Ils se dénombrent par milliers, ces prisonniers de nos regards, regards qui mitraillent systématiquement toutes les personnes vivant avec le VIH/SIDA et qui les enterrent avant même que la maladie ne décide d’en finir avec eux. Depuis son apparition dans les années 80, le sida a provoqué des réactions d’effroi, de reniement, de stigmatisation et de discrimination, qui sont le plus souvent orientées contre les cibles à fortes prévalences que sont les consommateurs de drogues injectables (CDI), les hommes ayant les rapports sexuels avec des hommes (HSH), les travailleuses de sexes (TS), etc. De plus en plus, il est fréquent que les personnes vivant avec le VIH soient rejetées par leurs proches et leurs communautés, endurent des inégalités de traitement sur leur lieu de travail et se voient refuser l’accès à l’éducation et à la santé, etc. La stigmatisation liée au sida se manifeste sous plusieurs formes, du rejet à l’isolement en passant par l’humiliation et dans un silence coupable et complaisant, nous y contribuons hélas ! Les personnes vivant avec le VIH restent malheureusement tributaires de rudes épreuves d’ostracisme, de jugements de valeurs, en plus du fardeau quotidien de leur vécu physique et psychologique. Si en trois décennies de combat acharné contre la pandémie, le monde en est encore à des résultats mitigés, c’est en partie dû à la persistance de la stigmatisation et de la discrimination à l’égard des personnes infectées. Cette violation ignominieuse des droits fondamentaux de la personne humaine renforce le voile de silence qui enveloppe la maladie, paralysant ainsi les efforts de prévention et de prise en charge. Nombreux sont ceux qui, par crainte de la ségrégation, préfèrent renoncer à un traitement ou dissimuler leur sérologie VIH. On comprend donc aisément que, dans ces conditions, il soit extrêmement difficile d’assurer la prévention de la maladie et d’en maîtriser la propagation. Plusieurs études au niveau international ont révélé les dégâts liés à la discrimination ; dégâts caractérisés par la précarité de la condition psychique, sociale et économique des PVVIH et des personnes affectées, en dépit de l’existence de lois répressives ; la désintégration des équilibres et liens sociaux, familiaux et autres, la perte de l’autorité parentale des PVVIH au sein de la famille ; l’expulsion des femmes de leur foyer, leur bastonnade et humiliation, le refus de la population d’adhérer aux campagnes de dépistage volontaire, la dégradation physiologique et physique du malade ; l’émergence et la complication des maladies opportunistes ; l’émergence de la résistance du virus aux ARV ; le refus d’adhérer aux associations des PVVIH ; le développement d’un complexe d’infériorité ; et les pires, le suicide résultant de la persécution morale et sociale suivi de son corollaire qu’est le décès prématuré de nombreux PVVIH. Le tableau que présente la stigmatisation est parfois sinon bien souvent pire au virus lui-même. Eliminer la stigmatisation et la discrimination à l’égard des personnes et des groupes marginalisés qui sont affectés par le sida devient, de facto, une priorité aussi importante que la mise au point d’un vaccin contre la maladie. La réduction de la stigmatisation doit systématiquement faire l’objet des politiques et programmes publiques et entrer dans les pratiques d’éducation. Ce lourd fardeau affectif que les générations se transmettent tel un relais est attentatoire à l’efficacité de la lutte contre la pandémie. Il est donc temps que nous libérions immédiatement tous ces prisonniers de nos jugements moralisateurs, ces hommes et femmes que nous détenons dans les cachots de l’ignorance, de l’intolérance, du rejet et de l’exclusion. La stigmatisation et la discrimination liées au sida restent des obstacles majeurs à une lutte efficace contre l’épidémie. L’éducation de notre société à la tolérance, à l’accompagnement et à l’acceptation d’une cohabitation responsable et assistante aux personnes vivant avec le VIH devrait être une réponse efficace pour freiner la propagation de l’épidémie et réduire ses effets et les graves conséquences socio-économiques y afférentes. Libérez donc les prisonniers immédiatement….au risque même d’en devenir un !
Ulrich Vital AHOTONDJI