La Covid-19 a replacé la recherche scientifique au cœur de toutes les préoccupations mondiales. Au quatre coins du monde, les chercheurs ont rivalisé d’ingéniosité pour proposer des solutions idoines pour faire face à cette pandémie. Le cœur de cette ingéniosité, c’est la circulation du savoir qui est rendue possible par les revues scientifiques. Le problème, d’une part, la publication dans ces revues est onéreuse alors qu’internet facilite la diffusion du savoir et, d’autre part, les chercheurs sont payés par les Etats. Ils travaillent dans des institutions publiques, et les recherches publiées sont très majoritairement issues des financements publics. C’est l’une des raisons qui justifie le développement des publications scientifiques en libre accès. Après Wikipédia, l’encyclopédie qui sait tout, cette deuxième publication de votre journal spécialisé plonge les lecteurs dans l’histoire et fait le point du mouvement du libre accès.
Il y a de cela quelques jours, les communautés scientifiques des pays membres du Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (CAMES) découvrent les noms des enseignants inscrits sur les listes d’aptitudes de l’institution. Ce qui est le signe de leur évolution en grades académiques. Au Bénin, l’Université d’Abomey-Calavi (UAC) totalise cent huit (108) avancements en grade dont trente-sept (37) au grade de Professeur titulaire. Tout cela est rendu possible grâce aux nombreuses heures passées à enseigner dans les amphithéâtres, aux travaux des étudiants qui sont encadrés, et surtout grâce aux publications dans diverses revues scientifiques à travers le monde. Revues qui sont, elles-mêmes, la propriété de divers éditeurs : bienvenu dans le monde de l’édition scientifique. Comprendre le fonctionnement de ces éditeurs scientifiques et leur business modèle, est une autre paire de manche.
Un business modèle de génie !
C’est une histoire que nos confrères, enquêteur set data-journalistes, de l’émission Datagueule, diffusée sur France 4, racontent mieux, données à l’appui. Voici en quelques mots ce qu’ils révèlent dans leur émission n°63, diffusée il y a quatre (04) ans et intitulée ‘’Privés de savoir’’ : «Demandez [Les éditeurs] à des chercheurs de vous envoyer leurs travaux. Faites relire ces travaux par d’autres chercheurs, si possible sans les payer. Dans ces travaux, ne gardez que les articles les mieux notés et faites-en des journaux [revues scientifiques, ndr]. Ensuite, vendez ces journaux aux universités où travaillent les chercheurs qui vous ont envoyé gratuitement leurs travaux. Un business modèle de génie !» C’est le modèle économique qui permet à Elsevier, le n°1 mondial de l’édition scientifique, de faire 34% de marge, une rentabilité quatre (04) fois supérieure aux autres éditeurs de la bourse de Londres. Il possède 16% des revues scientifiques publiées dans le monde. Avec les autres revues dominantes du secteur, les éditeurs détiennent 40% de la part de marché et ils font 7,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires par an, soit 4. 985. 600. 000. 000 FCFA. Ce qui équivaut à deux (02) fois le budget du Bénin pour l’année 2021 voté au montant de 2 452 192 000 000 FCFA.
Comme l’explique Brice Boris Lègba, chercheur à l’Unité de Recherche en Microbiologie Appliquée et Pharmacologie des Substances Naturelles (URMAPha) de l’UAC, cela repose sur la monétisation de l’information scientifique : «Il s’agit d’un modèle économique qui impose parfois de payer pour avoir accès à une information scientifique de ‘’qualité’’, ou supposée de qualité».
L’Afrique y a certainement une part marginale, vu le peu de moyens dont disposent nos chercheurs et universitaires qui sont dans des luttes permanentes pour l’amélioration de leurs salaires. Cela dit, ce business modèle repose sur la « privatisation du savoir», comme le disent si bien nos confrères de France 4. En effet, la majorité des recherches publiées dans ces revues privées est issuesdu financement public, est faite dans des institutions publiques, par des scientifiques payés au frais du contribuable. Même si le financement public de la recherche en Afrique est encore une autre paire de manche, il n’en demeure pas moins que quelque chose se fait.
La situation inquiétante au vu de l’appétit des maisons d’édition et l’éclosion d’internet qui facilite la diffusion de l’information ont tôt fait de convaincre les chercheurs de trouver d’autres pistes de solutions pour diffuser le savoir qu’ils construisent à la sueur de leurs fronts.
Libre accès à la connaissance
«Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée». Cette citation de René Descartes trouve tout son sens dans la philosophie du libre accès aux connaissances. En effet, dans ‘’Qu’est-ce que l’accès ouvert ?’’ , Peter Suber soutient que «l’idée de base de l’accès ouvert est simple : faire en sorte que la littérature scientifique soit disponible en ligne sans barrières liées au prix et sans la plupart des contraintes dues à des autorisations». Ce mouvement du libre accès est né dans la deuxième moitié du XXième siècle avec l’avènement des premières bibliothèques numériques. Il prend son envol avec l’initiative de Budapest dénommée Open Access Initiative, diffusée le 14 février 2002 et signée à ce jour par 6141 personnes et 976 institutions. Le seul citoyen béninois qui y figure est Ismail Lawani, de l’Université d’Abomey-Calavi.
L’un mit dans l’autre, la «privatisation du savoir» par les éditeurs scientifiques et l’appel au libre accès des connaissances bousculent les habitudes des institutions académiques, notamment occidentales. Ainsi, de nombreux Etats obligent les universités à revoir leurs copies en matière de financement des publications dans ces revues. La plupart des financements et abonnements aux revues payantes sont revus à la baisse avec des clauses dans les contrats, indiquant le libre accès aux articles publiés par des chercheurs du secteur public après quelques mois. De nombreuses revues ont donc été créées et garantissent un libre accès leurs contenus.
Les revues scientifiques en libre accès
«Internet a donné une dimension plus élargie à la notion du libre. Dans le domaine de l’enseignement et de la formation, les connaissances libres se caractérisent par deux ressources principales : les Ressources Educatives Libres (REL) et les Archives Ouvertes.» C’est une information que nous porte Brice Boris Lègba, exerçant aussi en qualité de chercheur au laboratoire de Biologie et de Typage en Microbiologie (LBTMM) de l’UAC.
Ainsi, à part celles existantes, de nombreuses initiatives naissent et des revues sont éditées pour recevoir les publications des chercheurs et les faire connaître. Les universités et des institutions étatiques incitent fortement leurs chercheurs à publier dans ces revues pour alimenter la connaissance mondiale.
En 2018 par exemple, trois mille (3.000) chercheurs en intelligence artificielle ont signé une pétition, renonçant à publier leurs travaux dans Nature Machine Intelligence de l’éditeur scientifique Nature Research, dont l’accès aux publications est payant, préférant publier leurs articles sur le site arxiv.org. En France, les archives ouvertes HAL qui regroupent de nombreux organismes de recherche et universités ont accueilli 435.951 documents en 2016. En 2024, l’accessibilité gratuite devra être donnée pour toutes les publications financées en Suisse par des fonds publics, a exigé le Fonds National Suisse de Recherche Scientifique. Des initiatives existent aussi en Afrique et au Bénin pour la publication scientifique en libre accès. Nous y reviendrons.
Adjéi KPONON