Marcel Zounon, directeur de la compagnie Towara : « Nous avons désacralisé les danses vodun pour les réinventer sur scène »

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Fondateur de la compagnie de danse Towara, Marcel Zounon renseigne sur le processus de recréation des danses vodun sacrées au sein des troupes de danses patrimoniales au Bénin. Il évoque les négociations parfois délicates avec les gardiens de la tradition, l’évolution des perceptions et l’impact de cette ouverture sur le patrimoine culturel béninois. Interview !

Educ’Action : Quelles sont les danses issues des couvents vodun que vous exécutez aujourd’hui au sein des compagnies ?

Marcel Zounon : Toutes les danses vodun qui font l’objet d’une présentation publique par les adeptes (vodounsi) tombent dans le domaine public après dix ans et peuvent être revisitées par les troupes de danse. Il y a toutefois quelques exceptions, comme la danse des masques Abikou, celle des masques Egoun goun, des masques Gounouko. La danse Atchina n’est exécutée que par la compagnie Towara pour le moment. En dehors de ces exceptions, toutes les danses rituelles exécutées publiquement sont aujourd’hui récréées par les groupes artistiques.

Ces danses étant considérées comme sacrées, comment les négociations ont-elles été menées avec les gardiens de la tradition pour les rendre accessibles à la scène publique ?

Certaines danses ont nécessité de longues négociations, comme la danse Yaoïtcha (la danse du feu). Autrefois réservée à un seul danseur porteur d’un canari enflammé pour purifier le village, cette danse est aujourd’hui interprétée par plusieurs danseurs et est devenue un spectacle. Au départ, les dignitaires vodun étaient réticents. Mais nous leur avons expliqué que chaque adepte a son propre costume et ses attributs, ce qui est personnel et inaliénable. Dans les compagnies artistiques, les costumes sont recréés collectivement.
Lors des premières éditions des Vodun Days, le ministre de la Culture m’a sollicité pour sensibiliser les dignitaires vodun à collaborer avec les organisateurs. Cela n’a pas toujours été facile. Lors d’une réunion, une prêtresse Sakpata m’a interpellé sur la danse Sakpata. Nous lui avons expliqué notre démarche, celle de distinguer le rituel du domaine artistique. Les dignitaires gardent la responsabilité des rituels et cérémonies, tandis que les chants, danses et musiques présentés en public peuvent être recréés artistiquement.
Certains pionniers comme les groupes Génie Noir, Super Ange Houndonaboua et Towara ont ouvert la voie. Aujourd’hui, la plupart des troupes créent sans trop de difficultés. Nous avons travaillé à baliser le terrain pour faciliter ces collaborations. Par exemple, pour le costume Guèlèdè que nous avons développé, il a fallu faire valider sa conception auprès des dignitaires pour garantir qu’il ne s’agissait pas d’un costume Igbo. Une fois l’approbation obtenue, d’autres troupes ont pu s’en inspirer.

Depuis quand ces danses sacrées ont-elles commencé à être exécutées publiquement par des compagnies ?

La compagnie Towara a été fondée en 1992 avec déjà dans son répertoire les danses Yaoïtcha, Sakpata, Dan, Hèviosso… À l’époque, très peu de groupes osaient présenter ces danses rituelles, mais nous avons pris ce risque. Nous sommes accrédités auprès de l’UNESCO pour nos fonctions consultatives sur le patrimoine culturel immatériel, ce qui nous oblige à restituer fidèlement la vérité des faits. Nous pratiquons la recréation, en adaptant ces danses rituelles pour la scène, sans les trahir ni les inventer. La compagnie de danse Towara s’est spécialisée dans les danses patrimoniales et non dans la création ex nihilo.

Qu’est-ce que cette ouverture des danses rituelles au domaine artistique a apporté à la culture béninoise selon vous ?

Elle a permis de montrer au grand public que nos danses rituelles ne sont pas diaboliques, contrairement aux idées véhiculées par certains. En les présentant sous une forme artistique, nous avons contribué à désacraliser ces danses et à les rendre plus accessibles. Ainsi, chacun peut découvrir que ces danses font partie intégrante de notre culture et véhiculent des valeurs profondes.
Les dignitaires n’organisent souvent les sorties qu’une fois par an, ou parfois tous les trois ou cinq ans. Notre travail, lui, permet de faire vivre ces danses tout au long de l’année et de mieux les faire connaître. Les chercheurs et les touristes qui viennent au Bénin peuvent ainsi s’initier à ces réalités et, s’ils le souhaitent, approfondir leurs connaissances auprès des dignitaires. Nous ne faisons pas les prières rituelles, mais les panégyriques sont dits publiquement.
Prenons l’exemple du genre oral Guèlèdè, inscrit depuis 2008 au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Il est aujourd’hui tombé dans le domaine public, et tout le monde, y compris les danseurs contemporains, les musiciens et les plasticiens, peut s’en emparer pour des créations artistiques. Cette dynamique permet de valoriser notre patrimoine et de le partager au-delà des frontières.

Comment les hauts dignitaires et chefs traditionnels perçoivent-ils aujourd’hui cette forme de valorisation ?

Certains estiment que nous profanons les savoirs légués par leurs aïeux, mais d’autres, plus ouverts, comprennent que notre travail complète le leur. Avec l’avènement des Vodun Days, qui célèbrent nos pratiques ancestrales à travers des créations contemporaines, je pense que l’ambition du président de la République est de montrer la vitalité et la modernité de notre culture. Les dignitaires qui l’ont compris, nous soutiennent et reconnaissent que nous contribuons à valoriser et à transmettre notre patrimoine culturel.

Lire aussi  La Revue des Titres du Journal Educ’Action du 21/11/2023

Propos recueillis par Edouard KATCHIKPE

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