprier un système, laissé par le régime colonial, en l’adoptant aux valeurs de la société.
Pour arriver à ces objectifs, il faut avoir une prise de conscience de la part des dirigeants politique du pays, mais aussi des acteurs de la société civile et des rôles du système éducatif. L’enseignement ne peut être laissé dans les luttes des membres de l’élite politique nationale. Une telle prise conduit forcément à un mot tant utilisé dans tous les discours à tel point qu’il a perdu son sens : la réforme.
Depuis l’indépendance du pays en juin 1977, il n’y a eu qu’une réforme (4) : celle de 1999. Elle a été décidée par le deuxième Président du pays, Ismaël Omar Guelleh. A la réforme, nous opposons ce qu’on appelle les réformettes. Un changement de livres de lecture ou une méthode d’apprentissage ne constituent pas à notre avis une réforme, mais plutôt des changements ponctuels, qui s’imposent aux responsables du ministère de tutelle. Ce sont des changements qui n’engagent pas des dépenses énormes.
L’ancienne ministre de l’Education nationale, Mme Nimo Boulhan Houssein (2016), évoque dans son livre, Regard(s) sur l’école djiboutienne, de 1977 à nos jours, une histoire en marche, des réformes, celles des années 1989 et de 1999. L’éducation a été un thème de sa compagne électorale pour les élections d’avril 1999 et depuis elle est présente. Qu’est-ce que l’excellence ? Selon la définition du dictionnaire Larousse, c’est le « degré de perfection qu’une personne, une chose, a en son genre. » Une personne excellente se démarque donc du reste par sa perfection dans un domaine et qui se manifeste par les résultats aux épreuves qu’elle subit durant son parcours scolaire, universitaire et du monde de travail.
Depuis la rentrée 2000/2001, la scolarisation des enfants est une préoccupation du gouvernement du moins au niveau du discours. Selon les statistiques du ministère de l’éducation nationale; elle a fortement progressé. Tant le taux de scolarisation, très bas dans les années 1990 par rapport à d’autres pays africains comme les taux de réussite, du nombre d’élèves d’une génération arrivant au bac ont atteint des pourcentages proches de 80%, et le taux de redoublement en primaire a baissé selon les chiffres officiels donnés par le gouvernement. Réformer le système éducatif fut un objectif important pour le programme du second président de la république, élu en avril 1999. Or le monde de l’enseignement évoque la dégradation de l’éducation publique, les inégalités croissantes dans la population scolaire, une gestion catastrophique du ministère, l’absence d’un dialogue avec les représentants du personnel enseignant, le retard de salaire… En fait, les résultats de cette réforme sont très mitigés. Khadim Sylla (2004 :32) affirme que « le curriculum (…) ne doit-il pas refléter les préoccupations essentielles des sociétés africaines. » Le nouveau curriculum, adopté après cette réforme, ne reflète pas les préoccupations de la société djiboutienne sur le plan culturel, économique, politique, social… Les langues vernaculaires et les cultures du peuple djiboutien ne sont pas valorisées et enseignées comme matières sinon elles sont juste utilisées pour un cours sur poésie et chanson. La géographie nationale (connaître son pays) et les sciences sociales (avoir une idée des réalités socioéconomiques de son peuple et de son pays) ne sont pas sérieusement enseignées. Or ce sont des thèmes que les écoliers.es vivent au quotidien. Donc certaines réformes constituent un problème suivant l’affirmation de Khadim Sylla (2004 :73) : « l’état préoccupant de l’éducation en Afrique est le résultat d’une série de réformes qui ont en commun un certain nombre de caractéristiques. »
L’adoption des réformes dans les secteurs est devenue un acte banal dans la politique africaine. A chaque crise, le mot réforme dans tous les discours, est présenté comme la panacée aux problèmes humains, économiques et structurels d’un secteur. Le plus souvent il n’y a jamais de bilan de la réforme. Les célébrations des réformes, faites par les gouvernements, sont des satisfactions. A aucun moment on se remet en question par exemple les objectifs poursuivis ou comment les moyens ont été utilisés. Les bilans faits quelques années ont donné lieu à des satisfactions pour les dirigeants politiques, à commencer par le Président de la République. Or pour le corps enseignants et les acteurs de la société civile, on assiste plutôt à une dégradation du niveau scolaire des élèves. Dès lors on devrait se poser la question de l’efficacité (5) des changements pédagogiques et sur d’autres aspects sociaux. On l’évite. Or suivant les propos de Khadim Sylla (2004 :73), « pour être profonde et efficace, une réforme doit déboucher sur des transformations majeures de la société et du système éducatif. »
En fait l’idée de cette école est résultat d’un colloque national de l’enseignement-apprentissage, qui a eu lieu le 16 décembre 2016. Le Président de la République mettait l’accent sur une « réflexion sur l’évolution de notre école, sur ses critères de performances et sur son adéquation avec les valeurs de notre société ».