Suspendu, pour l’heure, pour des querelles intestines au sein de la faîtière des organisations professionnelles des artisans, la Confédération Nationale des Artisans du Bénin (CNAB), les dispositions sont en train d’être prises pour relancer l’organisation de l’examen du Certificat de Qualification aux Métiers (CQM). Ces dispositions ont trait à la mise en fonction de la nouvelle Chambre des Métiers de l’Artisanat (CMA) qui succède à l’Union des Chambres Interdépartementales des Métiers du Bénin (UCIMB). Pour mieux comprendre la situation, Educ’Action s’est rapproché du Secrétaire Technique Permanent du Cadre National de Concertation pour la Promotion de l’Enseignement et la Formation Techniques et Professionnels (STP/CNCP-EFTP), Marcellin Azongnitodé Hylé.
Educ’Action : Le Bénin organise depuis des années les examens dénommés CQM et CQP. Faites nous un peu l’historique de cette évolution ?
Marcellin Azongnitodé Hylé : Au détour des années 90, nous avions senti le besoin d’aller à une réforme indiquée par les états généraux sur le secteur de l’Education d’octobre 90 et réaffirmée par la table ronde sur ce secteur en 1997. En application des recommandations issues de ces différentes assises, le Bénin s’est engagé dans la restructuration du sous-secteur de l’enseignement technique et de la formation professionnelle qui a abouti à la réforme de 2001. L’un des objectifs de cette réforme est l’introduction progressive de la formation professionnelle non formelle dans le système éducatif formel. Ainsi, deux dispositifs de certification supplémentaires ont été mis en place. Il s’agit du Certificat de Qualification aux Métiers (CQM) destiné aux jeunes non scolarisés ou déscolarisés précoces qui vont dans un atelier d’apprentissage, et du Certificat de Qualification Professionnelle (CQP) qui s’adresse aux jeunes déscolarisés de niveau scolaire équivalent au moins à la classe de 6e. L’une des innovations de la réforme de 2001 du sous-secteur de l’ETFP est l’implication active des professionnels (maîtres artisans) dans l’organisation des deux (02) examens. En ce qui concerne l’examen du CQM, il est prévu de laisser sa gestion aux organisations professionnelles lorsque celles-ci auraient donné la preuve de leur capacité à gérer sans anicroche ce dispositif.
Quel bilan peut-on faire aujourd’hui de sa mise en œuvre ?
Jusqu’à la naissance de la querelle entre les associations membres de la CNAB, tout allait bien en ce qui concerne l’organisation de cet examen. Grâce à la mise en place de ce dispositif de certification de l’apprentissage, les récipiendaires ont une reconnaissance sociale et se sentent plus intégrés dans le système éducatif formel. Plusieurs maîtres-artisans ont bénéficié d’un programme de renforcement de leurs capacités techniques. Il est à espérer que la Chambre des Métiers de l’Artisanat qui se met en place et le recensement des artisans opéré dans le cadre du projet ARCH, puissent apporter de la sérénité dans la famille des artisans et accélérer le processus de transfert des compétences de la Direction des Examens et Concours du MESTFP à la Chambre des Métiers de l’Artisanat en ce qui concerne l’autonomie dans la gestion du CQM.
Par ailleurs, il est à rappeler que le CQP n’est pas suspendu. L’organisation de cet examen au titre de 2021 a connu quelques perturbations liées essentiellement au retard accusé dans l’achèvement des programmes de formation. Tout est mis en place pour que l’examen du CQP se tienne du 14 au 18 mars 2022. Les difficultés récurrentes que nous rencontrons dans l’animation de ce dispositif sont liées à l’instabilité de son financement. En effet, l’organisation de la formation au CQP est financée pour 90% par les ressources mobilisées par l’Etat auprès des Partenaires Techniques et Financiers (PTF) et pour 10% par les parents d’apprentis. Deux difficultés apparaissent à ce niveau : l’irrégularité dans la mobilisation des contributions des PTF et le non-paiement des frais de formation de la part des parents d’apprentis. A cela s’ajoute l’insuffisance des ressources mobilisées pour prendre en compte toutes les demandes de formation en instance.
Pourquoi un cadre national de concertation et quel est, de façon concrète, son rôle dans le dégel de cette crise ?
La crise économique et financière que le Bénin a connue à l’instar d’autres pays de la sous-région au milieu des années 80 a généré la crise de l’emploi. Cette crise de l’emploi est liée au gel de recrutement systématique des finissants des écoles professionnalisées et de l’université dans la fonction publique. Dès lors, il est de plus en plus constaté un gros écart entre le profil des diplômés du système éducatif et celui demandé par le marché de l’emploi. Il fallait mettre en place un mécanisme de régulation entre l’offre et la demande. C’est à cet effet que le Cadre National de Concertation pour la Promotion de l’EFTP a été créé en 2011 et restructuré en 2018. Il réunit en son sein les acteurs du secteur privé, le monde professionnel et les acteurs du secteur public intervenant dans le pilotage et la gouvernance de l’EFTP. Il a pour mission, entre autres, de formuler,sur la base de l’analyse périodique de l’évolution du marché du travail/de l’emploi, des avis et propositions sur les offres de formation existantes ou à créer, en lien avec le marché du travail ; le dispositif pédagogique et de certification en vigueur ou à mettre en place pour mieux répondre aux exigences de l’évolution du marché du travail.
Pour ce faire, des Commissions Techniques Sectorielles (CTS) ont été mises en place dans les six secteurs prioritaires du Plan National de Développement (PND, 2018-2025). Ces CTS se réunissent périodiquement pour analyser l’évolution de leur secteur respectif, identifier les métiers pourvoyeurs d’emplois, puis proposer au gouvernement les métiers à promouvoir et ceux à supprimer en raison de leur impertinence au regard des besoins de l’emploi. Ces CTS ont sorti, pour le compte de l’année 2021, le répertoire des métiers pourvoyeurs d’emplois.
Le lien à établir entre le CNCP-EFTP et les dispositifs CQM et CQP réside dans le nécessaire partenariat qui doit exister entre les entreprises et l’école dans le cadre de la professionnalisation du système éducatif.
Qu’est-ce que la chambre va proposer de nouveau que ce qui se faisait déjà ?
La chambre est une institution publique constituée des élus des différents corps de métiers et du personnel nommé par le ministre de tutelle. De ce point de vue, elle va œuvrer pour l’union de tous les membres et l’amélioration de la qualité dans l’animation et la certification du CQM. A terme, la chambre va prendre en charge l’organisation du CQM.
Que pensez-vous des patrons d’atelier qui continuent avec les libérations traditionnelles ?
« Mieux vaut apprendre à pêcher à quelqu’un que de lui donner chaque fois du poisson » dit-on. Apprendre un métier à quelqu’un, c’est lui donner une source intarissable de richesses qu’aucun lingot d’or ne peut payer à sa juste valeur. De ce point de vue, les patrons, maîtres-artisans ne trouveront jamais à travers le franc symbolique que leur verseront leurs apprentis, la récompense légitime de tout le savoir (savoir, savoir-faire, savoir-être et même le faire-savoir) qu’ils auraient transmis à travers la formation à leurs apprentis. Cette récompense, c’est Dieu, c’est la nation, c’est la famille du formé qui leur revaudront. La vraie dot de libération ne doit pas être raisonnée en termes de fortune à payer mais plutôt de redevabilité en termes d’éthique professionnelle, c’est-à-dire l’engagement pris à honorer le patron et la corporation à travers les bonnes pratiques.
Que dire pour conclure cet entretien ?
A travers le PND, le Bénin ambitionne de faire passer le taux de la croissance économique de 7% à 10% à l’horizon 2025. Cette noble et légitime ambition nécessite la disponibilité d’une main d’œuvre qualifiée au service des secteurs prioritaires. A ce titre, le CQM et le CQP ont une place prépondérante dans la nouvelle politique éducative incarnée désormais par la Stratégie Nationale de l’Enseignement et la Formation Techniques et Professionnels (SN-EFTP, 2020-2030). Les artisans ont un rôle capital dans la mesure où, pour atteindre le niveau de qualification désirée, l’entreprise est désormais au cœur de la formation. Aussi, est-il besoin de préciser que la stratégie de l’EFTP prévoit la généralisation du CQM et du CQP aux autres secteurs vitaux de l’économie en l’occurrence, l’agriculture, le BTP, le Tourisme-Hôtellerie-Restauration, l’Energie. Il importe donc que face à ce challenge, les querelles d’intérêt personnels soient tues au profit de l’intérêt de la nation.
Propos recueillis par Estelle DJIGRI